La plupart des gens ont déjà
prononcé une prière au Tout-Puissant à un moment donné
de leur vie. Certains prient quotidiennement. D’autres rejettent la notion
même de prière. Une chose est certaine : prier est une composante
essentielle de l’être Juif. Le contact fréquent avec D.ieu
est d’une telle importance pour les Juifs que la pratique de la prière
quotidienne a été instituée par les tous premiers Juifs du
monde. Nos Patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, n’ont pas seulement ressenti
une force pour prier chaque jour, mais ont institué la pratique de la prière
quotidienne comme une des bases de la formation spirituelle qu’ils ont donnée
à leurs descendants. La pratique de la prière quotidienne forme
l’épicentre de la vie traditionnelle juive jusqu’à nos
jours ; la vie juive sociale est toujours largement organisée autour de
la synagogue.
Le fait qu’il y ait trois Patriarches et trois prières quotidiennes
n’est pas une coïncidence ; comme nous le verrons, chacun des trois
patriarches a institué sa propre prière et chacune de ces prières
est inextricablement liée au caractère spirituel particulier de
son auteur. Le Juif qui prie aujourd'hui maintient non seulement les pratiques
juives les plus sacrées, mais il intègre la totalité des
liens que les Patriarches ont établis avec D.ieu dans sa propre essence
spirituelle.
Nous proposons d’explorer la relation entre celui qui prie, l’auteur
de la prière et le moment de la journée. Nous exposerons, en second
lieu les détails sur la prière en général afin d’atteindre
une compréhension plus profonde de chacune des prières.
LA PRIERE D’ABRAHAM
Abraham a établi la pratique de Cha’harit, la prière du matin,
comme il est écrit (Talmud Berakhot 26b) :
«Abraham se dirigea
de bon matin vers l’endroit où il s’était tenu devant
le Seigneur» [Genèse 19 : 27] ; «se tenir» signifie
prier, comme il est écrit [Psaumes 106,30] :
«Et Pin’has
se leva pour faire justice [justice est exprimé par le terme Vayepalel
qui signifie prier en hébreu] et le fléau cessa de sévir».
Notre ancêtre Abraham est le symbole du commencement. Il n’a pas été
seulement le premier de nos Patriarches; il a été le tout premier
Juif de la Terre. Mais le lien entre Abraham et le commencement est beaucoup plus
profond. Le Midrach trouve une référence à Abraham dans l’histoire
de la création de l’homme
(1).
Abraham est associé à l’origine de l’humanité
en général.
Toutes les religions monothéistes, le Christianisme, l’Islam, le
Judaïsme, font remonter l’établissement du lien humain avec
D.ieu à Abraham. Dans la mesure où ce lien est le point central
de la Création, aux yeux de toute personne religieuse, il est facile de
comprendre à quel point Abraham doit être associé à
l’émergence de l’humanité elle-même. A certains
égards, il se situe au delà de toute confession.
CHAQUE JOUR EST UNE MINI-CREATION
Nos prières nous incitent à considérer l’aube de chaque
nouvelle journée comme une nouvelle création du monde. La prière
du matin montre comment «dans Sa miséricorde [D.ieu] renouvelle chaque
jour, perpétuellement, l’œuvre de la Création.»
En termes de cycle de la conscience humaine, l’univers retourne vers D.ieu
chaque nuit, et il nous est rendu au début de chaque nouvelle journée.
Chaque jour est une mini-création différente qui débute avec
l’apparition de la première lueur et se termine alors que la lumière
s’estompe pour faire place à la nuit.
Aujourd'hui, nous ne pouvons faire référence à ce concept
que symboliquement. Jusqu’à ce qu’Edison ait inventé,
au XXème siècle, l’ampoule et chassé l’obscurité,
la quasi totalité de l’humanité en a fait l’expérience
concrète. Pour la plupart des gens de la planète, le jour commence
à l’aube et finit au crépuscule quand le monde disparaît
dans l’obscurité. Seuls quelques élites, qui pouvaient se
permettre de brûler beaucoup de chandelles, étaient capables de vivre
en l’absence de lumière du jour.
Cela explique facilement pourquoi les Sages du Talmud ont trouvé une référence
à la toute première prière du matin dans le passage qui décrit
comment Abraham «se dirigea de bon matin vers l’endroit où
il s’était tenu devant le Seigneur.» L’expression «se
tenir devant D.ieu» peut sembler un peu vague, mais le passage rend évident
le fait qu’Abraham s’est levé tôt le matin pour faire
quelque chose d’important. Les Sages ont donné à ce passage
son vrai sens ; l’activité importante à laquelle se préparait
Abraham, en se levant tôt, était l’attachement de lui-même
et de l’univers à son Créateur, à l’instant de
la Création, à travers la prière. Son but : s’assurer
que lui et son monde nouvellement créé se tiennent devant D.ieu.
