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Placements boursiers et Hala'ha (4ème partie) : Le commerce de produits alimentaires interdits

Ce chapitre-ci portera sur le problème posé par la possession d'actions d'une société qui commerce dans des denrées alimentaires interdites.

Dans le premier chapitre de cette étude, nous avons examiné la question générale du statut de propriétaire possédé par l'actionnaire. Comme nous l'avons expliqué, l'un des points de vue en présence considère l'actionnaire comme un propriétaire de l'entreprise et de ses actifs - comme un associé ordinaire. L'autre point de vue perçoit l'actionnaire comme une sorte de créancier - il a réalisé un investissement et en recevra les fruits en retour, mais le vrai propriétaire de l'entreprise est quelqu'un d'autre : une structure de contrôle, la direction, ou peut-être même la société elle-même, reconnue comme une personne morale par la Hala'ha comme elle l'est par la loi séculière.
Nous avons aussi appelé l'attention sur les nombreux points où l'actionnaire ressemble à l'associé " silencieux " (nothèn 'isqa), personnage dont le statut hala'hique est bien établi. Nous avons conclu que s'il existe beaucoup d'opinions indulgentes, les autorités contemporaines les plus éminentes ne sont pas disposées à créer, au plan de la Hala'ha, une exemption globale de responsabilité en faveur de l'actionnaire, mais elles le considèrent dans une certaine mesure comme un associé. Nous avons aussi indiqué que les pouvoirs de l'actionnaire minoritaire et son statut légal selon la loi séculière en tant que propriétaire tendent à devenir plus importants que le croient beaucoup de gens. Cependant, même les opinions rigoureuses reconnaissent l'importante distance qui sépare l'actionnaire des opérations réalisées par la société, et cette distance peut conduire à diverses solutions empreintes de souplesse dont chacune devra faire l'objet d'un examen spécifique.

Le deuxième chapitre s'est concentré sur les problèmes d'intérêt (ribith) interdit entre Juifs, et le troisième sur celui du 'hamets pendant Pessa'h.

Ce chapitre-ci portera sur le problème posé par la possession d'actions d'une société qui commerce dans des denrées alimentaires interdites.
 

DéFINITION DU PROBLèME

Le Michna (Chevi'ith 7, 3 et 4) stipule : " On ne fait pas commerce de fruits de la septième année (chemita), ni d'animaux premier-nés [sanctifiés], ni de terouma. " Tous ces produits alimentaires sont autorisés à la consommation - sauf que la terouma n'est permise qu'aux kohanim - mais étant donné que leur consommation est une sorte d'observance (kiyoum), nous ne devons pas les réduire au rang de simples marchandises. (On trouve une règle analogue dans les législations modernes, qui interdisent d'acheter et de vendre des organes humains, et même, dans certains pays, du sang. Toute personne a cependant le droit de faire un don d'organe, et de faire ce don à qui bon lui semble, mais il faut que ce soit à titre gratuit.)
Et la Michna de continuer : " … Ni de cadavres d'animaux ou de bêtes improprement abattues, ni d'insectes [interdits] et de vermine… Les chasseurs et les pêcheurs à qui il est advenu (nizdamnou) des espèces non cachères ont le droit de les vendre. Rabbi Yehouda a enseigné : De même possède le droit d'acheter et de vendre celui à qui il est survenu une occasion fortuite de pouvoir le faire. Mais les Sages l'interdisent. "
L'origine de l'interdiction est attribuée dans le Talmud (Pessa'him 23a) à un verset de la parachath Chemini qui traite de l'interdiction de manger des insectes : " … et ils seront pour vous exécration " (Wayiqra 11, 11). Ils sont certes exécrables, mais pour nous, ce qui veut dire que nous pouvons en faire commerce si " nous advenons fortuitement sur eux " (nizdamèn). Le Yerouchalmi (Chevi'ith 7, 1) propose une lecture légèrement différente du même verset, limitant l'interdiction aux seuls animaux qui sont habituellement consommés, et uniquement à ceux qui sont interdits par la Torah. Ces limitations sont généralement acceptées.
Cette interdiction est énoncée dans le paragraphe 117 du Choul'hane 'arou'h - Yoré Dé'a.
Etant donné que cette loi est instituée par un verset de la Torah, il semblerait que l'interdiction soit mideoraïtha (" instituée par le texte même de la Torah "), et c'est ce que décident les Tossafoth et le Roch (Pessa'him 23a) ainsi que la plupart des Richonim. Cependant, le Rachba (Responsæ III, 223) la tient pour d'origine rabbinique (miderabbanane), et son opinion semble partagée par le Cha'h (Yoré Dé'a 117, 2), encore qu'il soit possible que ce dernier la considère comme étant une guezeira deoraitha, une loi de la Torah qui a pour but de sauvegarder une autre loi.
 

NATURE DE L'INTERDICTION

Il est important de comprendre qu'il n'est pas prohibé de posséder des produits alimentaires interdits, ni de les acheter ou de les vendre, mais d'en " faire commerce ". Il en va de même dans le cas de fruits de l'année de chemita ou dans celui de terouma, qui ne sont pas interdits comme tels à l'achat ou à la vente.
L'interdiction connaît un unique assouplissement et, selon certaines autorités, une unique cause de sévérité.
L'assouplissement, comme nous l'avons déjà indiqué, est que si nous " arrivons fortuitement " sur ces produits (nizdamèn), nous avons le droit de les vendre et même d'en tirer profit. L'exemple mentionné dans la Michna est celui du chasseur qui dresse son piège pour un animal permis et qui découvre un animal interdit, par exemple, un trappeur de fourrures qui dresse un piège pour un castor (les castors n'étant traqués que pour leur fourrure et non pour servir de nourriture) et qui attrape un porc. Cette catégorie sera élargie, ainsi que nous le verrons, par beaucoup d'importantes décisions rendues par les A'haronim.
La sévérité est un corollaire de l'assouplissement. D'une part, on peut acheter et vendre quelque chose sans que ce soit son activité habituelle. A l'inverse, on peut faire commerce de quelque chose sans l'acheter ou le vendre réellement. Telle est en tout cas la position du Teroumath hadéchèn (paragraphe 200), acceptée par Rema (Yoré Dé'a 117, 1), qui considèrent qu'il est même interdit de prêter de l'argent en prenant en gages des objets interdits. Car cela revient à acquérir un intérêt - même si on n'en est pas propriétaire- dans des objets interdits à l'occasion d'une activité rémunératrice et donc à en " faire commerce ".
Le 'Hatham Sofèr laisse entrevoir dans deux responsæ (Yoré Dé'a 104 et 108, citées dans Pit'hei techouva 117, 6) l'étendue de cette interdiction selon le cheminement logique suivant :
1. Si l'interdiction porte sur les transactions en tant que telles, il serait alors permis d'entrer en contact habituel avec les articles interdits, dès lors qu'on n'en vendrait ni qu'on n'en achèterait. Il serait ainsi autorisé d'être simplement un courtier.
2. Si l'interdiction est une barrière instituée pour dissuader de manger ces articles, toute transaction serait alors permise dès lors qu'on n'aurait aucun contact avec les produits interdits.
Le 'Hatham Sofèr conclut qu'il nous faut éviter les deux problèmes, la propriété et le contact étant tous les deux interdits. Mais comme un courtier en produits alimentaires n'entre pas en contact avec ses marchandises, son activité est permise même sur une base habituelle, si elle lui procure des occasions irremplaçables de gagner sa vie.
