Au début de 1942, les Allemands tenaient sous leur botte 9 millions de
Juifs (sur un total de 11 millions vivant en Europe et en Union Soviétique),
avec l'intention, bien entendu, de les massacrer tous.
Les tueurs des Einsatzgruppen avaient éliminé à
la mitrailleuse un million et demi de Juifs, comme nous l'avons vu au chapitre
60. Cela n'était cependant pas un moyen efficace de tuer tous ces millions
de gens : il était trop désordonné, trop lent, et d'un
coût trop élevé en munitions.
C'est pourquoi les Allemands ont entrepris une politique appelée la "
Solution finale ", qui a été décidée au cours
d'une conférence tenue à Wannsee, près de Berlin, le 20
janvier 1942 :
"Au lieu de l'émigration, il existe maintenant une autre solution
possible à laquelle le Fuehrer a déjà donné son
accord. Il s'agit de la déportation vers l'est. Bien que ce ne doive
être considéré que comme une mesure provisoire, cela nous
fournira l'expérience pratique qui sera spécialement valable
lorsque sera entreprise la future solution finale. Au cours de la mise en
œuvre pratique de la solution finale, l'Europe sera balayée d'ouest
en est".
Les camps de la mort
La " Solution finale " - le gazage systématique de millions
de Juifs - a été mise en place principalement par les chefs de
la Gestapo, à savoir Adolf Eichmann et Reinhardt Heydrich.
Sur les 24 camps de concentration (outre les innombrables camps de travail),
six " camps de la mort " à proprement parler ont été
créés, à savoir :
Auschwitz - 2 millions de personnes
massacrées
Chelmno - 360 000 personnes massacrées
Treblinka - 840 000 personnes massacrées
Sobibor - 250 000 personnes massacrées
Maïdanek - 200 000 personnes massacrées
Belzec - 600 000 personnes massacrées.
Auschwitz est le plus
célèbre de tous parce que c'est là que la machine à
tuer a été la plus efficace. Entre 1941 et 1944, 12 000 Juifs
y ont été gazés chaque jour. En plus des Juifs, des centaines
de milliers d'autres individus, considérés comme des menaces envers
le régime nazi ou tenus pour racialement inférieurs ou socialement
déviants, ont été également mis à mort.
Comme si le meurtre de sang-froid de millions de Juifs n'était pas assez, on les a tués avec une cruauté perverse extrême.
Les victimes étaient entassées dans des wagons à bestiaux
où elles ne pouvaient se tenir que debout, sans nourriture ni eau, ni
chauffage en hiver, ni aménagements de toilettes. Beaucoup mouraient
avant d'arriver à destination. Ceux qui y parvenaient avaient la tête
rasée, leur chevelure servant à bourrer les matelas. Dépouillés
de tous leurs vêtements, la plupart étaient conduits nus dans les
chambres à gaz.
Des " expériences médicales " bizarres et sadiques ont
été pratiquées sur de nombreuses victimes hors de toute
anesthésie. C'est ainsi que l'on a cousu ensemble des gens pour en faire
des frères siamois artificiels. D'autres ont été jetés
dans de l'eau glacée pour vérifier les limites de l'endurance
humaine.
Les Juifs étaient même humiliés après la mort. Les
dents en or étaient arrachées des bouches des cadavres. Dans certains
cas, on a fait du savon de leurs corps et des abat-jour de leurs peaux.
Certains de ceux qui paraissaient assez robustes étaient utilisés
comme esclaves pour l'effort de guerre nazi. Avec des rations de famine, on
les portait jusqu'à leurs extrêmes limites physiques, puis on les
tuait ou on les envoyait dans les camps de la mort.
Les efforts de résistance
Toute tentative d'évasion ou de résistance entraînait
des représailles brutales. Le 14 mars 1942, par exemple, un certain nombre
de Juifs ont échappé, sur un chantier de travail, au détachement
chargé de leur surveillance à Ilja (Ukraine) et ont rejoint les
partisans. En punition, tous les Juifs vieux et malades ont été
tués à coups de feu dans la rue, et 900 ont été
conduits dans un bâtiment où on les a brûlés vifs.
Sam Halpern, un survivant du camp de travail de Kamionka a expliqué :
" Je n'ai jamais envisagé de m'évader. Je ne voulais pas
que d'autres soient mis à mort à cause de ma décision.
