Logo Lamed.frhttp://www.aish.comAccueil Lamed.fr
...
.

Articles associés

.
...
...
.

Société et Travail

.
...
...
.

Soutenez-nous

.
...
Société et Travail / Travail back  Retour

Car ils sont mes serviteurs N°1

Première partie d'une réflexion sur le statut du salarié dans l'éthique juive, ses droits, ses devoirs, et sa place dans la société.
La tradition juive part de l'hypothèse qu'un ouvrier est une personne nécessiteuse vivant au jour le jour

La tradition juive manifeste une vive préoccupation pour le déséquilibre qui existe dans les rapports sociaux.

En particulier dans le domaine économique et financier, elle se soucie de ceux, dépourvus de prérogatives et de privilèges, dont la faiblesse peut faire des victimes. Si la plupart des codes religieux manifestent de la compassion pour la veuve, l'orphelin et le pauvre, notre tradition nous incite à prendre également la défense du locataire, du consommateur, de l'emprunteur et du salarié.

Cette prise en considération résulte dans une large mesure de la constatation que ces catégories disposent de moins d'influence et de droits que ceux qui leur font face dans les rapports de force. Leur position dans une transaction les place dans une situation désavantageuse, et cela justifie l'attention dont ils sont l'objet tant de la part des autorités publiques que des normes religieuses.

Ce préjugé favorable dont bénéficient les plus faibles dans l'évaluation des rapports sociaux se retrouve dans les paramètres qui définissent les relations entre les employeurs et les salariés. La tradition juive part de l'hypothèse qu'un ouvrier est une personne nécessiteuse vivant au jour le jour, et qu'il a besoin de son salaire quotidien pour entretenir sa famille. C'est pour cette seule raison, expliquent nos Sages, qu'il sacrifie son existence aux risques que lui fait courir son travail et qu'il abandonne sa liberté aux fantaisies d'un autre homme.

Cependant, les rabbins ont aussi compris qu'un ouvrier peut être parfois paresseux et non motivé. Il peut lui arriver de tirer malhonnêtement avantage des absences de son employeur et de se montrer déloyal et insubordonné. On ne peut pas compter sur l'enthousiasme du salarié pour sa tâche ni sur son souci de bien veiller à la marchandise qu'il a charge de produire. La règle est donc une surveillance attentive, accompagnée de règles détaillées sur sa responsabilité en cas de dommages ou de pertes, qui étaient fréquents.


 

L'EVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE HEBRAÏQUE

 

En l'absence d'une véritable organisation politique séculière, l'individu ne possédait ni une identité administrative, ni un statut légal ou social en dehors de sa communauté.

Notre intention dans le présent article est de fournir un aperçu de quelques-uns des plus importants instruments légaux et conceptuels employés pour assurer un certain équilibre entre ces diverses préoccupations. Cela nous permettra de considérer la base sur laquelle ils se sont développés et les valeurs qu'ils représentent.

Nous ferons appel, à cet effet :

-Aux sources bibliques définissant la liberté intrinsèque de l'ouvrier, développées par les textes talmudiques et leurs interprètes,
- Au rôle que jouent dans l'élaboration du contrat de travail les conditions dominantes du marché et les pratiques du monde des affaires.
A l'obligation qui incombe aux ouvriers de servir leurs employeurs d'une manière compétente et diligente.

Il nous semble cependant utile, avant d'entrer dans le vif du sujet, de présenter brièvement la manière dont s'est développée la tradition juive dans le domaine social et économique.