Le 'Hatham Sofèr considère également qu'il n'y a pas de véritable " propriété ", au sens de cette interdiction, s'il n'y a pas eu acquisition par l'un des actes traditionnels de kinyane (" forme hala'hique appropriée pour un transfert de propriété "). (Cette opinion est très étonnante, parce que le 'Hatham Sofèr explique dans une autre responsa [II - Yoré Dé'a 314] que les modes d'acquisition employés habituellement par les négociants [sitomta - dont la Guemara Baba Metsi'a 74a nous apprend qu'ils sont valables] sont aussi efficaces que des kinyanim selon la Torah. Il affirme encore que les acquisitions reconnues par la loi séculière bénéficient aussi de ce statut. J'invite quiconque trouvera une solution à cette contradiction à m'en faire part.)
A cela nous croyons pouvoir ajouter une troisième considération :
3. Il est inconvenant (me'houar) pour un Juif de faire son gagne-pain habituel d'articles interdits. C'est le point de départ auquel fait appel le point de vue du Teroumath hadéchèn qui interdit également leur utilisation comme objets gagés. Cependant, étant donné que cette considération est particulièrement subjective de nature, le Teroumath hadéchèn estime qu'on peut être indulgent s'il y a risque de perte.
Nous avons dit plus haut que les A'haronim tiennent la définition de " survenance fortuite " (nizdamèn) pour élastique. Par exemple, le Taz (Yoré Dé'a 117, 4) examine le cas de quelqu'un qui achète toute une ville - à savoir une " ferme " d'impôts - alors qu'une partie des rentrées fiscales de la ville est constituée par des porcs. Le Taz l'y autorise puisque les porcs sont une partie incidente du contrat. Le Pit'hei techouva (Yoré Dé'a 117, 6) examine le cas d'un Juif qui élève ou qui prend au piège des animaux pour leurs peaux, mais qui, après les avoir dépouillés, vend aussi leur viande. Dans ce cas, il vend de manière habituelle de la viande interdite à l'occasion de son activité commerciale, mais plusieurs A'haronim le permettent étant donné que c'est la peau qui est concernée à titre principal.
Nous avons aussi souligné la similarité de l'actionnaire avec l'associé " silencieux " dans un 'isqa. Les associations " silencieuses " où le partenaire " actif " effectue des transactions dans des marchandises interdites sont examinés dans beaucoup de responsæ. Le Zéra' émeth (Yoré Dé'a 94) rapporte une discussion entre le Devar Chemouel (144) qui les interdit et le Devar Moché (Yoré Dé'a 13) qui les autorise. Le Zéra' émeth lui-même tend à l'indulgence. Le Beith Yits'haq (Yoré Dé'a 144) cite le Zéra' émeth, mais statue de manière rigoureuse.
 

