Par l'allumage du chandelier,
par des louanges et des remerciements : voilà comment, selon le Talmud,
on commémore les événements de
'Hanoucca.
Dans le Traité Roch
Hachana (18b), il affirme que bien des jours de fête commémorant
des miracles furent abolis lors de la destruction du Temple. Pourquoi la fête
de 'Hanoucca, qui ne célèbre qu'une victoire rapidement effacée
par l'histoire, est-elle demeurée en vigueur ? Parce qu'elle est matérialisée
par une mitsva et que son miracle en est resté célèbre.
Pour qu'une fête soit
maintenue dans le calendrier juif, il faut donc qu'elle véhicule une
valeur indépendante du contexte politique. Que Juda Maccabée ait
eu une victoire éclatante, cela est du passé ; mais que le peuple
juif ait redécouvert le sens de la Menora est une réalité
ineffaçable.
UNE REDECOUVERTE
Plusieurs rites combattus
par nos ennemis s'en sont trouvés renforcés par la suite. C'est
depuis que l'on a voulu empêcher les communautés de réciter
le chema' le matin qu'on l'a inséré dans la répétition
de la prière de moussaf. Par la suite, on les a maintenus l'un et l'autre.
Depuis que l'on a empêché la lecture de la Tora en public, on a
commencé à lire des textes des Prophètes. A l'heure actuelle,
on fait les deux lectures. Nos Sages ont considéré que si les
peuples remettaient en cause certaines pratiques, c'était un appel de
la Providence qui nous forçait à les approfondir et à en
trouver le vrai sens.
C'est donc depuis que les
Grecs ont réussi à abolir, à tourner en ridicule, pendant
un certain moment, le rôle du Grand Prêtre, que le peuple entier
s'est mis à pratiquer le rite qui symbolise son sacerdoce. La grande
prêtrise n'existe plus, mais cette valeur nous est restée. C'est
là le fruit de la lutte des Maccabées.
La tradition orale explique
que si "notre maître Moïse" plaidait essentiellement la
cause de D.ieu, Aharon le Grand Prêtre voulait se trouver du côté
du peuple juif. Moïse, à la vue du Veau d'Or, ordonna une guerre
fratricide. Aharon, quant à lui, avait préféré feindre
de participer à la confection de l'idole pour rester moralement près
de ses frères. Aharon, lors de sa mort, fut pleuré par le peuple
"tout entier". C'est, expliquent nos Sages, parce qu'il s'était
toujours employé à faire la paix entre l'homme et son prochain,
l'homme et son épouse.
Ces deux personnages représentent
en effet deux tendances fondamentales de la vie. Notre être oscille entre
deux pôles : l'existence et le sens. L'existence est ce qu'il y a de personnel
et de vécu en nous. L'existence n'est pas rationnelle, elle est donnée,
elle préexiste à notre conscience. Le sens est universel, c'est
l'ordre logique du monde, dans lequel notre être s'insère consciemment.
Il transcende l'existence. On ne pourrait imaginer une vie sans ces deux pôles
: dépourvue de sens, de but, elle deviendrait absurde et invivable ;
uniquement idéale, elle serait un théorème et non une réalité.
Ces deux aspects sont donc complémentaires et indissociables.
Le viscéral ne peut pas être commandé, il peut tout au plus être libéré
Pourtant, l'homme est tiraillé
: tantôt il penche vers une vie indolente et insensée, tantôt
vers un idéalisme abstrait. Et c'est à ce problème que
répond la Tora. Elle veut harmoniser une existence frémissante
avec le sens même de la création.
" Elle est parfaite, elle
apaise l'homme "
, dit David dans les Psaumes (chap. 19, vers. 8).
Officiellement, elle ne se préoccupe que de discipliner l'homme, de le
rappeler à l'ordre, mais il est clairement sous-entendu qu'elle veut
seulement par là canaliser sa sensibilité individuelle. Le viscéral
ne peut pas être commandé, il peut tout au plus être libéré
et guidé.
LE COURAGE DE LA CONFRONTATION
INTELLECTUELLE
De manière générale,
toute communication entre des êtres qui ne partagent pas la même
vie ne peut se faire honnêtement que par la parole rationnelle. Les émotions
qui sous-tendent un mode de vie et de pensée sont affaire personnelle
et ne peuvent pas entrer dans le dialogue.
Depuis les premiers jours
de l'entrée du peuple juif en terre habitée de Canaan, il a cherché
à transmettre son message en soixante-dix langues aux peuples environnants.
C'est ce que nous précise la Tora Orale. Le danger de voir son message
discuté et remis en cause devait être assumé. Sûr
de ses valeurs, il était prêt à prendre le risque d'une
confrontation intellectuelle ouverte.
Mais les choses se passent
assez rarement d'une manière aussi correcte. Les habitants de Madian
et de Moab préférèrent envoyer leurs filles à la
rencontre des soldats juifs que de venir confronter leurs valeurs. Plutôt
que d'exposer leurs théories sur la divinité, les idolâtres
préférèrent exposer leur statut. Ainsi le sentiment est
imperceptiblement fait prisonnier et l'esprit endormi avant même d'avoir
eu le temps de relever le défi.
