" La meilleure des politiques dans le commerce, c'est encore l'honnêteté ! " Cette affirmation ne représente pas seulement une norme éthique, mais l'espoir de bénéfices plus pragmatiques. Il est sûr, cependant, qu'elle ne constitue pas le fil directeur des transactions économiques. De fait, il n'existe que de faibles différences entre les consommateurs et les acquéreurs dans le monde des affaires : Ils sont les uns comme les autres des acheteurs, fondamentalement sceptiques et méfiants. Leur manque de confiance, qui repose sur des bases conceptuelles autant que dictées par l'expérience, non seulement n'est qu'un bien triste reflet de la moralité dans les affaires, mais il représente en plus des coûts qui grèvent lourdement l'économie.
Les raisons théoriques du scepticisme de l'acheteur procèdent d'une information dissymétrique, due aux degrés divergents de connaissance détenus par les parties dans toute transaction. Le vendeur sait exactement ce qu'il vend, l'acheteur ne sait rien de ce qu'il va acheter. Les systèmes juridiques tiennent compte de ce déséquilibre, dont la loi juive et celles des pays occidentaux s'efforcent de prévenir les excès en incitant les vendeurs à l'honnêteté sous la menace de pénalités civiles ou pénales en cas de fraude. La pléthore des dispositions législatives et la profusion des affaires portées devant les tribunaux en matière de tromperie suffisent surabondamment à prouver que l'honnêteté du vendeur ne peut jamais être tenue pour acquise. De fait, l'élaboration et la mise en application de toutes ces lois imposent un coût non négligeable à l'économie.
Les moyens adoptés par les vendeurs pour convaincre les acheteurs de leur intégrité, et les actions engagées par les acheteurs pour se protéger contre les vendeurs peu scrupuleux ne peuvent qu'entraîner des dépenses dont une société plus respectueuse des règles éthiques ferait aisément l'économie. La meilleure preuve de la probité d'un vendeur sera fournie par une politique à long terme menée par sa société tendant à convaincre les acheteurs que la tromperie ne peut que mener tôt ou tard à l'échec. Des économistes de renom ont expliqué certaines dépenses publicitaires apparemment frivoles, comme les participations à de coûteuses expositions ou les soutiens obtenus de la part de célébrités du moment, dépenses qui ne pourront être amorties qu'à très long terme, comme des techniques servant à asseoir la crédibilité de ceux qui les engagent. De la même manière, une société qui engage des frais pour faire procéder, par un organisme dont la réputation d'impartialité est inattaquable, à un audit de sa structure financière, ne cherche à rien d'autre qu'à rassurer les acheteurs sur l'intégrité commerciale du vendeur. De la même manière, de nombreuses entreprises font procéder à de fréquents contrôles de qualité, largement rendus publics, à seule fin de convaincre ceux qui achètent fréquemment leurs produits de l'inutilité de mettre chaque fois leur confiance à l'épreuve en procédant à de nouveaux essais.
Les acheteurs, eux aussi, disposent de divers moyens pour se protéger. Il existe tout d'abord, pour les représenter, toutes les structures gouvernementales dont la mission est de définir et de faire appliquer les normes de qualité, comme celles qui consistent à vérifier les instruments de mesures ou l'innocuité et l'efficacité des produits pharmaceutiques. De la même manière, les consommateurs rémunèrent des organismes privés qui examinent la qualité des produits mis sur le marché et rendent compte au public de leurs travaux. Un bon exemple de ce genre d'activités est fourni par les organismes chargés de garantir la cacherouth. Il est évident que le coût de telles dépenses est loin d'être négligeable.
Mais il existe beaucoup de produits, et surtout beaucoup de services, dont on ne pourra jamais vérifier la qualité à l'avance, car on ne les achète qu'une seule fois. La plupart des acheteurs sont non seulement mal informés, mais ils ne pourront jamais être informés correctement, si ce n'est à un prix prohibitif. Le degré de confiance que l'on peut attribuer à un médecin, à un avocat, ne peut être défini que par ses pairs. Ce genre d'information est malheureusement rarement à la disposition du public. Dans beaucoup de pays, le fait d'émettre une opinion défavorable, même justifiée, sur les compétences d'un confrère est puni par la loi, de sorte que la crainte d'être traduit en justice reste prédominante et que le coût d'une protection devient inabordable.
Personne n'a jamais traduit en chiffres le coût des désillusions et des déconvenues rencontrées dans les affaires. Les budgets gouvernementaux ne les prennent pas en compte, pas plus que les communiqués des grandes sociétés. Davantage d'intégrité dans les affaires serait hautement souhaitable, non seulement parce qu'elle est moralement supérieure, mais aussi parce qu'elle est moins onéreuse pour nous tous.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN