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La mortLa mort nous effraie. Certes, la nature et l’intensité de cet effroi varient en fonction de notre âge, de notre personnalité et de nos rencontres avec la mort. Mais la plupart d'entre nous en ont peur.

La mort nous effraie. Certes, la nature et l’intensité de cet effroi varient en fonction de notre âge, de notre personnalité et de nos rencontres avec la mort. Mais la plupart d'entre nous en ont peur.

Trois raisons peuvent expliquer une telle peur.

La première est qu'il s'agit d'un processus irréversible. L'idée que l'on puisse aller quelque part sans jamais en revenir comporte quelque chose de terrifiant.

En deuxième lieu, la mort est synonyme d'inconnu et, à ce titre, elle nous angoisse.

Mais ces deux raisons, à elles seules, ne suffisent pas. Après tout, la vie n'est-elle pas en soi un processus irrévocable ? Nous vieillissons - bien que certaines personnes entreprennent d'immenses efforts pour inverser la marche du temps et paraître plus jeunes qu'elles ne le sont - de manière irréversible. De surcroît, la mort fait partie du cours normal de l'existence. À cet égard, nous devrions simplement l'envisager comme un épisode dans la chaîne continue d'un tel processus.

En outre, il existe bien d'autres mystères qui ne nous effraient pas autant et peuvent générer tout un éventail de sentiments: l'inconfort, l'incertitude, la curiosité, parfois une attente avide, voire l'espoir. La mort, en revanche, n'est jamais associée à l'espoir (sauf, peut-être, auprès des gens qui se suicident).

La troisième raison correspond, semble-t-il, à l'aspect le plus redoutable de la mort. Affronter un nouvel événement ou entrer dans une nouvelle phase de notre existence constituent des changements assez simples; la mort, en revanche, est une cessation totale. Tout s'arrête, tout disparaît. Cet anéantissement est extrêmement difficile à accepter.

Certes, cette interruption totale concerne la seule partie physique de notre existence. Nous savons tous ce qu'il advient de notre corps après la mort. Cependant, une autre partie de notre être, celle qui n'a pas trait au physique, demeure. Car dans la mort comme dans la vie, nous nous définissons comme des êtres composés de deux éléments. L'un est visible; l'autre, plus intime - même s'il n'y a là rien de tout à fait absolu - représente notre « moi ». Tant que nous vivons, ce « moi » conjugue corps et âme 1, ne reposant entièrement ni sur l'un ni sur l'autre. C'est précisément cette interaction entre le corps et l'âme qui engendre notre sens du « moi ».

La mort intervient donc comme un changement brutal. Durant toute la vie, ce « moi » navigue et évolue entre le corps et l'âme, les associant au travers d'un lien unique; la mort interrompt brusquement cette interaction. Le « moi » se meut alors vers une existence très différente, immatérielle. Cette mutation est à l'origine de la terreur engendrée par la mort.

Une tablette minoenne de Crète, datée d'environ quatre mille ans, présente une fresque intéressante. Sur le premier côté, on voit une personne qui marche, puis une autre couchée, morte en apparence, et enfin un petit oiseau qui semble repré-senter l'âme; sur l'autre côté sont représentés une chenille, une chrysalide et un papillon.

Quelle était l'intention originelle de l'artiste ? Qu'il nous soit permis d'avancer une explication: ne s'agirait-il pas là, précisément, d'une tentative pour dépeindre le processus de la mort ? En effet, la transformation de la chenille en papillon rappelle à bien des égards celle d'un être humain lorsqu'il meurt. La chenille ne peut en aucun cas imaginer ce à quoi ressemblera sa vie en tant que papillon. Pour cette chenille, passer à l'état de chrysalide n'est rien d'autre que mourir car elle cesse d'exister comme chenille. Cette même chenille réapparaîtra plus tard, mais cette fois comme une créature nouvelle. Aucun de ces deux états ne peut être appréhendé par l'autre: d'un côté, la chenille est incapable de se voir en papillon, de l'autre, le papillon ignore tout de sa précédente existence, même si c'est bien la chenille qui l'a engendré.