SE TENIR DEBOUT DEVANT D-IEU
Mais il y a bien plus que cela. Les deux passages bibliques cités par le
Talmud comme sources de la prière du matin, font partie des dialogues entre
D.ieu et l’homme les plus remarquables de l’Ecriture. Le premier passage,
tiré de la Genèse 18, relate la conversation entre D.ieu et Abraham
à propos du projet de destruction de Sodome et Gomorrhe.
Dans cette conversation, Abraham a défié la justice de D.ieu et
a demandé la miséricorde divine avec une opiniâtreté
qui laisse le lecteur étonné de son audace absolue. Jugez en vous-mêmes
: [Genèse 18, 23-25] :
«Est-ce qu’aussi bien le juste et
le méchant tu anéantirais ? Peut-être y a-t-il cinquante justes
dans cette ville : est-ce qu’aussi tu anéantirais et ne pardonnerais
pas à la contrée en faveur des cinquante justes qui s’y trouvent
? Loin de toi d’agir ainsi, de tuer le juste avec le méchant et il
en sera du juste comme du méchant ! Loin de toi ! Celui qui juge toute
la terre ne ferait-il point justice ?».
Ainsi Abraham demande pitié dans des termes insistants, en déclarant,
[Ibid, 27-28] :
«Voici donc, j’ai voulu parler à l’Eternel,
moi poussière et cendre ! Peut-être, à ces cinquante justes,
en manquera-t-il cinq : détruirais-tu, pour cinq, une ville entière
?».
Comment un défi aussi retentissant peut-il sortir de la bouche d’une
personne qui ne se considère que comme poussière et cendre ?
Pour apprécier cette conversation totalement improbable, souvenez-vous
que nous ne sommes pas Abraham. Pour nous, D.ieu n’existe que dans l’abstrait
: Il est un Etre que nous n’avons jamais personnellement rencontré
et dans l’existence Duquel nous croyons vaguement. Mais pour Abraham, D.ieu
était un Etre qu’il connaissait et à Qui il parlait. Imaginez
que le Tout-Puissant vienne Lui-même vous informer de Sa décision
de détruire Sodome et Gomorrhe sur la base de la grande dépravation
qu’Il y a découvert. Pensez-vous que vous seriez à même
de défier Son jugement, et avec une telle force ?
UNE COOPERATION ET NON UNE CONFRONTATION
Mettons-nous un instant à la place d’Abraham et voyons si nous pouvons
suivre sa pensée. D.ieu vient lui annoncer Sa décision de détruire
Sodome. Si le projet de destruction ne le regardait pas, D.ieu ne le lui aurait
pas annoncé par avance. Il l’aurait tout aussi bien appris par les
journaux après la destruction ! Si D.ieu lui est apparu spécialement
pour lui donner la possibilité de commenter le verdict, cela signifie simplement
qu’Il recherchait l’approbation d’Abraham et son autorisation.
Mais si vous vous considérez comme un tas de poussière et de cendre,
comment comprendre que le Tout Puissant demande votre approbation ? Réponse
: le Tout Puissant recherche votre approbation précisément parce
que vous vous considérez comme insignifiant. Il sait que la totalité
de votre être est focalisée sur la sanctification de Son Nom. Il
sait que vous avez dédié la totalité de votre être
à Son service et que vous avez seulement Ses intérêts à
cœur. Il veut s’assurer qu’Il est sur la même longueur
d’onde que vous précisément à cause de votre dévouement
à Son service. Il apprécie votre humilité et veut coopérer
!
Et Abraham marque précisément un point. D.ieu Lui-même explique
ce point précis dans le préalable à la rencontre : or l’Eternel
avait dit, [ibid, 17-20] :
«Cacherai-Je à Abraham ce que Je vais
faire? Or Abraham doit devenir une nation grande et puissante et par lui seront
bénies toutes les nations de la terre car je l’ai distingué
pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après
lui d’observer la voie de l’Eternel, en pratiquant la vertu et la
justice ; afin que l’Eternel amène sur Abraham ce qu’il a déclaré
à son égard».
Le besoin de consulter Abraham est apparu parce qu’il avait entrepris la
tâche de sanctifier le nom de l’Eternel dans le monde en enseignant
à ses enfants et à sa maison de suivre le chemin de la justice de
D.ieu et de la charité. La mission qu’il s’est lui-même
attribuée dans le vie était d’enseigner au monde de suivre
D.ieu. Comme il était le seul à porter la charge de cet enseignement,
sa contribution concernant la façon de sanctifier le Nom divin et les actions
qu’il considérait comme sacrilèges méritait de peser
dans les délibérations divines. Le projet de destruction de la civilisation
de Sodome et Gomorrhe aurait définitivement affecté la capacité
d’Abraham de sanctifier le Nom divin. Il devait défendre les actions
de D.ieu. L’Eternel n’aurait détruit Sodome et Gomorrhe que
si Abraham soutenait la décision !