"
Il y a eu néanmoins des soulèvements, et ce dans au moins cinq
camps et vingt ghettos.
La tentative la plus célèbre a été la révolte
du ghetto de Varsovie. Le 19 avril 1943, les Nazis ont commencé sa liquidation
- en envoyant ses habitants à Auschwitz - mais ils ont rencontré
une résistance armée.
Mordekhaï Anielewicz, qui dirigeait à 23 ans le soulèvement,
a écrit dans sa dernière lettre, datée du 23 avril 1943
:
"Ce qui est arrivé a dépassé nos rêves les
plus insensés. Deux fois les Allemands se sont enfuis de notre ghetto.
Un de nos pelotons a tenu quarante minutes et l'autre six heures… Je
n'ai pas de mots pour vous décrire les conditions de vie des Juifs.
Seul un petit nombre survivra ; les autres périront tôt ou tard.
Les dés en sont jetés. Dans les caves où se cachent nos
camarades, on ne peut, faute d'aération, allumer aucune bougie…
L'essentiel est que le rêve de ma vie est devenu vrai ; j'ai assez vécu
pour voir la résistance juive dans le ghetto dans toute sa grandeur
et toute sa gloire."
Mais à la fin, les Juifs ne pouvaient plus tenir face à l'artillerie,
aux mitrailleuses et aux troupes allemandes. Les Allemands détenaient
1 358 fusils contre 17 chez les Juifs. Le résultat final a été
la destruction de tout le ghetto, ceux qui se cachaient dans les caves étant
brûlés vivants.
Sans précédent
La tentative nazie visant à l'élimination délibérée
et systématique de tout un peuple de la planète a été
sans précédent dans l'histoire humaine.
Hitler s'en est pris aux Juifs pour une raison spécifique, qui n'était
pas seulement raciale. L'élimination des Juifs avait un " statut
" unique dans son plan directeur. S'il est vrai qu'il a fait massacrer
des millions d'autres êtres humains, comme les Gitans, les homosexuels,
etc., il a prévu des exceptions dans chacun de ces groupes. Le seul groupement
humain pour lequel aucune exception n'a jamais été tolérée
était les Juifs : Ils devaient mourir tous.
Voici ce qu'écrit Lucy Dawidowicz dans
The War
Against the Jews :
"La solution finale a transcendé les frontières
de l'expérience historique moderne. Jamais avant dans l'histoire moderne
un peuple n'avait fait du massacre d'un autre l'accomplissement d'une idéologie,
où les moyens employés étaient identiques aux fins. L'histoire
a enregistré, nous le savons tous, des massacres et des destructions
terribles perpétrés par des peuples contre d'autres peuples.
Mais tous, pour cruels et injustifiables qu'ils aient été, étaient
destinés à des fins instrumentales, comme étant des moyens
employés en vue d'un aboutissement, et non des aboutissements en eux-mêmes."
Autrement dit, l'élimination des Juifs n'était pas une fin en
soi. Elle était un moyen en vue d'une fin. Ce qu'était cette fin,
Hitler l'a expliqué lui-même dans ses écrits et ses discours.
Hitler avait compris qu'avant la naissance de la vision éthique juive, le monde fonctionnait comme une jungle.
Hitler était persuadé qu'avant le monothéisme et la naissance
de la vision éthique juive, le monde fonctionnait selon les lois de la
nature et de l'évolution : la survie du plus robuste. Le fort survivait
et le faible périssait. Mais dans un monde opérant selon un système
éthique dicté par une divinité, où ce sont des normes
d'origine divine qui s'appliquent et non la loi du plus fort, les faibles n'ont
pas à craindre les forts. Selon la vision de Hitler, les forts s'en trouvent
émasculés, et cela par la faute des Juifs.
Son plan - dont il s'en est fallu de peu qu'il ne parvînt à exécution
- a consisté à conquérir le monde et à y installer
une race barbare supérieure. Mais pour y arriver, il fallait commencer
par se débarrasser des Juifs. Comme il disait :
"Les Dix Commandements ont perdu leur validité… La conscience
est une invention juive. Elle est une souillure comme la circoncision…
La lutte pour la domination mondiale est menée entièrement entre
nous, entre les Allemands et les Juifs."
(Hermann Rauschning, Hitler Speaks, p. 220 et 242.)
