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Désert et langage : conditions de la liberté ?

L'acquisition de la langue et de ses mécanismes est une manière d'apprivoiser la liberté.
L'autonomie est à élaborer, elle n'est jamais offerte comme une donnée achevée.

La sortie d'Egypte représente de manière objective une libération par rapport à une contrainte extérieure, un asservissement physique, une condition d'esclaves. Elle signifie le passage d'une servitude concrète à une forme certaine de liberté.

Cependant, pris au sens propre, même si on l'articule aux miracles de la révélation, ce passage n'offre qu'une dimension collective et matérielle. Or nos passions et nos impulsions individuelles sont des contraintes internes qui semblent bien plus aliénantes que les contraintes physiques de la servitude. L'accession à la liberté personnelle, intérieure, à travers l'épanouissement du libre-arbitre et sa mise en œuvre pratique doit donc passer par un processus plus complet.

Dans ce processus plus élaboré, l'événement de la sortie d'Egypte, cette libération première de l'esclavage reste très riche en symboles.

Son association dans notre mémoire et dans sa commémoration à la consommation de la " matsa ", le pain azyme, suggère déjà une forme particulière de libération. En effet, ses composants peuvent être associés à l'idée de sevrage, opérant comme l'amorce d'une indépendance par rapport à la mère mais en même temps, ils constituent un produit alimentaire ramené à ses éléments les plus essentiels. L'autonomie est à élaborer, elle n'est jamais offerte comme une donnée achevée mais comme un processus d'implication constante et renouvelée.
 

LE LANGAGE, SPECIFICITé HUMAINE

Mais peut-être est-ce dans l'épreuve du désert que se manifestent le plus profondément les différents embranchements de la libération. Ainsi nous pouvons saisir à travers la superposition des racines en hébreu du mot " désert ", " midbar " et du verbe " parler ", " diber " quelques éclairages et enseignements sur les étapes de cette évolution de la servitude à la liberté.

Contrairement aux autres espèces qui possèdent un système de communication ramené à un code minimal, l'homme se définit principalement par sa capacité de parler. Si le " langage " de l'abeille ne peut donner qu'un renseignement préprogrammé sur la situation de la fleur à butiner, si le " langage " du chimpanzé même dressé, ne peut effectuer que des connexions prévisibles, le langage de l'homme au contraire échappe aux contraintes de la programmation, offre par sa construction tellement élaborée des possibilités quasiment infinies.

Une double caractéristique du désert interpelle cette dimension spécifique du langage humain : son absence de limites qui ouvre sur un monde infini de possibles et son absence de repères qui donne un sentiment d'immensité (ou de vertige). Désert et parole semblent alors en relation de contradiction. Car les mots sont finis, ils délimitent et figent parfois une réalité, ils emprisonnent dans les limites d'un sens. Dans ce processus, ils apparaissent comme une contrainte et pourtant c'est sans doute de cette délimitation que naît finalement la liberté. Plus que de délimiter dans la maladresse de leur finitude, les mots dévoilent.
 

PAROLE ET DéSERT : LE PARADOXE DE LA LIMITE DANS L'INFINI

L'homme réinvente l'illimité par des contraintes comme pour redire l'impossibilité d'une liberté sans loi.

Ce pouvoir de nommer, présent sans aucun doute dans toutes les langues, s'exprime avec éblouissement en hébreu où la lettre, le mot révèlent l'essence-même de la chose (ne dit-on pas " davar " à la fois pour signifier mot et chose,). En s'immergeant dans la troublante richesse du langage, on sent bien que ce pouvoir des mots, l'homme ne l'invente pas, il le retrouve seulement après l'épreuve du désert, c'est-à-dire, l'annulation de tout a priori, le déconditionnement, la déprogrammation. Et le désert - espace qui est absence d'espace - fonctionne comme le silence dont la parole a besoin de se nourrir pour se construire, s'élaborer.

Mais pour consolider cette construction, pour retrouver leur pouvoir dans la pratique de l'homme, les mots doivent se réorganiser par la rigueur d'un fonctionnement verbal défini. L'homme réinvente l'illimité par des contraintes de construction grammaticale, syntaxique, comme pour redire dans sa spécificité et son vécu quotidien, l'impossibilité d'une liberté sans loi. Dans le langage, on voit bien que c'est en comprenant et respectant la règle que l'homme atteint la liberté de dire, c'est en réfléchissant sur sa mise en forme qu'il retrouve un sens préexistant à sa modeste échelle humaine.

En atteignant cette puissance du verbe qui jaillit d'une soumission à la règle, l'homme naturellement " parlant ", " medaber " revit chaque jour cette expérience dialectique d'une libération qui passe par le respect de la loi. Le " midbar " est cet alambic qui permet le passage de la servitude à la liberté en préparant le peuple à recevoir la loi. Et si le peuple juif devient peuple justement à ce moment-là, c'est-à-dire qu'il acquiert un niveau d'identification unitaire qui transcende les individualités, on retrouve cette idée d'unité dans la langage lui-même encore une fois comme une contrainte d'où naît la liberté, contrainte parce qu'il faut posséder le même code pour pouvoir communiquer, liberté parce que cette unité de sens rend justement la verbalisation de ma pensée, de mon désir ou de ma volonté possible.

Pour retrouver cette unité du peuple tellement salutaire ou idéale, pour pratiquer la liberté dans son sens le plus fort, peut-être faudrait-il redécouvrir le sens des mots hébreux, mettre l'accent sur l'enseignement de la langue tant dans sa morphologie que dans sa syntaxe. Comme ce désert qui n'appartient à personne mais par lequel tous doivent passer pour accéder à la liberté, la langue doit être réinvestie par chacun dans un processus individuel de libération.

A nos grammaires…



A PROPOS DE L'AUTEUR
Audrey FELLOUS
Audrey Fellous est Docteur en Sciences Humaines, Enseignante, Titulaire d'une maitrise d'Arabe et Rédactrice en Chef du Magazine "Valeurs du Judaïsme.
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COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S)  1
Desert - 15 Décembre 2003 - par bellala yacine
Ce sujet est tres intéressant .
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