Cette image - qu'elle ait été ou non à l'origine de la tablette minoenne - n'est qu'une métaphore rudimentaire de ce qui se passe au moment de la mort. Lorsque nous mourons, tout ce qui faisait partie de notre existence disparaît. Nous réapparaissons sous une forme différente, inaccessible à notre esprit tant que nous vivons. L'âme que nous possédons de notre vivant n'est cependant qu'une partie de notre existence; bien souvent, elle n'appartient même pas à la partie la plus consciente de notre moi. L'âme est certes bien vivante et bien pensante, elle ne dispose néanmoins pas de la même compréhension d'elle-même selon qu'elle est seule ou qu'elle habite le corps. A cause de notre éducation, de notre manière de vivre, nous ressentons notre âme et notre corps différemment.

De nos jours, les gens semblent avoir encore plus peur d'affronter la mort qu'autrefois. Bien que la mort soit un spectacle courant à la télévision et au cinéma, l'on n'aime pas vraiment en parler. La simple évocation d'une existence non physique métaphysique, nous effraie, et c'est pourquoi nous cherchons par tous les moyens à écarter une telle idée de notre conscience. C'est sans doute l'une des raisons de la réapparition d'une ancienne pratique, celle de l'embaumement des morts. Dans certains cimetières, pour accompagner le défunt, on place tout dans la tombe: les meubles, les animaux domestiques, peut-être aussi une épouse. Même si l'on ne croit plus autant que les Égyptiens ou les Sumériens à l'efficacité de ce genre de coutumes, le désir de se cramponner au matériel est évident.

Tant que nous restons pour ainsi dire à l'état de chenille, l'idée que nous nous faisons de l'existence après la mort ne peut que reposer sur des métaphores ou des symboles fondamentalement inexacts. Nous voyons le monde au travers du prisme de notre existence corporelle et, par conséquent, nous décrivons la mort au travers d'images corporelles. La plupart des symbolismes, quelle que soit la culture auxquels ils appartiennent, ne peuvent être pris à la lettre. Si l'on croit par exemple qu'après la mort nous poussent des ailes, ces ailes ne peuvent être les mêmes que dans notre monde.

L' imagerie qui évoque « la vie après la mort » ne dépeint donc en aucun cas la réalité. Il faut plutôt y voir une allégorie symbolisant un stade si différent de l'existence que nous sommes incapables de le décrire avec les mots dont nous disposons. Les gens qui ont survécu à une mort clinique sont incapables de rapporter leur expérience avec précision: ils sont obligés d'utiliser,des images tirées de ce monde pour décrire quelque chose qui fait partie de l'au-delà. Tout ce qu'ils disent se révèle, d'une certaine manière, absurde; le fossé qui sépare la vie de cette expérience toute proche de la mort demeure infranchissable. Pourtant, les images que nous créons nous aident à établir une relation émotionnelle avec la mort.

L'écart entre la vie avec un corps et la vie sans corps paraît presque impossible à combler. L'on peut néanmoins essayer d'avoir quelque idée de ce qui se passe sur l'autre berge. Ce faisant, nous devons nous efforcer d'ignorer toute imagerie figurative; il faut se cantonner à des notions plus abstraites.

La vie de tous les jours apporte bon nombre d'expériences qui ne font pas seulement appel aux sens connus 2. Il existe en effet des formes de perception qui appartiennent plus à l'âme qu'au corps, fussent-elles véhiculées par un cerveau matériel. Les deux formes les plus répandues sont la mémoire et l'imagination. Nous gardons souvent le souvenir très vivace d'expériences passées, en général, au travers d'images visuelles, mais aussi sonores, parfois même olfactives. Mais nous sommes capables de davantage: construire des images que nous n'avons jamais perçues. Certes, l'intensité de la mémoire et de l'imagination varie d'un indi-vidu à l'autre, mais, pour bon nombre d'entre nous, elle est suffisamment puissante pour provoquer en nous des réactions physiques aussi importantes que celles suscitées par des images immédiates ou réelles.

Les rêves en sont une autre forme, non moins ordinaire. Pendant que nous rêvons, nous agissons, nous éprouvons des sentiments, nous percevons des choses aussi tangibles que la vie elle-même. Les théories de la psychologie - de Freud au comporte-mentalisme - s'efforcent de déterminer le facteur déclenchant des rêves; cependant, même si l'on suppose que ce facteur est purement physique, il n'en reste pas moins vrai que l'histoire du rêve ne l'est point.

Ces expériences d'une vie non physique, partagées par tous, peuvent nous aider à mieux comprendre une forme d'existence entièrement immatérielle.

Le judaïsme possède sa propre vision de la mort, dont nous souhaitons aborder ici quelques aspects. Au moment de la mort - que le départ soit un moment empreint de douleur, de joie, de soulagement ou de liberté 3 - l'âme emporte vers l'autre existence 4 toute l'imagerie de la vie matérielle. Ainsi, même les modes de pensée de l'âme restent liés à la vie antérieure, en particulier lorsque la personne a vécu longtemps. Bien que, dans la mort, toutes ces notions « incarnées » perdent de leur réalité, l'âme se comporte, pendant une période plus ou moins longue, comme si elle continuait de résider dans le corps. Ce monde imaginaire porte en hébreu le nom de Olam ha Dimyone 5.

Toutes nos expériences dans la vie présentent un caractère essentiellement intérieur. Au plan philosophique, il n'existe aucune preuve de l'existence d'un monde extérieur. C'est pourquoi, après la mort, un être peut continuer d'exister en tant qu'âme dans cet Olam ha-Dimyone, un monde d'imagination dans lequel tout se poursuit comme à l'ordinaire. L'âme mène une existence toute fictive qui n'est autre que la suite de sa vie précédente, remplie des mêmes « occupations » : réunions professionnelles, disputes avec le conjoint, voiture qui tombe en panne, tout cela dans le cadre d'une existence non physique, qui s'appuie sur des images matérielles mais qui ne correspondent pas à la réalité.

Cette expérience d'une réalité subjective, imaginaire et tout à fait irréelle peut s'expliquer au travers d'une métaphore: le phénomène de la douleur fantôme. Une personne qui a été amputée continue à ressentir une démangeaison ou une douleur dans le membre disparu. Le cerveau conserve intacte l'image de la partie amputée pendant un certain temps, voire à jamais. Cette personne a beau savoir que le membre n'est plus là, elle est néanmoins incapable, en son for intérieur, d'accepter l'idée de sa disparition. Accepter une telle transformation se révèle encore plus difficile lorsqu'il s'agit de renon-cer à l'ensemble du corps et à l'existence physique.

Ainsi, l'âme colporte avec elle cette image fantôme de sa propre existence. Une âme non préparée à la mort, à ce passage à un autre état, risque de traîner cette illusion pendant longtemps avant de pouvoir s'en libérer. De nombreuses histoires circulent à propos d'âmes captives d'un tel monde 6; parfois l'âme a bien conscience que l'être qu'elle habitait est mort, mais elle ne parvient pas à se dégager de l'étreinte exercée par cet univers intérieur, qui provient de sa vie précédente. Ailleurs, l'âme n'a même pas conscience de cette mort. Ainsi, une personne pour qui le comble de la joie était de conduire un carrosse avec quatre chevaux sur un chemin plat, après la mort, mènera ce même carrosse et ces mêmes chevaux sur un chemin plat et sans fin, cette fois dans le Olam ha-Dimyone.

Le prochain stade dans ce parcours de l'âme s'appelle, en hébreu, Kaf ha Kéla, littéralement, «le creux de la fronde 7». Un peu comme si l'on était ballote d'un bout du monde à l'autre. On traverse alors une phase pendant laquelle on voit défiler sa vie. Alors que les limites du cerveau physique (qui, bien souvent, fait obstruction) ont disparu, l'âme se remémore entièrement tous les événements vécus, mais sous un angle différent. Dans la vie, on ne peut se souvenir que du passé. Kaf ha-Kéla, en revanche, permet de refaire l'expérience de la vie telle qu'elle fut, et y ajoute une autre perspective: la possibilité de contempler les choses non seulement dans la direction du passé mais aussi celle du futur 8.

Lorsqu'on se trouve dans Kaf ha-Kéla, c'est un peu comme si le film de notre existence repassait sans arrêt. A chaque répétition, certaines scènes s'estompent alors que d'autres sont mises en lumière; l'âme approfondit ainsi sa compréhension des choses de la vie, de celles qu'elle a possédées et de celles qui lui font défaut, de ce qui était important et de ce qui était futile, de ce qui était bien et de ce qui était mal. Elle dispose d'un champ de vision plus large et connaît les critères justes.

De notre vivant en effet, nous préférions savourer un bon repas plutôt que faire une bonne action. Lorsque nous nous retrouvons sans notre corps, et que nous voyons défiler notre vie, ce que nous considérions comme extrêmement important nous paraît soudain ridicule et dérisoire.