Toute sa machine de guerre a été orientée dans ce but.
Tout à la fin, la destruction de son armée par les Alliés
le dérangeait moins que de savoir que des Juifs étaient encore
en vie.
Il a dérouté des trains dont il aurait eu le plus grand besoin
pour transporter des renforts de troupes sur le front russe, où il était
en train de perdre la guerre, uniquement pour continuer d'envoyer des Juifs
à Auschwitz. Pour lui, le plus grand ennemi était le Juif.
La dernière chose qu'il a affirmée avant de se suicider dans son
bunker le 30 avril 1945 a été une exhortation à continuer
le combat contre l'ennemi de toute l'humanité - les Juifs. Voici ce qu'ordonnait
sa dernière dépêche :
"Et surtout, j'enjoins aux dirigeants de la nation et à ceux placés
sous leurs ordres d'appliquer intégralement les lois raciales et de
s'opposer impitoyablement à l'empoisonneur universel de tous les peuples,
la juiverie internationale."
Le contexte historique
Il est important de noter ici que l'antisémitisme qui
a conduit les Nazis à commettre l'impensable n'est pas apparu spontanément.
Ce n'était même pas la philosophie personnelle de Hitler.
Rappelons (voir chapitre 53) que c'est un grand penseur allemand du XIXème
siècle, Wilhelm Marr, qui a employé pour la première fois
le terme " antisémitisme ". Il voulait, en introduisant ce
mot, distinguer la haine des Juifs comme membres d'une religion (" antijudaïsme
") de celle des Juifs comme membres d'une race/nation (" antisémitisme
"). Il écrivit en 1879 un livre intitulé
Victoire du judaïsme
sur le germanisme qui a connu de grands succès et où il avertissait
:
"Il n'y a pas moyen d'arrêter les Juifs. Existe-t-il quelque signe
que leur crépuscule soit proche ? Non ! Le contrôle de la société
et de la politique par la juiverie ainsi que sa domination sur la pensée
religieuse et ecclésiastique n'en sont encore qu'au début de
leur développement. Oui, grâce à la nation juive l'Allemagne
va devenir une puissance mondiale, une nouvelle Palestine occidentale. Et
cela n'arrivera pas par une révolution violente mais par la soumission
des gens. Nous ne pouvons rien reprocher aux Juifs. Ils se sont battus contre
le monde occidental pendant 1 800 ans et ont fini par le vaincre. Nous avons
été vaincus. Les Juifs ont entrepris tardivement leur assaut
sur l'Allemagne, mais une fois commencé rien ne les a arrêtés…"
"Je réunis les dernières forces qui me restent afin de
mourir paisiblement comme quelqu'un qui ne capitulera pas et qui ne demandera
pas pardon. Il est un fait historique patent qu'Israël est devenu la
première superpuissance politique et sociale du XIXème siècle.
Nous avons parmi nous une tribu étrangère malléable,
tenace et intelligente qui sait comment et de beaucoup de manières
différentes rendre palpables les réalités abstraites.
Ce ne sont pas des Juifs individuels mais l'esprit et la conscience juifs
qui ont terrassé le monde. Tout cela est la conséquence d'une
histoire culturelle si unique et si grandiose en son genre, que les polémiques
de chaque jour ne peuvent rien contre elle. Malgré la puissance de
ses armées, l'orgueilleux Empire romain n'a pas accompli ce que le
sémitisme a réalisé à l'ouest et particulièrement
en Allemagne."
Gardons bien présent à l'esprit que lorsque Marr a écrit
ces mots, l'Etat d'Israël n'existait pas, et rien ne laissait penser, au
plan de la situation géopolitique de l'époque, qu'il pourrait
naître un jour. Lorsque Marr parlait de la menace nationale juive, il
faisait allusion à la grande lutte idéologique menée par
la judaïsme contre le paganisme, telle qu'elle avait caractérisé
toute l'histoire juive. Nous l'avons observée entre les Grecs et les
Juifs (chapitre 27) et entre les Romains et les Juifs (chapitre 33).
Pour Hitler, elle était en train de continuer entre les Allemands et
les Juifs.
Une lumière pour
les nations
L'idée que se faisait Hitler du rôle des Juifs dans le monde n'était
pas fausse. Elle correspondait, en fait, à la vision juive traditionnelle.
