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| Nous ne remercierons jamais assez Benny LEVY de nous avoir montré qu’il était possible de sortir de la religiosité frileuse pour aller vers le questionnement constituant, d’instaurer entre notre subjectivité et la lettre et tout l’espace de la signification. |
Benny LEVY
nous
a quittés.
Il y a
un an jour pour jour, il était l’invité d’honneur
du gala de LEV. Il y prit la parole au milieu du cliquetis des couverts et
du bourdonnement des conversations… Ses mots étaient précis,
ses phrases concises, d’une limpidité tranchante. Peu à peu
le silence se fit. L’assemblée ne pouvait que l’écouter
; mais bientôt ce qu’il disait finit par surprendre, voire choquer.
Nous avions
pris le risque du penseur et de sa pensée. Il nous fallait
l’assumer. Quelques phrases. Une idée. Mais une idée contre.
La vraie pensée est souvent contre. C’est là qu’elle
prend sa forme entière, qu’elle se moule au plus près de
la vérité.
Un juif
qui pense est toujours contre. Il n’est d’ailleurs là que
pour ça. Montrer aux autres, aux autres juifs, aux autres nations, ce
que l’Autre veut dire, comment l’autre dérange. Quintessence
de l’altérité, de la pensée autre qui ne va pas
de soi.
Qu’avait dit Benny LEVY (zal) ce soir là ?
En substance, deux choses :
- La pensée grecque, pensée d’une audace inouïe,
est la seule pensée qui puisse se confronter à la Torah, la seule
pensée dont la Torah doive à un moment ou à un autre tenir
compte. Le juif, citoyen des exils est la figure incontournable de l’Universel. - Le juif
n’est pas le particulier tandis que l’homme occidental
incarnerait l’Universel, mais juste le contraire : le juif, citoyen des
exils est la figure incontournable de l’Universel. Réductible à aucun
communautarisme du fait qu’il est de ceux qui tout au long de leur histoire
ont dû se sortir de toutes les intolérances, de tous les rationalismes
et de tous les systèmes d’intégration s’épuisant à s’adapter,
trop ou pas assez comme eux, jamais aliénables à une place, à un
lieu. C’est en ce sens disait Benny LEVY (zal), que les juifs français
n’étaient pas, ne pouvaient pas être d’abord français,
identitairement français et accessoirement juifs, mais bel et bien juifs
d’abord et subsidiairement français comme ils avaient été,
sous d’autres cieux, à d’autres époques, Russes,
Marocains, Polonais…
On sentait
dans sa voix une fébrilité. La fébrilité de
l’homme blessé par la « Canaille » humaniste, la presse
française qui a la main sur le cœur…, la fébrilité de
l’ancien apatride.
Nous, les
enfants de la République, notre carte « d’identité » douillettement
calée dans notre portefeuille, nous avons tiqué. Lui qui avait
fait l’expérience de la fuite et du déracinement parce
que juif, nous disait ce soir-là que notre identité première était
ailleurs. Il nous expliqua à travers une analyse du Maharal, comment
Rome, le monde occidental était une force de destruction et d’absorption,
les « mâchoires de fer » dont parle Daniel...
Au mois
de mai, Benny LEVY (zal) accepta d’introduire l’une de
nos journées d’étude approfondie sur la prière (JEAL).
Il fut
une fois de encore notre « compagnon de route ». Son exposé fut
brillant. A partir d’un texte du Talmud, il commenta la prière
de ‘Hanna et approfondit la notion de zerika : ‘Hanna « jetait » littéralement
les mots de sa prière vers D.ieu. Quel était le sens de ce jet
? Que révélait la prière comme jet et rejet sur nous-même.
Je me souviens
avoir vu quelques personnes pleurer… Le penseur dérange.
Mais l’homme de Torah émeut et fait se mouvoir par delà le
raisonnement, des résonances, des échos. Après l’expérience
du gala, c’est avec appréhension que nous lui redonnions la parole.
Une espèce de petite peur au ventre. Que va-t-il encore dire ? Et dans
le même mouvement nous nous sentions incapables de ne pas prendre le
risque, une fois encore, de sa parole.
Ce risque nous ne le prendrons plus.
Il nous faudra désormais le chercher ailleurs. En nous peut-être. Si le juif est celui qui met du sens partout, il se doit de commencerdans le corps même du texte qui le nourrit. Ce que
Benny LEVY (zal) a représenté pour moi qui ne l’ai
pas connu personnellement (quelques brefs échanges, un projet de thèse
sur Maïmonide…) c’est l’horizon d’une étude
dans la pensée. L’idée que l’étude exigeante
du Talmud, pouvait, devait se poursuivre dans l’exigence de la pensée.
Si le juif est celui qui met du sens partout, il se doit de commencer dans
le corps même du texte qui le nourrit.
Benny LEVY
(zal) était un des garants moraux. Sans le connaître,
je savais, nous savions qu’il était là, que la confrontation
entre les plus hautes exigences de la pensée et le Limoud Hatorah Lichma
(de l’étude de la torah pour elle-même) était possible.
Qui le
fera désormais, telle est la question ? Qui nous donnera ce ‘hizouk,
cette force ? Lui qui avait parcouru les arcanes de la pensée philosophique,
analysé les systèmes, compris du dedans la valeur des engagements
politiques, en était revenu et avait choisi la Torah. S’il l’avait
fait, nous pouvions le faire nous aussi et laisser derrière nous les
Sartre, les Foucault, les Deleuze car après tout, car après tout,
en face de la Torah, cela ne tenait pas.