Il y a lieu de noter que la loi juive a évolué selon plusieurs phases se chevauchant les unes les autres.
Dans l'Antiquité et à l'époque classique, les Juifs ont vécu en une entité nationale indépendante sur leur propre terre, tout en subissant fréquemment l'hégémonie d'un pouvoir impérial ou un équilibre diplomatique précaire entre des Empires rivaux. Pour compliquer les choses, ils ont dû parfois coexister avec des populations expatriées, c'est-à-dire des Hébreux ethniques assujettis à une autorité étrangère mais bénéficiant d'une expansion démographique qui faisait s'accroître leurs richesses et leur influence hors de la Terre d'Israël. En Israël même, se développa une hiérarchie politique et administrative autochtone, d'abord autour d'une confédération de tribus dirigée par des juges, des prophètes et des chefs militaires, puis par une monarchie, des prêtres et une structure religieuse centralisée.

 

UN STATUT LEGAL PARTICULIER

 

Après des débuts prometteurs rapportés dans le texte biblique, cette période a été orageuse et marquée par la violence, la guerre civile, les intrigues de palais et les dissensions internes. Par la suite, les gardiens de la tradition ont été contraints à l'exil, dépouillés de leur identité nationale, et forcés de chercher leur survie physique et leur continuité culturelle parmi d'autres civilisations oscillant entre une soupçonneuse mise à l'isolement et une hostilité affirmée.

En général, même les plus bienveillants parmi les seigneurs médiévaux n'ont jamais considéré les Juifs autrement que comme une entité étrangère qu'il valait mieux abandonner à elle-même. La charge de leur gouvernement a été abandonnée, comme par défaut, à des structures qui leur étaient propres. En contrepartie, de lourds impôts ont été prélevés sur les communautés juives en échange d'une garantie de leur sécurité, assurée par la noblesse et les autorités ecclésiastiques locales.

En l'absence d'une véritable organisation politique séculière, l'individu ne possédait ni une identité administrative, ni un statut légal ou social en dehors de sa communauté. Aussi les dirigeants des communautés juives médiévales, appelées les kehiloth, ont-ils maintenu leur contrôle sur leurs administrés au moyen de diverses sanctions économiques, religieuses, commerciales et sociales. On a vu se développer un réseau de kehiloth sans liens entre elles, s'étirant sur l'Europe, le pourtour méditerranéen, le Proche-Orient et l'Afrique du Nord.

Avec l'avènement de régimes séculiers plus bienveillants issus de la Révolution Française, cette influence des kehiloth a reculé. Les membres des communautés juives ont embrassé en masse la culture ambiante, notamment aux Etats-Unis et en Europe de l'ouest. Le nombre d'adhérents loyaux s'en est trouvé sévèrement réduit, et la tradition a été forcée d'élargir son champ de vision en réponse aux défis de l'époque. Les changements se sont produits par l'émergence de structures d'affiliation volontaires ou associatives, et non plus corporatives, accompagnées d'une renaissance nationale juive qui s'est exprimée dans le sionisme politique et l'Etat d'Israël.

Guidées par cette expérience, la tradition et la loi juives présentent plusieurs caractéristiques qui les distinguent considérablement de la pensée occidentale contemporaine. L'une d'elles a trait au rôle de la notion d'obligation tant dans les rapports entre les personnes que dans ceux avec l'autorité publique.

La philosophie du droit et les conceptions politiques du monde occidental mettent très fortement l'accent sur les droits individuels, qu'ils soient explicites ou implicites. Au contraire, la pensée juive classique énumère un ensemble complexe d'obligations détaillées et enchevêtrées, très nettement réparties entre le domaine rituel, c'est-à-dire celui qui définit les rapports de l'homme avec la divinité, et le domaine social, c'est-à-dire celui qui définit les responsabilités individuelles et collectives de l'homme envers son prochain.

Le cadre organique qui en résulte établit des différences de pouvoirs et de statuts, bien plus que de privilèges, pour l'exercice du pouvoir au sein de la société. Il ne prône ni la lutte pour une liberté par rapport à l'Etat ou à l'autorité en général, ni l'affirmation d'un " peuple souverain " en tant que source du droit qu'ont les élites politiques et administratives d'exercer le pouvoir de gouverner, deux notions porteuses d'une idée d'affrontement très prisée par la culture politique du monde occidental. Pour le judaïsme au contraire, du moins idéalement, l'autorité de celui qui gouverne et les droits de celui qui est gouverné dérivent de la parole divine, qui en fixe les limites, et de celles qui l'interprètent.