Quand les Juifs ont accepté la Tora au Mont Sinaï, ils sont devenus
le peuple élu dont le rôle et la responsabilité sont d'introduire
dans le monde un code de moralité d'origine divine. Ils devaient devenir,
selon les termes employés par le prophète Isaïe, " une
lumière pour les nations ".
C'est à cela que Hitler voulait mettre fin, considérant que les
Juifs, aussi longtemps qu'il y en aurait, même en petit nombre, continueraient
d'accomplir cette mission donnée par Dieu :
"S'il ne reste qu'un seul pays, pour quelque raison que ce soit, à
tolérer une famille juive sur son sol, cette famille deviendra le point
d'éclosion d'une nouvelle sédition. Si un seul petit garçon
juif survit, même sans aucune éducation juive, sans aucune synagogue
ni aucune école hébraïque, le judaïsme n'en habitera
pas moins son âme. Même s'il n'y avait jamais eu de synagogue
ou d'école juive ou d'Ancien Testament, l'esprit juif continuerait
d'exister et d'exercer son influence. Il en a été ainsi depuis
les origines, et il n'est pas un Juif, pas un seul, qui ne le personnifie
pas."
(Hitler's Apocalypse,
de Robert Wistrich, p. 122.)
Quand nous considérons cela selon cette perspective, nous recueillons
une vision complètement différente de ce qu'a représenté
la Shoah. Le judaïsme traditionnel considère qu'elle a fait partie
de la lutte ultime entre le bien et le mal telle qu'elle se poursuit depuis
le commencement des temps.
La libération
En fin de compte, Hitler n'a pas réussi à mettre à exécution
son plan d'élimination complète des Juifs. Il a cependant réussi
à massacrer un tiers de la population juive mondiale et à enseigner
au monde la signification du mal.
Quand les armées alliées (les Russes à l'est et les Américains
et les Britanniques à l'ouest) ont libéré les camps vers
la fin de la guerre, ils ont été accueillis par des scènes
d'une indéfinissable horreur.
Les films tournés par les forces alliées lorsqu'elles sont entrées
dans les camps étaient si horribles qu'ils n'ont pas été
projetés publiquement de nombreuses années durant.
La libération n'a pas mis fin à la mort de Juifs.
Malgré les efforts des Alliés pour les sauver, beaucoup de victimes
ont péri d'épuisement et de maladie après la libération.
Dans le camp de Bergen-Belsen, 13 000 sont morts après l'arrivée
de leurs libérateurs britanniques.
Certains survivants ont été tués par des partisans et des
paysans non juifs après être sortis des camps. Certains ont essayé
de récupérer leurs appartements, mais n'y ont rien trouvé
ou se sont heurtés à de nouveaux occupants qui refusaient de quitter
les lieux.
Le total des morts a dépassé tout ce qu'on pouvait imaginer.
En se basant intentionnellement sur les chiffres minimaux et probablement sous-estimés,
Sir Martin Gilbert, dans son ouvrage The Holocaust, estime à au moins
5 950 000 le nombre de Juifs massacrés entre 1939 et 1945.
Ce chiffre représente à peu près la moitié de toute
la population juive d'Europe.
Le judaïsme d'Europe de l'est a été presque entièrement
effacé.
Mais si la Shoah a marqué le fin de la communauté juive d'Europe
de l'Est, elle a été la cause - au moins indirectement - de la
renaissance d'Erets Yisrael, sous la forme d'un Etat juif pour la première
fois depuis 2 000 ans. Nous verrons dans notre prochain chapitre comment cet
Etat est devenu de nos jours le grand refuge pour les Juifs.
Notre prochain chapitre : Le retour en Erets Yisrael.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN
Le rabbin Ken Spiro,
originaire de New Rochelle, NY (Etats-Unis), a obtenu au Vasser College un BA
de langue et de littérature russe, et il a poursuivi ses études
à l'Institut Pouchkine à Moscou. Il a été ordonné
rabbin à la Yechiva Aish HaTorah à Jérusalem, et il est
titulaire d'une maîtrise d'histoire conférée par le Vermont
College de l'Université de Norwich. Il habite à Jérusalem
avec sa femme et ses cinq enfants, et il travaille comme conférencier
et comme chercheur sur les programmes éducatifs d'Aish HaTorah.