Nous saurons bientôt
qui est le plus fort, de Mel Gibson ou du pape Jean XXIII.
Peu de temps avant sa mort,
en 1963, le chef spirituel du monde catholique avait composé cette prière:
"Nous nous rendons compte que nos fronts portent la marque de Caïn.
Depuis des siècles, Abel gît dans le sang et les larmes parce que
nous avons oublié Ton amour. Pardonne nous la malédiction dont
nous avons injustement accablé les Juifs. Pardonne-nous pour T'avoir,
p ar notre péché, crucifié une seconde fois".
C'était un terrible
aveu qui venait renverser 2000 ans de haine injustifiée. L'antisémitisme
chrétien, qui tenait les Juifs pour coupables du crime abominable de
déicide, assassins du Christ et méritant les pires châtiments,
était officiellement qualifié de "grand péché
contre l'humanité". Les Juifs purent donc espérer que les
errements de l'histoire ancienne qui avaient conduit aux Croisades, aux pogromes
et peut-être même au silence du monde pendant la Choah, allaient
enfin finir dans les oubliettes des erreurs théologiques définitivement
abandonnées.
Ce que le Pape avait déclaré être un péché, devient, chez Mel Gibson, la version authentique de la mort de Jésus.
N'est-il donc pas étrange
que ce 21ème siècle soit le témoin de la renaissance d'un
mensonge monumental ? Ce que le Pape avait déclaré être
un péché, devient, chez Mel Gibson, la version authentique de
la mort de Jésus. Le monde va une fois de plus entendre que tout est
de la faute des "Juifs perfides". Dans un film où se déverse
une violence difficilement supportable même selon les critères
de Hollywood, "La Passion du Christ" s'inspire des récits contradictoires
des Evangiles décrivant les dernières heures de la vie de Jésus,
pour raconter une histoire où l'on voit un Ponce Pilate condamnant à
contre-cœur à la crucifixion "le fils de Dieu" sous la
pression d'une foule juive déchaînée ayant à sa tête
le grand-prêtre Caïphe.
Non, d'après Mel
Gibson, les Romains ne sont pas coupables. Ponce Pilate, tel que le film nous
le montre, n'aurait jamais ordonné un châtiment aussi cruel. Mike
Evans, un prêtre qui dirige le "Groupe de Prière de Jérusalem"
a suggéré à Gibson qu'il pourrait ajouter une phrase qui
s'inscrirait sur l'écran après la dernière scène:
"Pendant l'occupation romaine, 250 000 Juifs furent crucifiés par
les Romains, mais un seul ressuscita d'entre les morts". Il aurait ainsi
été clair, pour le spectateur moyen, que les Juifs, tout comme
Jésus, furent victimes de ce régime brutal. Mais il semblerait,
pour le moment, que ce message n'apparaisse pas sur l'écran. Il diminuerait
sans doute la portée du thème qui court en filigrane à
travers le film.
Mel Gibson a déclaré publiquement: "Le Saint-Esprit s'exprimait à travers moi dans ce film".
Gibson rejette les conclusions
du Concile Vatican II et s'en tient à son interprétation littérale
des Evangiles qui fait des Juifs les coupables du crime le plus atroce de l'Histoire:
ils ont tué Dieu. Dans une des versions du film, les Juifs prononcent
la phrase qui appelle sur eux une vengeance éternelle: "Que son
sang retombe sur nous et sur nos enfants!" (note du traducteur: cette phrase
n'est pas prononcée dans le film. Mel Gibson l'a coupée au montage,
répondant dans une interview : "Si je l'avais laissée, tous
les Juifs me seraient tombés dessus"). Gibson est persuadé
que ses choix sont dictés par la volonté de Dieu. Il a déclaré
publiquement: "Le Saint-Esprit s'exprimait à travers moi dans ce
film". Comment les paroles apaisantes du Pape Jean XXIII pourraient-elles
l'emporter sur un message contradictoire et dangereux adressé directement
à Mel Gibson par le Tout-Puissant lui-même!
