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Judaïsme, mondialisation et relativisme culturel

Le dilemme éthique auquel font face les acteurs de la vie économique se fait plus aigü depuis que la mondialisation des échanges les confronte à des pays dont la structure légale et les normes morales sont radicalement différentes des leurs.

Les comportements dans le commerce contraires à la morale sont en train de devenir une préoccupation majeure chez les hommes d'affaires. Tout en continuant de souffrir, comme ils l'ont toujours fait, des disparités causées par la cupidité, l'égoïsme et les incertitudes de toutes sortes qui conduisent à la fraude et à l'oppression, on voit de plus en plus souvent apparaître une nouvelle dimension dans le dilemme moral où ils sont enfermés.

Il en est ainsi depuis que le village planétaire constitué par l'économie mondiale connaît la rapide expansion qui est la sienne et où sont apparus des chefs d'entreprises et des sociétés opérant au sein d'un système économique dont la structure légale et les pratiques éthiques sont radicalement différentes de celles qui ont cours dans les autres pays.

Citons, parmi les domaines les plus concernés, les dommages à l'environnement, les droits civils, les délits d'initiés, les obligations contractuelles, et les marchés soumis à planification. Ce qui prédomine alors, c'est la corruption et les pots-de-vin dans tout ce qui touche aux décisions en matière d'investissements publics. Il existe fondamentalement deux manières de réagir à ces situations.
 

LE RELATIVISME MORAL

Le relativisme moral,lorsqu'il prévaut sans restrictions, peut conduire à des investissements et à des relations commerciales avec les régimes politiques les plus dépravés.

On peut soutenir qu'aucune culture ne peut prétendre incarner à elle seule un idéal moral et donc que nul ne peut imposer ses normes à autrui. On doit donc adopter les mœurs du pays où l'on vit et y commercer selon les normes morales et légales qui y ont cours, celles qui sont connues de tous les intervenants et acceptées par eux. " A Rome, il faut vivre comme les Romains", voilà le mot d'ordre qui rend acceptable notre propre comportement contraire à l'éthique.

C'est ce même slogan que l'on emploie chez nous, mais nous sommes habituellement plus réticents à l'y utiliser. Le relativisme moral, lorsqu'il prévaut sans restriction, peut conduire à des investissements et à des relations commerciales avec les régimes politiques les plus dépravés. Les circuits commerciaux contribuent alors à aider et à favoriser les actes les plus abominables et les plus immoraux.

C'est ce relativisme qui a conduit à la consolidation et à la stabilisation économique de l'Allemagne nazie, rendant co-responsables de la Choah beaucoup de dirigeants de grandes sociétés à travers le monde. Dans d'autres pays, l'apartheid en Afrique du Sud, le terrorisme d'Etat dans certaines dictatures sud-américaines et dans beaucoup de pays du Moyen-Orient, tout autant que les atteintes aux droits civils fondamentaux dans ces pays, en Chine, et dans certains états africains, se sont développés grâce aux fruits de ce relativisme économique.
 

LA MORALITé DE CONSENSUS

Il faut donc s'efforcer de limiter ce relativisme en développant des contraintes appuyées sur des droits éthiques internationalement ou universellement acceptés.

Les Nations-Unies, l'opinion publique dans les Etats démocratiques et les décisions des grandes organisations mondiales essaient d'imposer de telles limites.

Les droits civils, l'environnement et la protection de l'enfant sont parmi les domaines où des progrès significatifs ont été réalisés grâce à une telle moralité de consensus.
 

LA CORRUPTION DANS UNE MORALITé NORMATIVE

Après tout, le village planétaire reste encore assez vaste. Il faut donc rechercher si de tels paiements sont interdits ou permis du point de vue de la halakha.

Cependant, la moralité de consensus ne constitue qu'une limitation. Elle souffre elle aussi de relativisme et de subjectivité, même si c'est à un degré moindre. Si elle constitue une amélioration par rapport à : " si tout le monde le fait, c'est que c'est bien ! ", elle ne présente pas un cadre objectif, normatif et éthiquement absolu.

