PARTIE 3
Après une légère collation durant laquelle on servit à Anaelle des sirops de toutes sortes, pomme, fraise, cerise, ananas, les deux souverains expliquèrent à la Fée de la joie que le château n’avait pas été touché par l’intoxication, car aucun de ses occupants n’avait goûté à l’omelette empoisonnée. En effet, les services de renseignements avaient réussi à les prévenir juste avant qu’ils ne prennent part aux festivités :
- On envoya des messagers à travers toute l’île ! expliquèrent-ils, afin de prévenir du danger. Mais le peuple, trop gourmand ne parvint pas à se retenir, et en mangea de bon appétit.
- Et les maisons ? Pourquoi se décolorent-elles ? demanda la fillette.
- C’est un mystère que nous ne nous expliquons pas ! répondit la Reine. Il semblerait que l’Hamanite Tristoïde s’attaquerait également aux pierres de Pourimland !
C'était amusant d'entendre sa petite sœur converser comme une grande ! Anaelle avait bien du mal à s'y habituer. Elle continua cependant à l’interroger :
- C’est très étrange, en effet ! Mais pourquoi Haman aurait-il empoisonné l’île ?
- En étudiant les étoiles et le zodiaque il a appris que le mois de Adar était sa période de chance, c'est pour cela que chaque année, à la même époque, c’est la même histoire ! Il cherche à nous affaiblir, afin de nous attaquer et de nous détruire ! Mais tant que la joie domine sur notre territoire, il ne peut rien contre nous !
Pourtant ce printemps, il a gagné une bataille, en introduisant ses maudits champignons ! Nous voici en grand danger à présent, car étant donné la faiblesse du peuple, c'est une guerre plutôt qu'une fête qui risque d’éclater le quatorze Adar ! Si par malheur le traître gagne, il prendra notre place sur le cœur qu’est Pourimland. Sur sa périphérie, il y construira une écorce gigantesque et opaque qui privera le pays des rayons de soleil. Pour finir, il y installera une lune à lumière noire, imposant ainsi à Pourimland sa domination totale !
- C’est terrible ! s’écria la fillette, terrorisée.
- Oui ! Mais il ne faut pas avoir peur, car bien qu’il soit caché, Hachem est de notre côté ! rassura le Seigneur Mordekhaï. Et puis, conclua-t-il, ce ne sera pas le premier duel que nous mènerons contre cet ignoble individu et les siens !
Mordékhaï et Esther se levèrent enfin, et invitèrent Anaelle à visiter l'île.
Pourimland se divisait en plusieurs régions. Il y avait celle des clowns, des papillons, des animaux en peluches, et bien d'autres encore que la fillette n'eut pas le temps de connaître.
Elle eut beaucoup de chagrin en constatant de ses propres yeux les ravages commis par l'épidémie. Les rues des villes avaient pratiquement perdu toutes leurs colorations et leurs habitants, blafards, ne souriaient plus.
Le territoire des clowns semblait le plus touché ! Construites en bord de mer, leurs maisons, qui jusqu’alors débordaient de couleurs vives et joyeuses, se confondaient à présent avec le sable de la plage de Pourimland, et leurs pauvres propriétaires se transformaient jour après jour en clowns blancs.
En les apercevant si malades, Mordekhaï soupira profondément :
- Ce sont les plus fragiles d’entre nous ! dit-il, et il est grand temps de mettre en marche notre programme de rétablissement rapide. Le peuple doit être guéri avant ce soir, commencement de la fête nationale ! Parce qu’un Pourim sans couleurs, ni rires, et surtout sans michté ne sera pas un Pourim, mais un Kipourim ! Et ce n’est pas la saison …
- Veuillez m’excuser, Majesté ! osa la petite fille, mais il me semble bien que nous sommes déjà le quatorze aujourd’hui ! Étant donné que …
- Non, non ! Nous sommes bien le treize Adar ! coupa avec autorité le Seigneur.
Impressionnée, la fillette ne se permit pas de le contredire, elle pensa néanmoins en son fort intérieur : « Le treize ! Voilà qui est bien étrange ! C’est sans doute à cause du décalage horaire ! »
- Si la joie ne se rétablit pas avant demain, le méchant attaquera sans pitié puisqu'il sera le plus fort, poursuivit Mordekhaï, mais dans le cas contraire, il restera une année de plus au fond de l’océan à se morfondre avec son aigle et ses requins bleus !
- C’est à présent à toi d’intervenir, ma chère Fée ! lança la Reine avec énergie. Je crois qu’il serait sage de commencer par les plus grands malades ! Pinpin nous aidera à les trouver !
- Parmi les clowns, c'est Rinpinpin le plus atteint ! affirma Pinpin, la voix tremblante. Adorant les champignons, il en a mangé plus que tous les autres ! A cette heure, Il est si blanc qu’on pourrait croire qu’il s’est badigeonné le corps avec de la crème fraîche !
- Où se trouve-t-il ? interrogea gravement la souveraine.
- Chez lui, dans son lit … Il ne tient plus debout !
- Allons-y ! ordonna Anaelle.
Lorsqu’ils arrivèrent dans la maison du petit malade, ils n'entendirent ni bruit, ni son. Rinpinpin, allongé sur son lit, fixait le plafond, l'air absent.
Anaelle s'approcha doucement de lui :
- Bonjour Rinpinpin, Je suis la Fée de la joie ! Je suis venue pour t'aider. Avec l'aide de Hachem bien sûr, je vais essayer de te rendre l'énergie de gaieté que l'Hamanite Tristoïde a détruite en toi !
