On appelle le Chabbat qui
précède Pessah, Chabbat HaGadol. L’origine
de cette appellation n’est pas claire car, bien qu’au Moyen Age,
de nombreuses autorités aient cherché à en expliquer la
provenance, elle ne se trouve ni dans la Bible, ni dans la littérature
Talmudique
(1).
Une des approches consiste à lier le Chabbat HaGadol à un verset
particulier de la Haftara qui parle d’un jour dans le futur qui sera
gadol, ce qui signifie « grand »
(2).
«
Or, Je vous enverrai Elie le prophète, avant qu’arrive le jour
grand et redoutable de l’Eternel ». (Malachie 3:23)
Le prophète parle du jour de délivrance qui surviendra dans le
futur. Pessah, qui, de tout temps, a représenté le jour de la
délivrance, est, en fait, l’archétype de cette future rédemption3.
Le Talmud nous enseigne donc :
Rabbi Yehochoua dit : « C’est en Nissan que le monde fut créé ...
l’esclavage de nos ancêtres en Egypte cessa et c’est en Nissan
qu’ils seront délivrés. » (Talmud Roch HaChana
11a)
La tradition, qui confère à Elie un rôle primordial dans
les temps messianiques, nous incite à lire la section relative à l’allusion
que fait le prophète sur ce « grand » jour.
LE DEROULEMENT DE L’EXODE
D’autres commentateurs puisent dans le passé pour trouver une
explication à cette dénomination. Le Talmud nous enseigne que
les Juifs ont quitté l’Egypte un jeudi - le 15 du mois de Nissan
-et que le 10 était donc le Chabbat qui le précédait.
«
Quant au mois de Nissan de la Sortie d’Egypte, le 14, ils firent le sacrifice
pascal, le 15, ils partirent et le soir [de ce même jour] les premiers-nés
furent châtiés… et ce jour-là était un jeudi ».
(Chabbat 87b)
L’importance du 10 Nissan est mentionnée dans la Torah :
«
Parlez à toute la communauté d’Israël en ces termes
: « Au dixième jour de ce mois, que chaque homme se procure un
agneau, pour la maison de son père, un agneau par maison. » (Exode
12 :3)
Tossfot
(4) fait remarquer qu’en prenant un agneau, les Juifs excitèrent
l’intérêt et le courroux des premiers-nés d’Egypte
qui implorèrent Pharaon de laisser partir les Juifs. Devant le refus
du monarque, ils se rebellèrent et s’en prirent à leurs
propres parents
(5). Ce jour est donc
considéré comme grand,
en raison du miracle manifeste que D.ieu accomplit et qui provoqua par la
suite
le déclin de la société Egyptienne. De plus, en abattant
l’objet même de l’adoration des Egyptiens, les Juifs se
libérèrent
eux-mêmes des chaînes de l’esclavage spirituel.
Lorsque le Saint, béni soit-Il, dit à Moïse de tuer l’agneau
pascal, il Lui répondit :
« Maître de l’Univers! Comment
puis-je accomplir une telle chose ? Tu sais bien que l’agneau est un
dieu égyptien. Comme il est dit : Si nous sacrifions l’abomination
des Egyptiens sous leurs yeux, ne vont-ils pas nous lapider ? » (Exode
8:22)
D-ieu répliqua : « Aussi longtemps que tu vivras, Israël
ne partira pas d’ici avant d’avoir tué les dieux égyptiens
précisément sous leurs yeux, afin de leur montrer que leurs dieux
ne sont vraiment rien. » C’est effectivement ce qu’Il [D-ieu]
fit, car cette nuit-là, Il tua les premiers-nés égyptiens
et cette même nuit, les Juifs abattirent leurs agneaux et les mangèrent.