Peut-être serait-il instructif d'essayer de définir un système alternatif possible, en l'occurrence celui qui s'appuie sur l'enseignement traditionnel de la loi juive. Nous examinerons tout particulièrement l'appréciation morale que l'on peut porter sur les pots-de-vin donnés ou reçus pour s'introduire dans un nouveau marché, pour opérer des investissements, pour obtenir des contrats ou pour participer à toute autre activité économique. De tels paiements, on le sait, aux hommes politiques, à leurs familles, à leurs amis, aux hauts fonctionnaires sont monnaie courante et font partie de la culture éthique de beaucoup de pays en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie.

Le judaïsme n'accepte le concept de relativité dans aucune de ses exigences cultuelles. Aucune autorité rabbinique ne consentira jamais à ce que l'on profane le Chabbat, à ce que l'on consomme de la nourriture non cachère, à ce que l'on ne prie pas, simplement parce que c'est le modèle normal de comportement parmi la plupart des Juifs. Il en va de même pour la moralité sexuelle, la pudeur et l'étude de la Torah. Il ne semble exister aucune base solide en dehors de celle qui est fondée sur le profit qui permette à certains de supposer que la halakha (loi juive) en matière économique puisse être sujette à variations.

On sait que, dans certaines circonstances et sous certains régimes économiques, le seul moyen de rester en vie consiste à effectuer des actes de commerce contraires à l'éthique. Étant donné qu'il ne nous est ni demandé ni permis, dans des circonstances normales, de mourir pour éviter d'avoir à commettre de tels actes, ils semblent permis. Cependant, la même règle s'applique, en cas de menace de mort, à Yom Kippour, à la nourriture non cachère ou à Chabbat, si bien que le modèle moral reste clair.

De plus, je doute que des investissements ou des activités commerciales dans des pays où l'on pratique un comportement immoral selon les normes juives puissent jamais constituer une affaire de vie ou de mort pour les sociétés ou les hommes d'affaires étrangers. Après tout, le village planétaire reste encore assez vaste. Il faut donc rechercher si de tels paiements sont interdits ou permis du point de vue de la halakha.

La corruption de juges est explicitement interdite. Il semble que, dans le contexte qui est le nôtre, la fonction des bénéficiaires de pots-de-vin soit exactement la même que celle du juge. Ils concèdent des droits à certaines parties et les refusent à d'autres, ils portent des jugements sur les revendications respectives des soumissions ou des contrats, et ils arbitrent entre les entreprises et les sociétés concernées. Les juges et les arbitres font exactement la même chose, la seule différence étant que les paiements, dans nos pays, sont déterminés par des considérations politiques, rendues publiques et égales pour tous, tandis que dans le commerce international ils sont secrets, arbitraires et illégaux.
 

LA CORRUPTION GANGRèNE LA SOCIETé

La corruption corrompt la société entière du pays d'accueil, elle empêche le fonctionnement des institutions judiciaires, portant ainsi atteinte aux droits civils, et faisant de l'immoralité une règle de conduite.

Dans tous ces cas, les pots-de-vin " aveuglent les yeux des sages et pervertissent les paroles des justes ", raison pour laquelle ils sont interdits. On pourrait prétendre qu'il faudrait, à strictement parler, opérer une distinction entre les juges qui tranchent des litiges juridiques et la corruption de fonctionnaires publics et d'autres. Cependant, même si nous écartons les intermédiaires officieux de tout contexte judiciaire, ces paiements n'en restent pas moins interdits du point de vue halakhique à la fois en tant que nezikim - dommages - et parce qu'on n'a pas le droit de placer un obstacle sous les pas d'un aveugle.

Considéré de manière superficielle, le pot-de-vin peut être considéré comme constituant uniquement le coût consenti par les entreprises pour emporter une affaire. Dans la réalité, cependant, ces coûts sont supportés par le public, lequel n'est même pas partie dans la transaction. La corruption, en tant que manière de faire des affaires, empêche toute véritable concurrence, et c'est la société ambiante qui paie le coût de la mauvaise utilisation des ressources qui en résulte et qui souffre des dommages que cette forme de vol lui fait subir. Les citoyens des pays d'accueil sont forcés de payer plus cher les travaux publics, l'achat de biens de première nécessité, et les avantages résultant des investissements. Ceux-ci, en effet, ne résultent pas de décisions prises dans des conditions normales, mais de l'aptitude pour certains particuliers d'extorquer de l'argent en échange de leurs faveurs.