Mais ce qui me frappe le
plus, dans cette controverse houleuse autour du film, c'est que ce devrait être
davantage un sujet de réflexion pour les Chrétiens qu'un problème
juif. Jean XXIII a eu le courage de reconnaître le rôle regrettable
joué par l'Eglise dans cette accusation portée contre des innocents.
Le Pape actuel Jean-Paul II a confirmé cette confession lorsqu'il a "reconnu
la responsabilité chrétienne pour les torts causés aux
Juifs tout au long de l'histoire", et a demandé le pardon en utilisant
le mot hébreu "techouva" (repentance).
"La Passion du Christ"
laisse à penser que Hollywood est plus avisé que Sa Sainteté.
On nous présente une version discréditée de l'histoire,
plus digne de la " 13th Century Fox" que d'un studio contemporain
informé de la théologie papale.
Je n'ai pas encore vu le
film, mais j'en ai parlé avec de nombreuses personnes qui l'ont vu: Juifs
et non-Juifs, rabbins et prêtres, et tous ont trouvé que les Romains
s'en tirent beaucoup mieux que les Juifs dans leur relation à Jésus.
Selon la formule bien connue de J.W.Eagan :
"Ne jugez jamais un livre d'après le film qu'on en a tiré
!".Voici un film qui fait paraître presque modérée
la manière dont les Evangiles présentent la malveillance des Juifs.
C'est pourquoi la question "Mel Gibson est-il antisémite?"
n'est pas pertinente.
Ceux qui se demandent si
Gibson déteste les Juifs n'y sont pas du tout. Cela n'a aucune importance.
On peut prendre Gibson au mot et le croire lorsqu'il se dit notre ami, pourquoi
pas? Peut-être qu'il nous aime. Là n'est pas la question. Ce qui
compte, c'est l'impact du film. Et là, on me dit qu'il est pratiquement
impossible de ne pas sortir de la projection sans haïr les méchants,
c'est-à-dire, sans aucun doute possible, les Juifs.
En un temps où les
religions ont le plus besoin de transmettre un message de réconciliation,
voici un film qui, tout en se réclamant d'une inspiration spirituelle,
fait revivre avec violence cette sorte de rage qui, tout au long des siècles
passés, nous a valu des châtiments impitoyables.
La tradition des représentations
de la Passion n'est pas nouvelle. Les Juifs savaient qu'elles étaient
pratiquement toujours suivies de pogromes. A quoi pouvons-nous donc nous attendre
après que des millions de spectateurs auront vu ce film? Certains leaders
chrétiens sont offusqués par la simple supposition que ceci puisse
être encore d'actualité. William Donahue, président de la
Ligue Catholique pour les Droits Civiques et Religieux s'en prend à ceux
qui expriment quelque crainte quant aux "conséquences involontaires"
du caractère malveillant attribué aux Juifs dans le film. Par
conséquent, si les Juifs envisagent que l'histoire peut se répéter,
non sous forme de pogromes comme autrefois, mais d'une manière plus sophistiquée
adaptée à notre époque, on dira qu'ils dramatisent et,
pire encore, qu'ils laissent entendre qu'un antisémitisme incontrôlable
pourrait renaître.
Ne nous y trompons pas.
Le cinéma influence les esprits plus qu'aucun autre média. Ingmar
Bergman avait raison: " Un film pénètre notre conscience
plus qu'aucun autre art ne peut le faire; il s'adresse directement à
nos sentiments, et s'introduit dans les recoins les plus secrets de notre âme".
Etre assis dans l'obscurité, face à un écran géant,
c'est avoir la sensation de participer à un événement et
non pas seulement en entendre le récit. Aucune représentation
"à l'ancienne"de la Passion n'aurait pu susciter chez le spectateur
cette impression intense, encore accrue grâce aux effets spéciaux
(qui ont provoqué des cris d'horreur), d'assister à la Crucifixion.