 

ENTRE PRESERVATION ET EVOLUTION

 

A l'intérieur même des communautés, l'adhésion à la coutume locale était stimulée.

Point n'est besoin de vastes connaissances en histoire juive pour savoir que, pendant de longs siècles, les conditions ont été rien moins qu'idéales. Les institutions judiciaires et les rapports avec les autorités étaient aménagés afin de se concilier les bonnes grâces de seigneurs capricieux, tout en préservant l'intégrité essentielle de la tradition.

Pour ce faire, les institutions communautaires suivaient trois directions, fermement enracinées dans les sources originelles, mais qui ont évolué avec le temps.
La première a été la faculté largement octroyée à la coutume locale de combler les brèches laissées par le silence de la tradition. Cette faculté a également permis de créer des précédents quand une stricte adhésion à la tradition aurait causé des souffrances excessives et aurait rendu intenable la vie quotidienne. Cela s'est appliqué surtout dans le domaine séculier, par exemple dans les relations civiles, financières et sociales, mais aussi, et d'une manière bien plus qu'occasionnelle, à celui du rite. La tolérance dont ont bénéficié les diversités locales leur a permis de traverser les péripéties instables et périlleuses de l'histoire juive médiévale et moderne.

La deuxième de ces directions, intimement liée à la première, a été, malgré quelques tentatives, parfois couronnées de succès, l'établissement d'une hiérarchie régionale, la prépondérance donnée au pouvoir local, surtout en Europe, ce qui a parfois conduit à un certain " fédéralisme " de l'administration communautaire juive. Cette structure correspondait bien à celle des sociétés féodales dans lesquelles étaient insérées les communautés juives, sociétés qui ont contribué à former cette réalité. On peut donc parler d'une tolérance pour la diversité entre les communautés juives de Pologne, d'Allemagne ou du Maroc.

Cependant, à l'intérieur même des communautés, l'adhésion à la coutume locale était stimulée. Ceux qui y résidaient ou y négociaient des affaires devaient généralement se conformer à l'usage local, même en présence d'un précédent dans les Ecritures ou dans le Talmud stipulant le contraire. On peut dire à ce sujet que la culture juridique et politique chez les Juifs est caractérisée par un sens de la dialectique très développé. A chaque position s'oppose une opinion contraire, à chaque preuve tirée d'un texte, un autre texte, le tout configuré dans une argumentation discursive, homilétique et attachée aux précédents. Les opinions exprimant un désaccord et celles de la minorité sont préservées pour leur valeur intrinsèque et pour servir plus tard de précédents, si jamais les circonstances nécessitent un nouvel examen.

Dans ce sens, l'étude juive classique tend vers une anhistoricité scolastique, favorisant la discussion pour ses propres mérites et presque totalement mais pas entièrement indifférente à son contexte. Le résultat fournit un cadre pour le changement bien appuyé sur le passé, formule qui a survécu aussi bien dans les environnements hostiles que dans ceux plus accueillants.

Le document ci-dessus constitue un extrait d'un ouvrage à paraître : By the Sweat of Your Brow : Aspects of Work and the Workplace in Classic Jewish Thought (New York: Yeshiva University Press)

 

Traduction et adaptation de Jacques KOHN


A PROPOS DE L'AUTEUR
le Dr David SCHNALL
Le Dr. David SCHNALL est professeur de Gestion et d'Administration à la Yeshiva University.
  Liens vers les articles du même auteur (5 articles)


Emettre un commentaire
 Nom
 Prénom
 Email *
 Masquer mon email ?
Oui  Non
 Sujet
 Description (700 caractères max) *
 * Champs obligatoires
...
.

Outils

MODIFIER LA TAILLE DU TEXTE
.
...
...
.

Et aussi...

.
...