La parachath Reè contient la plupart des sources de la Torah sur lesquelles
sont basées les lois et les pratiques juives actuelles en matière
de charité.
Ces lois ont été recensées dans treize chapitres du Choul‘han ‘aroukh,
Yoré dé‘a, et comme il n’y a pas de Michna beroura
(le magnus opus du ‘Hafets ‘Hayim, commentaire sur le Choul’han
Arou’h, un des ouvrages les plus populaires sur la Loi juive) , on ne
les étudie pas beaucoup. À cause de leur importance, le ‘Hafets ‘Hayim
(Rabbi Israël Meir HaKohen (1838-1933) de Radin, Pologne) a publié un
ouvrage spécifique, intitulé Ahavath ‘héssèd,
dans lequel leurs conséquences pratiques sont expliquées par
le menu. Cet ouvrage mérite donc notre attention.
Dans la partie principale du Yoré dé‘a (249, 1), Rabbi
Yossef Caro (l’auteur du Choul’han Arou’h, le Code de la
Loi juive), qui reproduit fidèlement ce que professe le Maïmonide, écrit
:
« La somme qu’on doit donner est la suivante : si l’on a
des ressources suffisantes, on doit donner selon les besoins du pauvre ; si
ses ressources ne vont pas jusque là, on donnera jusqu’à un
cinquième de ses possessions pour un accomplissement idéal de
la Mitsvah, et un dixième pour un accomplissement normal. À moins
de cela on manque de générosité. »
Commentaire du Rema : « On ne doit jamais pas distribuer plus d’un
cinquième, afin de ne pas tomber à la charge des autres.
»
Le texte de base est constitué par les versets de Deutéronome,
15, 7 et 8 :
« Quand il y aura en toi un indigent, de chez l’un de tes frères,
dans l’une de tes portes, dans ton pays que l’Eternel, ton D.ieu,
te donne, tu n’endurciras pas ton cœur, et tu ne fermeras pas ta
main à ton frère l’indigent, car ouvrir, tu lui ouvriras
ta main, et prêter, tu lui prêteras assez pour son manque qui lui
manquera. »
Que signifie : “toute” ta production agricole ? Cela vient inclure les intérêts des prêts, les bénéfices commerciaux et tous les autres profits.
La règle du dixième et du cinquième semble être
basée sur le verset de Deutéronome 14, 22 relatif à la
dîme. Mais ce verset se réfère explicitement aux dîmes
agricoles, tandis que la règle posée par le
Choul‘han ‘aroukh
s’applique à toutes nos possessions.
Une source pour cette halakha (loi) fondamentale est un passage
du
Sifri cité par
les Tossafoth dans
Ta‘anith 9a (s.v.
‘assèr te‘assèr)
mais ne paraissant pas dans nos versions :
« Décimer, tu décimeras toute ta production agricole,
que le champ fait sortir année après année. »
Nous pourrions déduire de ce verset que seuls les produits agricoles
doivent faire l’objet du prélèvement de la dîme.
Comment pouvons-nous déduire que le texte s’applique aussi aux
intérêts des prêts, aux bénéfices commerciaux
et à tous les autres profits ? Du mot “tout” ; car le verset
aurait pu ne parler que de “ta production agricole”. Que signifie
: “toute” ta production agricole ? Cela vient inclure les intérêts
des prêts, les bénéfices commerciaux et tous les autres
profits. »
Une référence plus explicite à la règle du cinquième
nous est fournie dans le Talmud de Jérusalem sur Péa (1, 1) : « Ces
choses-là sont de celles pour lesquelles il n’y a aucune limitation
: Péa (laisser le coin du champs pour les indigents) et
guemilouth ‘hassadim
(la bienfaisance). »
Commentaire de la Guemara :
« Cette règle s’applique seulement aux aspects personnels,
mais pour les aspects monétaires il y a une limitation précise,
et cela selon l’enseignement de rabbi Chim‘on ben Lakich au nom
de rabbi Yossi ben ‘Hanina : “Il a été décidé à Oucha
qu’un homme devrait faire abandon du cinquième de ses biens pour
la Mitsvah [de la charité].” Rabbi Gamliel ben Ininou a demandé à rabbi
Mana : “Si l’on donne un cinquième chaque année,
on aura dispersé au bout de cinq ans toute sa fortune !” Il a
répondu : “On commence par calculer sur le capital, et ensuite
sur les revenus.” »
D’autres indications figurent dans le Talmud de Babylone
sur
Kethouvoth (50a) :
Rabbi Ila‘a a enseigné : « Il a été décidé à Oucha
qu’on ne devra pas donner plus d’un cinquième. » Une
barayetha confirme : « Celui qui donne la charité ne doit pas
distribuer plus d’un cinquième au cas où [ayant fait cela]
il aurait besoin du soutien des autres. » Rav Na‘hman a enseigné -
d’autres disent que c’était rav A‘ha bar Ya‘aqov
- l’origine de cette règle dans les textes : « Et tout ce
que Tu me donneras, ‘assèr a‘srénou pour toi (c’est-à-dire
que chacun de ces mots représente un dixième). » (Berèchith
28, 22) Mais le second dixième n’est pas équivalent au
premier [puisqu’il est un dixième de neuf dixièmes] ! Rav
Achi a enseigné : « Le deuxième mot - a‘srénou
(« je prélèverai la dîme ») - fait que la deuxième
dîme est identique à la première. »
Cette obligation traditionnelle de donner à la charité un dixième (ou un cinquième) de ce qu’on gagne, constitue un impôt sur le revenu auquel on s’assujettit spontanément.