APPLICATION à L'ACTIONNAIRE

Dans les chapitres précédents, nous avons expliqué que l'une des thèses en présence considère l'actionnaire comme un simple créancier et les actifs de la société comme son gage, et que, selon cette opinion, il y a peu d'objections à ce que l'on possède des parts de capital dans une société qui prête ou emprunte à intérêt ou qui possède du 'hamets pendant Pessa'h. Cependant, cette approche ne nous met pas complètement à l'abri des difficultés quand il s'agit du commerce de produits alimentaires interdits puisque, ainsi que nous l'avons vu, même le prêt gagé sur des marchandises interdites est tenu pour " inconvenant "
En revanche, si nous considérons l'actionnaire comme un propriétaire et associé, il y a beaucoup de raisons d'être indulgent :
1. Si les produits alimentaires interdits ne constituent pas l'activité principale de la société, il semble qu'ils entrent dans la catégorie de nizdamèn selon les opinions du Taz et de Pit'hei techouva.
2. Même si ces produits constituent l'activité principale de la société, l'actionnaire n'intervient certainement jamais de manière habituelle dans leur acquisition et n'entre jamais en contact avec eux. Aussi bien, selon le 'Hatham Sofèr, nous pouvons être indulgent s'il y a là une occasion unique de profit. (Le même genre de raisonnement paraît devoir s'appliquer aux marchés à terme et aux options. Ces instruments financiers, dans l'immense majorité des cas, sont utilisés pour la valeur qu'ils représentent et non aux fins d'acquisitions véritables).
Dans ce cas nous pouvons nous demander si le problème de " l'état d'inconvenance " (me'houar) existe. Si le Teroumath hadéchèn s'inquiétait de l'apparence d'une situation inconvenante - où tout le monde saurait que le nommé Untel passe son temps à tendre des collets aux porcs des gens - il n'existe dans notre cas, en revanche, aucun problème, étant donné que la possession de titres boursiers est anonyme. Si le problème se pose par rapport à l'investisseur lui-même - un Juif ne doit pas dépendre pour son gagne-pain des entrailles de porcs - alors il se posera avec toute société dont la principale activité est de faire commerce de denrées alimentaires interdites, ce qui nous induira à nous montrer indulgents, mais seulement s'il y a un risque de perte.
Une fois que les actions ont été acquises, il se peut que nous puissions considérer les parts de capital elles-mêmes comme une" survenance fortuite " (nizdamèn), et il n'est pas nécessaire dans ce cas de les vendre même si la principale activité de la société porte sur des aliments interdits. Cela est vrai en particulier si les titres ont été reçus en cadeau (voir Cheélath Yechouroun - Yoré Dé'a 16), ou s'ils font partie du portefeuille " normal " d'une S.I.C.A.V. (Société d'investissement à capital variable) ou d'un F.C.P. (Fonds commun de placement).
 

INTERDICTIONS CONNEXES

Cette discussion a porté uniquement sur les produits que l'on a le droit, en tant que tels, d'acheter, de posséder, de vendre et dont on peut tirer profit, mais sans pouvoir en faire commerce. Nous n'avons pas examiné le problème des issourei hanaa - à savoir de ce dont un Juif n'a pas le droit de profiter du tout. Nous citerons comme exemple banal le problème des mélanges interdits de viande et de lait, qui se posera inévitablement lors de l'achat par un Juif d'actions McDonalds, ou celui du vin d'origine non juive selon le Choul'hane 'arou'h (mais le Rema est indulgent - Yoré Dé'a 123, 1). Il est d'autres articles, moins ordinaires, dont il est interdit de tirer profit, comme la 'orla ou les cadavres et leurs accessoires. Le problème des issourei hanaa - tant au " niveau Torah " (mideoraïtha) qu'au " niveau rabbinique " (miderabbanane) - a été examiné au chapitre précédent, à propos du 'hamets à Pessa'h.
L'interdiction de tout ce qui a rapport avec l'idolâtrie est beaucoup plus sévère. Il existe deux raisons à cela. En premier lieu, la nature du bénéfice interdit est différente et plus sérieuse, ainsi que l'indique la Torah : " Rien ne s'attachera à ta main de ce qui est voué à la destruction (meouma mine ha'hérèm) " (Devarim 13, 18). D'autre part, l'idolâtrie est interdite même aux non-Juifs, de sorte que tout commerce dans ce domaine pourrait constituer une incitation au péché. Nous n'examinerons pas ce problème plus avant.

 

Traduction et adaptation de Jacques KOHN


A PROPOS DE L'AUTEUR
le Rabbin Asher MEIR
Le rabbin Asher MEIR a reçu un diplôme de Ph.D. en Economie au Massachusetts Institute of Technology, ainsi que l'ordination rabbinique en Israël après avoir étudié pendant douze ans dans des yechivoth. Il dirige le Jewish Business Response Forum, au JCT Center for Business Ethics, et il enseigne les sciences économiques au Jerusalem College of Technology. Avant son installation en Israël, il a travaillé comme conseiller économique auprès de l'administration Reagan. Il a publié plusieurs articles sur des sujets relatifs au commerce et à l'économie modernes et sur la loi juive.
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