De tels paiements encouragent souvent des investissements économiques inefficaces, la construction d'infrastructures hasardeuses, l'exploitation des ressources naturelles en-dessous de leurs valeurs marchandes réelles, et ils permettent aux entreprises étrangères d'éluder les règles de protection de l'environnement. Dans tous ces cas, les droits de propriété et le bien-être économique du citoyen moyen sont compromis, et le payeur en porte une part de responsabilité. Du point de vue halakhique, un Juif n'a pas le droit de causer des dommages à la propriété, à la santé ou à l'environnement d'autrui, pas plus qu'il n'a le droit de commettre des vols au préjudice de non-Juifs.

Au-delà des vols au préjudice des citoyens, la corruption corrompt la société entière du pays d'accueil, elle empêche le fonctionnement des institutions judiciaires, portant ainsi atteinte aux droits civils, et faisant de l'immoralité une règle de conduite. Aussi voit-on apparaître dans un nombre croissant de pays des réglementations destinées à empêcher leurs citoyens de commercer comme tout le monde le fait dans certains pays. Des organismes internationaux font de la mise en place de législations anti-corruption la condition de leur assistance, comme par exemple le FMI en Indonésie et des pays donateurs à l'Autorité palestinienne.

La halakha impose aux non-Juifs d'établir un système légal juste et elle leur interdit de voler.

L'interdiction faite aux Juifs de placer un obstacle sous les pas de l'aveugle, lifnei 'ivèr, s'applique tout autant à leurs relations avec les non-Juifs. La halakha impose aux non-Juifs d'établir un système légal juste et elle leur interdit de voler. La corruption économique empêche d'exécuter cette obligation et fait contrevenir à l'interdiction. Celui qui reçoit de tels paiements commet des vols au préjudice du public de son pays et celui qui les verse facilite de tels vols.

Il est interdit du point de vue halakhique d'acheter des marchandises volées, puisque cela encourage l'acte délictueux en créant un marché pour ces marchandises et donc en rentabilisant le vol. C'est exactement ce que font les cadeaux. Nos rabbins ont enseigné que " ce n'est pas la souris qui vole mais le trou " (Qiddouchin 56b). En distribuant des pots-de-vin, nous créons le " trou " qui permettra à la souris de voler. Nous créons ainsi un obstacle sous les pas de l'aveugle.

Toutes les fois que nous avons à nous demander comment " vivre à Rome ", rappelons-nous le dicton rabbinique : " Que Rome puisse progresser tandis que Jérusalem dépérit est croyable ; que Jérusalem puisse progresser tandis que Rome dépérit est croyable ; mais que Rome et Jérusalem puissent vivre en harmonie n'est pas croyable. "
 

AU-DELà DU JUDICIAIRE

Non seulement est-il interdit à un juge d'accepter des pots-de-vin - et au corrupteur d'en verser - mais il en est de même pour tous les fonctionnaires et tous ceux qui s'occupent de la chose publique.

Les décisions qu'ils sont appelés à prendre ne sont pas, il est vrai, directement liées aux lois de la Torah, mais il ne leur est pas permis de distordre leurs décisions en les appuyant sur du favoritisme ou des préjugés personnels.

Ils est donc clair qu'il ne leur est pas permis d'accepter des pots-de-vin ('Aroukh ha-Choul'hane, 'Hochèn michpat 9, I)
 

Traduction et adaptation de Jacques KOHN


A PROPOS DE L'AUTEUR
le Dr Meir TAMARI
Le Dr Meir Tamari a été directeur du service " Economie " du Bureau du Gouverneur de la Banque d’Israël, et fondateur du JCT [Centre pour l’éthique dans les affaires et pour la responsabilité sociale]
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