APAISER LA COLERE
Pour nous faire comprendre clairement la notion de «se tenir debout devant
D.ieu», le Talmud nous propose un second passage qui consolide l’équation
debout = prière.
Ce passage retrace le récit de Pin’has le zélote qui tue Zimri,
un des plus hauts représentants de la tribu de Shimon. Certains parmi les
enfants d’Israël ont commencé à s’égarer
auprès des filles de Moab et à servir leurs idoles. L’Israélite
le plus prestigieux impliqué dans cet incident était Zimri qui eut
des relations avec Cozbi bat Tsour, une princesse Moabite. Pin’has les tua
tous les deux en les transperçant avec sa lance, et a conclut l’incident
par une prière. Le Talmud commente cette prière :
[Psaume 106:30]
«... et Pin’has se leva pour faire justice».
Rabbi Eleazar note un défaut dans la syntaxe de ce verset – la forme
exacte du mot hébreu pour prier est Vayitpalel, alors qu’il est écrit
Vayepalel, un mot qui peut aussi être traduit par jugement. Il explique
que cette modification de syntaxe est délibérée ; cela nous
enseigne qu’il y avait une critique sous-jacente à la prière
de Pin’has. Il poussa les coupables devant le Tout-Puissant (c’est-à-dire
à l’entrée du Tabernacle) et Lui dit [Sanhedrin, 44a] :
«
Maître du Monde, vingt-quatre mille Israélites [le nombre de ceux
qui sont morts par le fléau qui a suivi l’incident] devaient-ils
périr à cause de ces deux ? » Les Anges voulaient repousser
Pin’has du fait de son insolence, mais D.ieu leur dit,
«Laissez-le,
parce qu’il est zélé fils de zélé, et il est
celui qui apaise la colère fils de celui qui apaise la colère».
Evidemment, ce n’est pas une coïncidence si les Sages du Talmud situent
la deuxième source de la prière du matin dans un autre texte qui
décrit un Juif provoquant la justice divine de la manière la plus
dure possible. Pin’has fournit un autre modèle d’être
humain qui ose se confronter à D.ieu, inspiré par son total dévouement
à la sanctification du Saint Nom et son horreur absolue du sacrilège.
Le message ici est très clair. La prière du matin est récitée
par un être indépendant qui se tient debout devant D.ieu et qui est
entièrement préparé à établir sa propre opinion
à propos de la façon dont D.ieu devrait diriger Son monde. Il peut
être cendre et poussière devant le Tout-Puissant, mais si ses prières
sont une expression du sens de sa mission, il est habilité à se
dresser bien droit même devant le Seigneur. Il ne doit pas ramper en s’excusant
comme un vulgaire mendiant ; il lui est permis d’exprimer une opinion comme
un véritable partenaire de la création de D.ieu.
LA REPARATION DU MONDE / TIKOUN HAOLAM REVISITEE
A l’aube de chaque nouvelle journée D.ieu nous présente à
nouveau Son monde brisé avec l’injonction, «Réparez-le
!» Le peuple juif a le défi de faire usage de chaque nouvelle journée
et de continuer sa mission collective d’enseigner à l’humanité
d’accepter que D.ieu soit en charge de l’univers. Nous nous sommes
engagés à être un «royaume de prêtres et une nation
sainte» au Mont Sinaï. D.ieu veut avoir de nos nouvelles. Il est intéressé
par nos projets concernant le monde qu’Il est sur le point de nous présenter.
Il a besoin de connaître les éléments dont nous avons besoin
pour réussir nos projets en vue de la sanctification de son Saint Nom.
Il veut savoir quelle sorte de monde nous donner.
La description de la prière du matin sur le modèle de
«Abraham
se dirigea de bon matin vers l’endroit où il s’était
tenu devant le Seigneur» convient parfaitement. C’est la prière
du matin qui permet à l’homme de se «tenir debout.» Si
nous vivons avec le sens de la mission nous ne devons pas accepter le monde comme
un don. Nous pouvons négocier nos conditions de travail. Il n’y a
aucune contradiction entre être «cendre et poussière»
et être plein de majesté.
Traduction et Adaptation de José Cohen.
(1) - [Genèse 2, 4] : “Telles sont les origines
du ciel et de la terre, lorsqu’ils furent créés” Le
terme hébreu utilisé pour l’expression “lorsqu’ils
furent créés” est BEHIBARAM ; lorsqu’on en arrange les
lettres, ce mot devient ABRAHAM. Visiblement D.ieu a senti qu’il était
nécessaire de montrer que l’espèce humaine produirait finalement
une personnalité du niveau d’Abraham. Abraham sert de mesure pour
le potentiel humain. C’est comme si D.ieu avait dit :
"Regarde
les exploits stupéfiants dont les êtres humains que Je viens de créer
sont capables - regarde ma créature Abraham."