De même, lorsque les adultes contemplent leur enfance sous l'angle d'une compréhension plus mûre, ils s'aperçoivent que les événements qui leur semblaient fondamentaux, ne sont en réalité que de petites anecdotes, drôles, absurdes ou des incidents honteux et embarrassants.

Pendant cette phase de Kaf ha-Kéla, nous redécouvrons chacune de nos fautes, chaque maladresse, chaque stupidité; nous réalisons combien de temps, d'efforts et d'enthousiasme nous avons consa-crés à des choses sans valeur. Notre compréhension s'approfondit au fur et à mesure que nous en éprouvons de plus en plus de regret. Nous saisissons pleinement le sens de la vie; cependant, notre impuissance est totale. Nous tentons alors l'impossible: modifier des événements qui ne peuvent être modifiés.

A certains égards, la vieillesse - lorsque le corps domine de moins en moins l'esprit - constitue pour beaucoup d'entre nous une préparation à cette dissociation entre le corps et l'âme. Aussi le vieil âge représente-t-il une période de grande sérénité, alors que le corps s'affaiblit et que l'âme peut s'épanouir sans être troublée par les désirs. D'autres se sont toujours définis au travers de leur corps, alors que dans ce dernier seulement résidait la conscience de leur être; pour ceux-là, la vieillesse représente une période pétrie d'angoisse, car leurs désirs corporels demeurent sans qu'ils puissent être assouvis. Néanmoins, sur un plan téléologique, la vieillesse faci-lite le souffle final de la mort.

De manière similaire, ce stade de Kaf ha-Kéla prépare le suivant. Ce processus douloureux constitue une rééducation de l'âme qui passe obligatoirement par la compréhension. Quiconque souhaite guérir doit d'abord accepter sa maladie. Si l'on veut reconstruire, il faut avoir une conception claire de ce qui fait défaut et ce qui mérite d'être réparé.

Voir défiler sa vie entière est sans doute terrifiant; cela fait cependant partie du processus de délivrance, de dissociation des deux anciens partenaires afin d'aboutir à une nouvelle existence. Contempler la vie hors de notre corps nous octroie la faculté de voir ce dernier comme un singe nu et ridicule ou une protéine en trois dimensions.

Nous comprenons à quel point nous étions asservis à notre corps. Imaginons quelqu'un qui possède une voiture et ne vit que pour elle. Toute sa journée se passe à en prendre soin: la laver, faire le plein d'essence, la conduire, la garer.

L'âme réalise enfin qu'elle ne dépend plus de cette « voiture », qu'elle peut poursuivre sa vie sans Mots simples elle, en se déplaçant dans un domaine tout autre, entièrement séparé du corps.

Le stade qui suit cette phase de délivrance s'ap-pelle Guéhinom 9, que le terme français « enfer» traduit mal. Il s'agit en fait de la continuation du premier stage préparatoire de compréhension. Les juifs n'ont en fait consacré que très peu de temps à ce sujet, mais en possèdent néanmoins quelques images qui leur sont propres. Selon eux, le Guéhinom ne constitue en rien une «punition»; pour utiliser un terme moderne, il s'agirait plutôt d'une thérapie.

Nous accédons à une meilleure compréhension de notre existence à partir de la perspective de l'âme pure, et nous réalisons à quel point certaines expériences de notre vie ont été néfastes. Dès lors, tous ces souvenirs du passé qui refusent de nous lâcher deviennent trop douloureux et nous voulons à tout prix nous en débarrasser.

C'est cette seconde séparation, cette révocation de nos anciennes fautes que l'on désigne comme les «douleurs de l'enfer». Les transgressions commises de notre vivant ne se résument pas à une simple violation théorique de lois écrites. Tous ces méfaits laissent une empreinte indélébile dans notre âme. Lorsque nous considérons nos erreurs passées, c'est un peu comme si on se réveillait un beau matin couvert d'excroissances hideuses, d'épines et de cornes.

On cherche désespérément à s'en débarrasser, à les arracher, mais, cette fois, il ne s'agit pas de simple chirurgie plastique. Seule la douleur que suscite la compréhension peut nous en débarrasser. Cela est, en soi, l'enfer. Plus la transgression est profonde, et plus elle affecte l'âme et s'ancre en elle; il en est de même pour l'attachement au monde. La douleur de la purification sera d'autant plus grande que le niveau de Guéhinom sera profond.

La durée d'un tel processus est difficile à mesurer en termes d'unités terrestres de temps. En tout état de cause, le judaïsme ne conçoit pas l'enfer comme éternel 10. Le temps nécessaire à la purification de l'âme, jusqu'à ce qu'elle se transforme en un être complètement différent, dépend de la vie qu'elle a menée 11. Pour ceux qui n'ont que peu de choses à se reprocher, cela peut s'avérer court et aisé; leur âme n'a pas été trop affectée par de vilaines tares et autres distorsions. Pour les autres, ceux qui n'ont pas pris le temps de regretter et de changer tant qu'ils étaient en vie, le processus risque de durer plus longtemps. C'est seulement, alors, après que la personne a été purifiée, que se présente le stade suivant, en hébreu le Gan Eden, le paradis.

Ce paradis n'occupe pas plus de place que l'enfer dans la pensée juive, tant le judaïsme s'inté-resse d'abord à «ici et maintenant». Là aussi, les métaphores n'ont pas grand sens dès lors qu'on aborde des sujets que notre conscience ne peut appréhender, trop liée à notre perception et à nos sens physiques. Un aveugle de naissance ne peut pas comprendre ce qu'est une couleur; de même, lorsqu'on est attaché à la matière, il est impossible de saisir ce que représente une existence spirituelle 12.

Ces images du Gan Eden remplies d'ailes ou de harpes, de magnifiques vergers, ne peuvent se rapporter à une âme; pis encore, elles induisent en erreur tous les esprits qui prennent les choses à la lettre. La tradition juive évoque simplement l'exis-tence d'un « monde » différent, dans lequel l'âme jouit du rayonnement de la Présence divine. Ceux qui ont fait l'expérience d'un moment de béatitude - en explorant un nouveau domaine de connaissance, ou dans un instant de profonde spiritualité - ont éprouvé un léger avant-goût du parfum d'une telle jouissance.

Notre condition physique ne nous permet de tolérer ni une trop grande douleur ni un trop grand plaisir. Une fois les contraintes de notre corps dispa-rues, nous nous retrouvons entièrement purs et libres dans les deux domaines. De plus, si la conscience du mal devient de plus en plus profonde dans le Guéhinom, l'appréciation du bien et le plaisir qui en découle ne font qu'augmenter lorsqu'on se trouve au Gan Eden. L'enfer représente une phase limitée ayant pour but de corriger et d'amender les événements qui ont pris place au sein d'un espace fini de vie. Les joies du paradis, en revanche, ne connaissent point de limite et se prolongent dans l'éternité. Pour nous aider à mieux comprendre, osons une métaphore empruntée aux sciences physiques: si le zéro absolu de température est bien défini et bien arrêté, ce n'est pas le cas des températures élevées. Ces dernières ne comportent aucune limite supérieure.

L'âme ainsi libérée et purifiée est à présent capable de saisir ce niveau indéfinissable de la Divinité, l'absolue infinité qui contient la totalité de chaque chose. Tant que l'âme était reliée au corps, qu'elle s'y trouvait confinée, et qu'elle évoluait dans la pénombre d'ici-bas, elle pouvait tout juste en avoir une vague idée. Dès lors que ces frontières s'estompent, l'âme est en mesure de poursuivre son ascension pour l'éternité 13.

La résurrection des morts occupe cependant une place centrale dans le judaïsme, dans sa conception de la quintessence comme du but final de la Création 14. Selon certains sages en effet, l'ultime révélation de Dieu, la plus parfaite, celle qui constitue l'objectif suprême de la Création, ne saurait avoir lieu dans le Gan Eden qui est «seulement» le monde des âmes. Une telle révélation, comme par exemple Nahmanide l'entend, ne peut prendre place que dans le monde d'ici-bas: c'est là précisément qu'adviendra la résurrection des morts, qui n'est autre que le renouvellement de la vie, justement à l'intérieur du corps, au sein du monde de la matière.