Lorsque les Egyptiens virent leurs premiers-nés tués et leurs
dieux abattus, ils ne purent rien faire, ainsi qu’il est dit : Tandis
que les Egyptiens enterraient ceux que l’Eternel avait châtiés
parmi eux, même tous leurs premiers-nés ; parmi leurs dieux, l’Eternel
exécuta aussi Son décret. (Midrach Rabbah - Exode 16:3)
D-ieu dit ensuite à Moïse : « Aussi longtemps qu’Israël
adorera les dieux égyptiens, Il ne sera pas délivré ;
va leur dire de renoncer à leur mauvaise conduite et de rejeter l’idolâtrie. » C’est
de cela qu’il s’agit dans le verset : « Retirez et prenez-vous
des agneaux ». Ce qui signifie : Retirez vos mains de l’idolâtrie
et prenez pour vous des agneaux, de cette manière, tuez les dieux d’Egypte
et préparez la Pâque ; ce n’est qu’en accomplissant
cela que l’Eternel passera au-dessus de vous. Tel est le sens de En restant
assis immobiles, vous serez sauvés. (Midrach Rabbah - Exode 16 :2)
Le choix de l’agneau était également significatif à un
autre niveau. Les Juifs étaient dès lors occupés à accomplir
une prescription Divine ; en plus du rejet des dieux égyptiens, ils
s’employaient activement à exécuter l’ordre de
D-ieu.
UN MYSTERE
Toutes ces explications, toutefois, semblent ne concerner que l’importance
du 10 Nissan
(6), plutôt que le Chabbat précédant Pessah
(7). Le 10 Nissan en Egypte s’est
trouvé être un Chabbat,
pourtant, sa signification ne semble pas, en apparence, être liée
avec ce jour sacré. Nous pouvons donc en conclure, en se basant sur
les sources que nous avons examinées jusque-là que nous devrions
célébrer
le 10 Nissan tout aussi bien que le 15. Quant à savoir pourquoi nous
célébrons le Chabbat HaGadol, cela demeure un mystère
(8).
Afin de comprendre le problème, nous devons tout d’abord examiner
la relation qui existe entre Chabbat et les Fêtes. Chabbat et les Fêtes
juives se trouvent sur différentes orbites. Le Chabbat est une commémoration
de la Création tandis que les Fêtes tirent leur impulsion de l’Histoire.
De plus, le Chabbat existe au sein d’un système établi
avec la Création dont il est en même temps le produit. Chaque
septième jour de la semaine est un Chabbat, indépendamment de
toute autre donnée du calendrier. Le précepte Divin qui a introduit
la Fête de Pâque a débuté avec le commandement
de garder le temps, de le sanctifier.
«
L’Eternel parla à Moïse et Aaron dans le pays d’Egypte,
en ces termes : « Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois
; il sera, pour vous, le premier mois de l’année. Parlez à toute
la communauté d’Israël en ces termes : "Le dixième
jour de ce mois, que chaque homme se procure un agneau, pour la maison de son
père, un agneau par maison." » (Exode 12 :1-3)
Sanctifier le temps relève de la responsabilité des Juifs. Le
Tribunal décide que le nouveau mois est arrivé et c’est à partir
de ce moment-là et de ce moment-là seulement, que les dates
des Fêtes sont fixées. On pourrait dire que le Chabbat vient
du Ciel tandis que les Fêtes viennent d’ici-bas
(9). Le Chabbat
fut sanctifié en
raison de la création et du repos de D-ieu :
«
Car en six jours l’Eternel a fait le ciel et la terre, la mer et tout
ce qu’ils renferment, et Il s’est reposé le septième
jour ; c’est pourquoi l’Eternel a béni le jour du Chabbat
et l’a sanctifié ». (Exode 20 :11)
LE CALENDRIER JUIF
C’est l’homme qui détermine le calendrier et les Fêtes
:
Rabbi Yo’hanan dit : « Lorsque les anges se rassemblent devant
D-ieu pour lui demander : "À quelles dates sont Roch Hachana et
Yom Kippour ?" D-ieu leur répond : "Pourquoi Me demandez-vous
cela à
Moi ? Vous et Moi, allons au Tribunal sur terre [et informons-nous
de cette question auprès d’eux]." » (Midrach Rabbah
- Deutéronome 2 :14)
Chabbat existant depuis le moment de la création, seul D-ieu était
lié à ce concept qui ne semblait en rien concerner l’homme.
