La Torah (Lévitique 11,19) dresse la liste des volatiles dont la consommation est interdite. Parmi les oiseaux prohibés, se trouve la cigogne (‘hassida en hébreu). Que pouvons-nous apprendre de cet interdit ? Pour répondre à cette question, faisons un petit détour par une réflexion sur les règles concernant la solidarité sociale.
« Charité bien ordonnée commence par soi-même »...
Le célèbre Maïmonide écrit (M.T Hilkhot tsédaka, 10,1) que le commandement biblique le plus important est celui de la tsédaka (justice sociale) qui nous oblige à assumer nos responsabilités à l’égard des plus démunis. Comme nous l’avons déjà rappelé, les juifs pieux donnent entre dix et vingt pour cent de leurs revenus. Mais il existe des règles religieuses régissant les priorités en matière de tsédaka.
Maïmonide écrit à ce propos (idem 7,13) : « un pauvre qui est un proche parent a priorité (en matière de tsédaka) sur tout autre homme. Les pauvres de notre maison passent avant les (autres) pauvres de la ville et ceux de la ville passent avant ceux d’une autre ville ».
Il s’agit là d’un point fondamental des règles concernant la tsédaka. Il existe des priorités basées sur la proximité familiale, ethnique ou géographique. Comme s’il y avait une sorte d’indécence ou d’irresponsabilité à se montrer généreux avec les misérables de continents lointains tandis que notre voisin de pallier est dans la difficulté. Selon cette même logique, Rav Saadia Gaon rappelle « qu’un homme doit pourvoir à ses propres besoins avant ceux des autres et qu’il ne devra pas faire de tsédaka avant d’avoir pourvu à ses propres besoins».
Cette hiérarchisation est déduite par les sages du verset biblique suivant (Deutéronome 15,11): «ouvre, ouvre ta main à ton frère, à ton pauvre, à ton nécessiteux… ». Dans ce verset, priorité est donnée au frère, puis « à ton pauvre » (il s’agit des pauvres qui nous sont proches), puis enfin « au nécessiteux qui est dans ton pays » (c’est-à-dire les pauvres de notre ville).
...mais ne s’y arrête pas !
Ceci étant dit, revenons à nos cigognes...
En effet, la définition de priorités en matière de tsédaka ne signifie pas pour autant que les dons doivent être exclusivement réservés aux plus proches. La responsabilité de chacun ne se limite pas aux frontières de son quartier ou de sa ville.
C’est ce qu’enseigne un grand maître hassidique, Rabbi Its’hak Méïr de Gour (Pologne, 1798-1866). Ses élèves lui posèrent un jour la question suivante : La cigogne est appelée en hébreu « ‘hassida », c’est-à-dire ‘la généreuse’ car elle aime et nourrit les siens. Si la Torah lui reconnaît tant de mérite, pourquoi fait-elle partie des animaux impurs interdits à la consommation ? Justement, répondit le rabbi, c’est parce qu’elle ne donne son amour qu’aux siens!
Etre généreux et s’occuper prioritairement de ses proches ne nous dispense pas pour autant de se soucier de chacun, y compris des plus lointains. C’est ce que nous rappelle l’interdiction de consommer de la cigogne. Le proverbe qui veut que « charité bien ordonnée commence par soi-même » devrait préciser « ...mais ne s’y arrête pas ».