Cette obligation traditionnelle de donner à la charité un dixième
(ou un cinquième) de ce qu’on gagne, le ma‘assèr
kessafim, constitue un impôt sur le revenu auquel on s’assujettit
spontanément pour l’employer à des fins charitables. Mais
une foule de questions s’élèvent quand on veut accomplir
cette Mitsvah dans la vie moderne.
Comment définir un revenu ?
Est-ce que les revenus du capital sont
imposables, et dans l’affirmative,
comment considérer les revenus
indivisibles ? Existe-t-il une « année fiscale » spécifique
? Quelles dépenses sont-elles déductibles ? Comment la dépréciation
d’un avoir doit-elle être prise en considération ?
Comment
considérer un investissement en capital ?
Peut-on opérer une
compensation entre la perte enregistrée dans une transaction et le profit
recueilli dans une autre, et si oui pendant combien de temps ? En fait, chaque
aspect de la législation relative à l’impôt sur le
revenu a son reflet en matière de ma‘assèr kessafim.
Il y a environ vingt-cinq ans,
un groupe de professionnels
britanniques a essayé de trouver des réponses à ces problèmes.
Sa méthode de travail a consisté à effectuer en premier
lieu des recherches dans la littérature halakhique afin de déterminer
si des questions avaient déjà reçu des réponses.
Celles qui restaient ont été soumises à d’éminentes
autorités halakhiques. Les résultats ont été publiés
dans un livre (Ma‘assèr kessafim, Feldheim 1980) qui a connu récemment,
en 1999, une quatrième réédition.
Peut-être la révélation la plus frappante observée
par le groupe a été de constater comment les idées exprimées
dans la littérature de responsæ d’il y a des centaines d’années
pouvaient, sous la direction d’experts en halakha, être appliquées à la
société moderne.
Il est par exemple nécessaire, quant on calcule les bénéfices
d’une activité commerciale, d’évaluer les stocks
et les actifs. Est-on autorisé, pour les besoins du ma‘assèr,
d’employer les techniques modernes de comptabilité ? Rabbi Yits‘haq
Ya‘aqov Weiss (z"tl) a appelé l’attention sur une idée
clé suggérée par Rabbi Yaïr ‘Hayim Bachrach
(1638-1702) selon laquelle le ma‘assèr, qui représente
D.ieu, pourrait être considéré dans certains cas comme
un associé, de sorte que les comptes devraient être préparés
comme entre des co-gérants. En mettant en avant cette idée, rabbi
Weiss a rendu également applicable le ‘Hochène michpat,
relatif aux rapports entre associés.
Est-il permis, pour assurer le prestige de son entreprise, de faire l’acquisition d’une Rolls-Royce plutôt que d’une voiture plus ordinaire ?
Encore plus remarquable a été la réponse que rabbi Weiss
a fournie à propos des frais professionnels. Est-il permis, pour assurer
le prestige de son entreprise, de faire l’acquisition d’une Rolls-Royce
plutôt que d’une voiture plus ordinaire ? Dans un échange
de correspondances entre Rabbi Yaïr ‘Hayim Bachrach et Rabbi David
Oppenheim (‘Havoth Yaïr, responsa 224), ce dernier émet l’opinion
suivante :
« Avec l’aide du Tout-Puissant, j’ai été appelé à rendre
deux décisions dans un litige qui m’a été soumis.
Un associé dans une entreprise avait engagé un procès à propos
de deux éléments de son budget. En premier lieu, il reprochait à son
associé d’avoir fait prendre en charge l’achat d’un
habit neuf qu’il s’était procuré pour se rendre sur
un marché éloigné. Cette inscription était selon
lui injustifiée étant donné qu’il devait se vêtir
de toute manière… J’ai décidé à propos
de ce premier point que, s’agissant d’un habit de qualité moyenne,
dépourvu de boutons en argent, et du genre de ceux que les commerçants
ont l’habitude de porter dans leurs tournées, la dépense était
justifiée… »
Une Rolls-Royce peut se comparer à un habit avec boutons en argent,
indique rabbi Weiss. (À noter que les réponses fournies à l’équipe
de chercheurs par rabbi Weiss ont été reproduites dans Min‘hath
Yits‘haq, volume 5, responsæ 34 et 35, et volume 6
responsa 101.)
Le concept de charité dans une société régie par
la Torah diffère radicalement de celui en honneur dans le monde non
juif. Là on met l’accent sur la bonté et la générosité du
donateur, à qui le donataire doit être profondément reconnaissant.
Dans la tradition juive, le donateur et le donataire ont chacun leur rôle à jouer
dans la processus halakhique ; la communauté peut imposer un prélèvement
charitable et a le droit de le faire appliquer.
Jusqu’à l’époque messianique, nous avertit la Torah,
la pauvreté continuera (Deutéronome 15, 11), et nous devons nous
rappeler que beaucoup de personnalités éminentes du Talmud et
d’érudits remarquables dans l’histoire juive ont été désespérément
pauvres.
D’une certaine manière, c’est le donateur qui est tenu à une
dette de gratitude envers le donataire pour avoir obtenu de lui le privilège
d’exécuter une Mitsvah aussi importante.
Notes sur l’auteur
:
Le Pr. Cyril Domb est membre de la Royal Society, rédacteur du BADAD
Journal de Bar - Ilan et ancien Président académique de JCT.
Il dirige le Nebenzahl Institute of Human Safety
and Accident Prevention au
Collège de Technologie de Jérusalem. Il est aussi Professeur émérite
de Physique à l’Université Bar-Ilan.
-o-o-o-o-o-o-
Traduit et adapté par Jacques Kohn