L'existence de l'âme dans le corps et dans la matière reflète donc bien plus qu'une partie d'un système temporaire de récompenses et de châtiments. En vérité, elle se trouve au centre du plan divin qui permettra en fin de compte l'ultime et véritable révélation de Dieu dans le monde. Ainsi ce paradoxe de la matière voilant le Divin cache-t-il précisément en lui la clé de ce qui semble aujour-d'hui impossible: voir Dieu et rester vivant 15. Tel est le sens de la prophétie des temps futurs: «Ils verront, de leurs propres yeux, l'Éternel rentrer dans Sion 16», au moment où, lors de la résurrection des morts, l'âme pure rejoindra le corps physique, sans que ce dernier constitue une entrave à la Révélation.

Un adage attribué à plusieurs sages juifs affirme: «Quiconque craint la vie n'a pas peur de la mort. »

 

 

1. On se reportera avec intérêt au chapitre « L'âme de l'homme » dans le livre La Rose aux treize pétales du même auteur.
2. A ne pas confondre avec ce qu'il est convenu d'appeler la perception extra-sensorielle («ESP»), un sujet qui est loin de faire l'unanimité et qui mérite d'être examiné avec soin, tant on y trouve de mensonges et de vérités préfabriquées. comprendre une forme d'existence entièrement immatérielle.
3. Talmud de Babylone, voir les traités Bérakhot 8a, Moëd Katane 28a, Kétoubot 77b.
4. Cette « autre existence » n' a de signification que dans un cadre non physique. Il est impossible de parler du monde à venir comme se trouvant quelque part dans la stratosphère ou en dessous de la croûte terrestre.
5. La collection la plus complète de sources juives sur ce sujet se trouve dans le livre Guéchère ha-'Haïm du Rav Y.M. Tokakhinsky (voir en particulier volume II, chapitre 27). A supposer qu'il existe une quelconque vérité dans ces séances spiritualistes, il est permis d'imaginer que des contacts avec l'âme soient possibles pendant cette étape intermédiaire.
6. Voir par exemple le livre Chiv'hey ha-Baal Chem Tov (Les Louanges du Baal Chem Tov, fondateur du mouvement `hassidique, publié en 1815). On y trouve le récit d'âmes cap-tives du Olam ha-Dimyone.
7. L'expression tire son origine d'un verset de la Bible, Samuel I, 25, 29. Voir aussi, en particulier, le Talmud de Babylone, traité Chabbat 152b, le Zohar (l'ouvrage juif fon-damental de la Kabbale) et ailleurs encore.
8. Ce point est discuté dans un livre de Rabbi Yossef Albo, le Séfer ha- `Ikkarim (Section N, Chapitre 33).
9. Voir Torat ha-Adam, Cha'ar ha-Guémoul (« La doc-trine de l'homme »), chapitre sur récompense et châtiment, en hébreu, écrit par Nahmanide (1194-1270), où sont discutés beaucoup d'aspects de la vie après la mort.
10. Hormis quelques exceptions; voir en particulier le Talmud de Babylone, traité de Roch Hachana 17a, Bava Métzia 58b.
11. Talmud de Babylone, traité de Chabbat 33b.
12. Voir Maïmonide, dans sa préface du commentaire de Pirkei Avot.
13. Talmud de Babylone, traité Bérakhot 64a
14. Voir Tanya de Rabbi Shnéor de Lyadi, chapitre 36 et le commentaire Biour ha-Tanya du Rav Adin Even Israël [Steinsaltz] (en hébreu, pp. 191-192).
15. Exode 32; 20.
16. Isaïe, 52; 8.





  Ce texte est extrait du livre du Rav Adin STEINSALTZ "Mots simples" disponible aux éditions "Bibliophane".


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La nature, le bien, la mort, l'esprit et la matière, la foi, les petits détails, l'amour, le sexe, la famille, la jalousie...autant de mots simples, en apparence, que nous prononçons quotidiennement sans vraiment nous y arrêter.

Le Rav Adin Steinsaltz nous invite ci à réfléchir et à redécouvrir la signification profonde de ces mots de tous les jours. Des mots qui, une fois mieux compris, détiennent la clef d'une vie pleine de sens.

Commentateur et traducteur d'une célèbre édition du talmud, auteur de nombreux ouvrages, La Rose aux treizes pétales, Le Maître de prière et l'Homme debout, le Rav Adin Steinsaltz-Even Israël a publié chez Bibliophane Personnages du Talmud et Laisse mon Peuple savoir.



A PROPOS DE L'AUTEUR
Adin STEINSALTZ


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