La description du Chabbat, exprimée ci-dessus, comme étant le
résultat de la création est absente la seconde fois que les Dix
Commandements figurent dans la Torah. Cette fois-ci, le verset met en avant
un aspect différent de Chabbat :
«
Et souviens-toi que tu fus esclave au pays d’Egypte et que l’Eternel,
ton D-ieu, t’en a fait sortir d’une main forte et d’un bras étendu
; c’est pourquoi l’Eternel, ton D-ieu, t’a ordonné d’observer
le jour du Chabbat ». (Deut. 5 :15)
Nous trouvons ici une composante historique à Chabbat. Notre devoir
d’observer le Chabbat ne vient pas exclusivement du concept théologique
de création et de repos Divins, mais plutôt, des événements
historiques que sont notre esclavage et notre délivrance.
Ce n’est qu’avec la délivrance des Juifs d’Egypte que le Chabbat acquiert l’identité historique venant s’entremêler à la théologie.
Le Sfat Emet nous enseigne
que le terme « Chabbat HaGadol » résulte
de cette nouvelle importance que revêt le Chabbat. Ce n’est qu’avec
la délivrance des Juifs d’Egypte que le Chabbat acquiert l’identité historique
venant s’entremêler à la théologie. Le Sfat Emet
explique que Chabbat est, dès lors devenu « plus grand » : à présent,
le second aspect de Chabbat, exprimé clairement dans la répétition
des Dix Commandements, peut être réalisé
(10).
EN QUOI CE CHABBAT EST-IL DIFFERENT ?
Ce Chabbat en Egypte fut différent de tous les autres Chabbat précédents
car, pour la première fois, l’homme s’était joint à D-ieu
pour observer Son jour sacré. Contrairement à ce que l’on
pourrait penser, le mode d’observance ne fut pas le repos dans son sens
habituel. En effet, l’homme avait reçu l’ordre de se munir
d’un agneau, un acte qui, comme nous l’avons déjà noté, était
une déclaration ferme affichant une intention clairement polémique
lancée au visage des Egyptiens polythéistes et adorateurs de
l’agneau.
Le Sfat Emet affirme
(11) qu’en prenant un agneau, les Juifs observèrent
Chabbat en Egypte. Ce fut leur premier Chabbat en tant que peuple, un moment
de transition pour devenir une nation : ils avaient atteint l’âge
de la majorité, étaient devenus des adultes (« guedolim »)
qui avaient des responsabilités. Ce fut donc un Chabbat « HaGadol »
(12).
L’enseignement le plus basique en ce qui concerne le Chabbat est la reconnaissance
que D-ieu a créé le monde en six jours. En prenant un agneau,
les Juifs rejetèrent l’idolâtrie et acceptèrent D-ieu.
Ce ne fut pas simplement un acte qui eut lieu le 10 Nissan, mais un tournant
décisif dans l’histoire juive : désormais les Juifs se
joignaient à D-ieu pour observer le Chabbat.
Le Talmud enseigne que celui qui profane le Chabbat se rend coupable d’idolâtrie,
car il a rejeté l’œuvre de D-ieu. Il est donc clair que ceux
qui rejettent l’idolâtrie sont considérés comme « observant
le Chabbat ». De plus, en se procurant un agneau, ils observèrent
l’unique commandement du Chabbat qui leur fut donné et cet « accomplissement
parfait » fit de ce jour un Chabbat réellement grand
(13).
Nos sages nous enseignent que si tout le peuple d’Israël observe
complètement deux Chabbatot seulement, il méritera la venue
du Messie :
Rabbi Yo’hanan dit au nom de Rabbi Chimon bar Yo’haï : « Si
Israël observait deux Chabbat selon les lois qui s’y rapportent,
il serait immédiatement délivré. » (Chabbat 118b)
Il est intéressant de noter que, selon le courant de pensée juive
dominant, le monde a été créé en Nissan, ce qui
signifie que le Chabbat qui eut lieu le 10 du mois constitua le second Chabbat
dans l’histoire du monde. Si ces deux Chabbat avaient été observés
correctement, le monde aurait été délivré.
Dans les Sifré Hapardes, Rav Yechiel Epstein explique que les deux Chabbat
devant être observés sont Chabbat Hagadol et Chabbat Chouva. Chacun
de ces deux Chabbat possède un pouvoir spécifique qui lui est
propre :
L’un de ces Chabbat tombe entre Roch Hachana et Yom Kippour et enseigne à l’homme
la manière de retourner vers D-ieu ; l’autre fut le premier Chabbat
observé en Egypte et contient en lui les germes de la délivrance.