Gibson a répondu
aux critiques en niant avoir eu l'intention d'accuser les Juifs."Il ne
s'agit pas de les désigner eux seuls comme coupables en disant:"C'est
eux qui l'ont tué!". Nous sommes tous coupables. Nous avons tous
tué Jésus".
"Nous avons tous tué Jésus" clame-t-il, mais le film nous montre clairement que seuls les Juifs sont les "méchants".
Je tiens à dire à
Mel Gibson que, pour ma part, je ne me sens absolument pas concerné.
Je n'ai pas tué Jésus. Mes ancêtres non plus. N'est-il pas
curieux que le même Gibson qui accepte sans problème la notion
de culpabilité universelle pour le crime de déicide choisisse
de ne désigner que les Juifs comme en étant les véritables
auteurs. "Nous avons tous tué Jésus" clame-t-il, mais
le film nous montre clairement que seuls les Juifs sont les "méchants".
Les Juifs ont-ils le droit
de partager leur inquiétude avec ceux qui ont choisi de croire en une
version différente de l'histoire? Les Juifs peuvent-ils reprocher à
un catholique romain intégriste, idole de Hollywood, d'avoir réalisé
un film qui reflète ses préjugés personnels?
Le même droit à
la liberté d'expression qui autorise Mel Gibson à réaliser
son film comme bon lui semble nous autorise, nous aussi, à signaler ce
qui nous apparaît hautement répréhensible.
Gibson se réclame
du Christianisme alors même qu'il rejette les déclarations explicites
de la plus haute autorité spirituelle catholique.
Gibson se dit animé
du désir de promouvoir "l'amour et le pardon" alors qu'il donne
à voir une image stéréotypée des Juifs qui n'a suscité,
au cours des siècles, que haine et châtiment.
Gibson annonce que son film
est le "récit historiquement authentique" des dernières
heures de Jésus, alors que ce qu'il en donne à voir repose davantage
sur une conviction que sur des faits et comporte des scènes (notamment
celle où l'on voit des gardes juifs frappant brutalement Jésus
alors qu'ils l'emmènent chez le Grand-Prêtre) qui ne sont pas rapportées
dans le Nouveau Testament.[Mel Gibson a ajouté aux textes des Evangiles
les écrits de deux religieuses mystiques, l'une, italienne, Mary d'Agreda
(1602-1665), l'autre, allemande, Anne Catherine Emmerich (1774-1824)]
Alors que l'Eglise a fait
d'importants efforts de réconciliation envers les Juifs, "La Passion
de Jésus" nous fait faire un grand pas en arrière en nous
ramenant aux stéréotypes humiliants de naguère. Alors que
la mémoire de la Choah s'estompe et que l'on note une résurgence
de l'antisémitisme partout dans le monde, la pire chose qui pouvait apparaître
à notre époque en dehors des "Protocoles des Sages de Sion",
c'est un marketing de masse appelant à un déchaînement passionnel
contre les Juifs sous couvert des Evangiles.
Malheureusement, sa notoriété
même risque de faire de ce film un grand succès populaire.
C'est pourquoi je souhaite que les spectateurs comprennent pourquoi "La
Passion de Jésus" est un échec sur le plan du message spirituel.
Il est non-seulement anti-juif et indifférent au mal qu'il causera à
coup sûr aux relations entre Juifs et non-Juifs, mais il est également
terriblement peu chrétien.
Premier d'une série
de deux articles. Dans le second article, le rabbin Blech nous fera part de
ses réactions après avoir vu le film.
Traduction et Adaptation
de Monique SIAC
Pour en savoir plus sur
le film "La Passion du Christ", voir :
"La Passion du Christ":
Le film et ses repercussions
Mel Gibson et les juifs
La
calomnie meurtrière de Gibson
mais aussi:
Pourquoi les juifs ne croient
pas en Jésus ?
La naissance du christianisme
De
Paul à Constantin