Certes,
on a beaucoup parlé de l’impact de la pensée de
Levinas sur Benny LEVY. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut dépasser
Levinas, sortir le Talmud et le judaïsme de Levinas, comme il faut le
sortir de la psychanalyse, de l’ethnologie ou de la linguistique. Le texte de la Torah n’est d’aucun système, car il est l’Antérieur de tous les systèmes. Au fond,
l’application d’une grille de lecture quelle qu’elle
soit reste un emprisonnement. Le texte de la Torah n’est d’aucun
système, car il est l’Antérieur de tous les systèmes.
Si philosopher, c’est penser contre, c’est d’abord contre
la philosophie elle-même dès lors qu’elle fige ou réduit.
Le Talmud mérite beaucoup mieux que le regard éthique de Levinas.
Il est par essence pluriel, d’une pluralité infinie. Il est le
livre du sacré, du juridique, des rapports de pouvoir, des relations
homme-femme, il est le livre des livres. A nous de le retrouver, de nous inscrire
et de nous construire en lui.
Benny LEVY
n’était pas loin s’en faut un « plaqueur » de
systèmes ou de grilles. Beaucoup trop intelligent pour ça. C’était
un Talmid ‘Hakham, un Sage qui s’effaçait devant la Lettre.
Et dans cet effacement, le sens prenait un visage, son visage.
Nous ne
le remercierons jamais assez de nous avoir donné le courage
et l’audace de penser le texte dans la soumission au texte.
Nous ne
le remercierons jamais assez de nous avoir montré qu’il était
possible de sortir de la religiosité frileuse pour aller vers le questionnement
constituant, d’instaurer entre notre subjectivité et la lettre
tout l’espace de la signification.
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le rabbin Elie EBIDIA Elie EBIDIA est titulaire d'un CAPES de Lettres et d'un Doctorat en Cinématographie. Il enseigne la Philosophie dans les lycées et au Séminaire Rabbinique de France et donne de nombreuses conférences sur la Pensée Juive. Il est l'auteur, aux Editions Tashma, d'un suspense talmudique, "Mission secrète au Palais des Ombres". |
COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S) | 5 |
Benny, était un homme - 23 Septembre 2005 - par madar yaël Bonjour,
j' ai eu le chance de rencontrer Benny Levy comme prof de philo à la fac, il y a dix ans,nous n'étions pas d'accord sur la finalité du sujet, je disais que pour aimer D.ieu, il fallait aimer son prochain, lui de me dire que j'avais tort, qu'il n'y avait pas que cela.
j' avais 26a, j' ai 37a aujourd'hui, et je souffre de ne pouvoir lui dire ,qu'il avait raison.
Yaël.
Benny Levy - 29 Janvier 2005 - par szlakmann charles Sans être spécialiste de l'oeuvre de Benny Levy, je suis plutôt réticent à l'égard de ses idées, car j'y perçois une hostilité profonde au système démocratique. Et que dire de cette façon péremptoire de proclamer que "les juifs français n'étaient pas, ne pouvaient pas être d'abord français, identitairement français et accessoirement juifs" ! Laissons chacun choisir son propre destin. Pour ma part, la leçon à tirer des errements idéologiques totalitaires n'est pas de remplacer un dogme par un autre, mais de faire preuve,pour le moins, de prudence dans ses jugements ("h'ah'amim, hevou zehirim etc"). Et de ne pas construire de nouveaux camps retranchés, fûssent-ils , comme disait Benny Levy, "le camp du Sinaï".
Shavoua tov, derakheiha darkei noam.
Allons ! pour ma part, la leçon beny levy - 23 Janvier 2005 - par sarfati raphael c'etait hol amoed soucoth,je suis parti a la tephila avec mon pere,vers la fin de la tephila mon pere a comence a se lancer dans une dicussion assez prenante sur la pensee du rambam,de fil en aiguille il en arrive a parler de beny levy il parle de lui comme une personne hors du comun et disait que sa pensee etait proche de la verite,son interlocuteure embalé decide de partir en israel pour mieux approfondir ce sujet avec beny en personne,nous rentrons a la maison avec bcp de retard le telephone sonne mon frere nous donne des nouvelle fraiche d'israel et la voix prise annonce a mon pere la diparition de beny levy(zal) rav beny levy etait un exemple pour le peuple juif du monde entier Benny Levy z.ts.l. etait mon voisin a Jerusalem. Une approche tres lente de l'un vers l'autre; c'etait sa demarche en general. Et, depuis trois ans, des rencontres et "bavardages" , pas plus, lors d'une bar-mitzva, d'une simh'a, et il y a 4 mois, nous voyageons ensemble de Paris a Tel-Aviv. A Orly, avant d'embarquer, echange plus fructueux, qui promet des lendemains... (Pendant tout le vol lui meme, Benny ne quitte pas des yeux sa Guemara pour etudier le Daf Yomi !).
Je pensais que , tot ou tard, j'allais profiter de sa H'ochma dans un cadre d'etude commun, j'en attendais tellement. Je pensais aussi, comme l'a ecrit Elie Ebidia, que Benny Levy n'avait plus besoin du pretexte Levinas pour commencer son plein enseignement de la Torah. Je suppose que des raisons alimentaires l'obligeaient a jouer ce jeu levinassien avec BHL et Finkielkraut. Il avait depasse le stade Levinas, et de loin ! H'aval 'al deavdin ve-lo michtaqeh'in Emettre un commentaire |
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