Que l’homme parvienne à maîtriser ces deux Chabbat et
le Messie arrivera promptement.
Traduction et Adaptation
de Ra'hel Katz
NOTES
1. Le Makhzor Vitri section 259 précise : « Il est d’usage
d’appeler le Chabbat qui précède Pessah "Chabbat HaGadol" sans
que l’on en connaisse la raison. Ce terme se trouve dans le Zohar 1 47b,
2 204a, les Tikounei Zohar 40b.
2. Cité au nom de Rav Chlomo Louria, plus connu sous le nom de Maharchal,
voir Maté Moché section 542, Rav Ovadia Yossef, Yabia Omer 4:39.
Ainsi que le Maharal dans Guevourot Hashem chapitre 39, et Tiféret Israel
chapitre 44.
3. Le Rav Soloveitchik souligne que le terme « guéoula » n’est
utilisé que pour décrire deux événements : la rédemption
d’Egypte et les temps messianiques. Pour d’autres moments de délivrance,
on emploie le terme de "pourkan," comme pour ‘Hanoucca et Pourim.
4. Commentaire sur Chabbat 87b.
5. « À Celui qui frappa l’Egypte dans ses premiers-nés » (Psaumes
136 :10). Lorsque D-ieu envoya la plaie des premiers-nés, chaque premier-né alla
trouver son père pour lui dire : « Tout ce que Moïse a dit
s’est révélé vrai, ne désires-tu pas que
nous vivions ? Faisons sortir les Hébreux de nos maisons sinon nous
mourrons tous. » Les pères répondirent : « Même
si toute l’Egypte devait en mourir, ils ne partiront pas. » Tous
les premiers-nés se rassemblèrent devant Pharaon et s’écrièrent
: « De grâce, fais partir ce peuple, parce qu’à cause
d’eux, le mal s’abattra sur nous et sur toi. » Pharaon dit
alors à ses serviteurs : « Faites-les sortir et brisez-leur les
genoux. » Que firent-ils ? Chacun d’eux prit son épée
et tua son père. Ainsi, il est dit : À Celui qui frappa l’Egypte
dans (avec) ses premiers-nés. (Midrach Téhilim 136 :6, Ancient
Tan’houma Bo 18). Pour en savoir plus sur cette idée, voir mes
Notes sur la Parachat Bo, 5759.
6. Cette question a été soulevée par de nombreux commentateurs
: Voir Taz, Maguen Avraham ainsi que d’autres commentaires de la section
430 du Orakh ‘Haïm.
7. Il existe un débat sur la question de savoir si, dans l’éventualité où le
premier jour de Pâque est un dimanche, la Haftara spécifique doit être
lue la veille ou le Chabbat précédent.
8. Certains ont la coutume de lire la Haggada durant le Chabbat HaGadol. Cet
usage est mentionné dans les coutumes du Maharil, "Les lois du
soir de Pessah" section 10 et fut institutionnalisé par le Ramah
Orakh ‘Haïm 430 :1. Le Gaon de Vilna (Biour Hagra 430) voyait d’un œil
désapprobateur cette coutume basée sur le fait que la Mekhilta
et la Haggada elle-même suggèrent que le commandement de raconter
l’histoire de l’Exode doit éventuellement être accompli
le premier du mois. En fait, le verset insiste : "Et tu raconteras à ton
fils ce jour-là, en disant : Ceci est accompli en raison de ce que l’Eternel
a accompli pour moi lorsque je suis sorti d’Egypte." (13 :8) ce
jour-là, tu dois raconter à ton fils et pas le Chabbat qui précède
Pessah.
9. Rav Tsadok Hacohen de Lublin, Pri Tsadik Chabbat Hagadol 3.
10. Sfat Emet Chabbat Hagadol 5637.
11. Sfat Emet Chabbat Hagadol 5646.
12. Sfat Emet Chabbat Hagadol 5674.
13. Voir ‘Houlin 5a et les commentaires de Rachi.