Que toute cette beauté véhiculât une idéologie était imperceptible ; cela s’absorbait avec le reste.
L'ange qui ne put rien contre Jacob dans leur combat corps à corps parvint
pourtant à lui déboîter la cuisse. C'est dans une situation
de ce genre que se retrouvèrent les Juifs au temps des Maccabées.
Une culture brillante s'était répandue dans tout le monde civilisé
: elle était universelle, elle s'implantait partout. Aucune violence
n'était nécessaire pour remplacer les coutumes et les arts locaux
par les gymnases et les statues grecques. Que toute cette beauté véhiculât
une idéologie était imperceptible ; cela s'absorbait avec le reste.
Il a fallu le courage intellectuel
et physique de Mattathias et de ses fils pour ramener à la conscience
notre peuple presque totalement vidé de son contenu spirituel. Ce n'est
qu'après que ces prêtres eurent entrepris une lutte armée
et réussi à reprendre le Temple qu'on se rendit compte de l'agression
terrible que l'on avait subie.
Ainsi les petits-fils d'Aharon,
garants de la paix intérieure de leur peuple, avaient assumé leur
rôle d'une manière assez inattendue. Le miracle de 'Hanoucca, c'est
cette prise de conscience qui s'amorça et alla en se développant,
un peu comme cette fiole à peine suffisante pour un jour, et qui brûla
pourtant au-delà de toute espérance : le peuple juif sut profiter
de cette étincelle pour remettre en vigueur et renforcer une vie spirituelle
authentique.
En quelque sorte, s'étant
rendu compte combien ils avaient pu se laisser assoupir, leur reprise n'en fut
que plus authentique et profonde. Ils avaient ainsi compris à quel point
la sensibilité constituait une arme efficace. Et ils la retournèrent
contre l'ennemi.
L'étude de la Tora prit une tournure individuelle et existentielle. L'élément
personnel, au lieu de devoir se plier au rationalisme universel, devint source
d'inspiration et de sagesse.
En effet, on sait que c'est
à partir de cette époque que se développèrent la
Michna et le Talmud, toute cette sagesse dialectique qui, depuis, a continué
à animer l'esprit juif. Du reste, une ferveur populaire se déploya
qui sut tenir tête à toutes les attaques. Plus jamais le peuple
ne s'est laissé leurrer de la sorte. Bien au contraire, c'est souvent
lui qui a devancé ses dirigeants en prenant la défense de sa culture.
'Hanoucca est la fête
qui commémore les faits les plus récents du calendrier juif. Elle
préfigure un peu le temps où "la terre sera pleine de sagesse,
comme l'eau qui recouvre le fond des mers", le temps où "tous
nos fils et nos filles prophétiseront".
" L'AME DE L'HOMME
EST LA LAMPE DE D.IEU "
Le chandelier symbolise
par excellence la valeur spirituelle et individuelle.
"L'âme de l'homme
est la lampe de D.ieu", dit le livre des Proverbes.
La lampe est constituée
d'un récipient, d'une mèche et d'huile. Objet matériel,
elle est source de lumière. Ainsi, existence charnelle, l'homme découvre
d'une manière personnelle la valeur d'une vie sensée. Nèr
- lampe - a pour valeur numérique 250, ce qui fait, précisent
les cabalistes, 248 - représentant les parties du corps de l'homme -,
plus l'amour et la crainte. C'est l'homme qui a personnellement pris conscience
de ce que l'épanouissement le plus harmonieux de son être ne peut
se faire qu'en exprimant les valeurs de la Tora à travers son existence
et son expérience.
"Il faut une lampe
par maison : ceux qui veulent faire du zèle en allumeront une pour chacun,
ceux qui veulent faire le zèle du zèle ajouteront une lampe chaque
jour."
Voilà sous quelle
forme se trouve énoncé dans le Talmud ce rite de 'Hanoucca. Engagement
individuel, zèle personnel, telles sont les valeurs qu'il faut essayer
d'exprimer.
On peut difficilement passer
sous silence la comparaison avec notre époque. La civilisation qui nous
entoure possède les armes les plus puissantes de tous les temps. Bien
plus efficaces que les bombes et les fusées, la publicité, les
gadgets, les "commodités" de la vie moderne nous agressent
journellement.
La propagande et l'omniprésence
de la vie politique sont si insidieuses que l'on perd, sans s'en rendre compte,
le sens d'une vie intérieure pétillante, d'une expression de soi
authentique.
Notre sensibilité
est si bien envoûtée qu'aux yeux d'un grand nombre, la Tora apparaît
étrange et inapplicable. Le schéma de notre pensée est
si bien conditionné que les meilleurs d'entre nous n'aspirent pas à
plus qu'une vie nationale, qu'une autonomie politique. Un choc, une prise de
conscience à la manière de 'Hanoucca nous serait hautement nécessaire
en ce vingtième siècle.
Ou peut-être la fête
de 'Hanoucca authentiquement vécue pourra-t-elle nous rappeler que chacun
d'entre nous se doit d'allumer son propre chandelier !