Rinpinpin tourna tristement la tête vers la petite fille :
- Fée de la joie ? Tu es bien jolie dans cette robe arc-en-ciel ! Merci d'être venue ! Mais je suis désolé de te décevoir, personne ne peut plus rien pour moi !
- Moi, si ! Je possède une baguette magique qui contient dans son sourire l'énergie positive manquant à tes cellules ! Mais cessons de parler et mettons-nous au travail ! Il vaut mieux que tu gardes le peu de force qui te reste !
Anaelle se tourna vers Mordekhaï et lui demanda conseil sur la façon dont elle devait tenir le bâton-sourire :
- Comme avec l'aigle noir ! recommanda-t-il.
- Je ne risque pas de le blesser ! s'inquiéta-t-elle.
- Non car contrairement à cet affreux volatile, Rinpinpin est gentil ! Sache que le bien ne détruit que le mal !
Rassurée, la fée dirigea le sourire dans la direction du clown. Le cercle jaune s'alluma instantanément, irradiant de lumière le petit malade.
Il se produisit alors un phénomène étrange. Les rayons lumineux furent rejetés par le corps de Rinpinpin, ce qui fit perdre l'équilibre à la petite fille qui tomba à terre, et se mit à pleurer.
Aussitôt Pinpin, la Reine et Mordekhaï la soulevèrent tout en la consolant. Ils l'assirent sur une adorable chaise en bois matelassée, et lui offrirent un verre d'eau fraîche. Lorsqu'elle retrouva son calme, la fillette questionna :
- Que s'est-il passé ?
- Ce que je craignais ! dit gravement le Suzerain. Rinpinpin est déjà un clown blanc ! Et comme vous le savez, le blanc rejette toutes les couleurs !
Son corps a donc repoussé ton faisceau de joie magique ! expliqua encore Mordekhaï.
- Cela signifie que Rinpinpin est perdu ? osa Pinpin, profondément inquiet pour son ami.
- Non, si nous parvenons à le convaincre de faire un minuscule effort pour qu'une pointe de couleur le pénètre, il sera possible d'introduire à petite dose la nouvelle énergie de gaieté dont il a besoin pour vivre ! Peut-être aurais-tu une idée de ce qui lui donnerait envie de reprendre un peu de couleurs, toi qui est son ami ! Mis à part les champignons, qu'est-ce qu’il aime le plus ?
- Les oreilles d'Hamae, les bonbons… r épondit Pinpin sans réfléchir. Mais ce qu’il préfère par-dessus tout, c’est un vin du nom de « Fantasia »!
Anaelle sursauta. Le « Fantasia » est donc bien du vin ! pensa-t-elle, un peu coupable. Elle se souvint alors de la petite bouteille cachée dans la poche de sa robe. Elle la sortit, sans tarder, et en servit au pauvre clown qui, épuisé, fermait déjà ses yeux :
- Bois Rinpinpin, bois je t’en prie ! C'est du Fantasia ! Tu adores le Fantasia, n’est-ce pas ?
Il en avala quelques gorgées, malgré lui, mais ne rouvrit pas les yeux pour autant.
Ce fut un instant de grande angoisse, car Rinpinpin ne réagissait plus ! Soudain ses joues prirent une légère tinte rosée que chacune des personnes présentes dans la chambre remarqua.
La reine Esther-Ayala proposa alors de sa voix fluette de renouveler l'expérience :
- Et ne crains rien, Fée de la joie ! encouragea-t-elle, car nous nous tiendrons derrière toi au cas où tu tomberais à nouveau !
Anaelle se concentra de toutes ses forces, pria Hachem de l’aider, et enfin, orienta, pour la seconde fois, sa baguette vers le malade. Par la force de sa volonté, elle réussit à régler le rayon lumineux. Celui-ci effleura avec plus de douceur le visage du clown.
Le miracle se produisit. En quelques minutes, son sourire réapparut, son nez rougit, et ses yeux se noircirent. Pour finir, il éternua trois fois. Puis d’un bond, il s’assit sur son lit, fixa avec espièglerie ses invités et partit dans un éclat de rire qui fit trembler les portes et les fenêtres de son logis.
Une à une les couleurs réapparurent sur les murs de sa maison !
Soulagé de le revoir si plein de vie, Pinpin lui prit les mains et tous deux se mirent à danser joyeusement. Entraînant Mordekhaï, la Reine et Anaelle dans leur farandole, ils sortirent en criant :
- Vive la Fée de la joie ! Vive la Fée de la joie ! Venez tous, mes amis ! Venez tous vous faire soigner par sa baguette enchantée !
Et pour la première fois depuis le début des festivités du mois de Adar, on entendit à nouveau chanter dans le quartier des clowns.
Etant moins atteints que leur copain Rinpinpin, Anaelle n’eut aucun mal à les inonder de son rayon. Ainsi l’un après l’autre les clowns se recolorèrent.
La farandole s’agrandit à mesure qu’elle traversait la ville des pantins. Elle poursuivit sa course joyeuse jusqu’au territoire des papillons, puis à celui des animaux. A la fin de l’après-midi, Pourimland entier dansait dans la rue.
Lorsque la lune apparut, les souverains donnèrent l’ordre d’allumer les feux d’artifices, proclamèrent l’ouverture officielle des festivités, et firent sonner les trompettes car Pourimland était sauvé !
Cependant ce ne fut que le lendemain que la joie éclata véritablement !
On vit Anaelle s'envoler vers le ciel au milieu de ballons et de papillons rouges, verts, jaunes, bleus ! Les clowns les rejoignirent montés sur leur turbo-bouteilles, suivit de trois vaches, deux éléphants et un tigre volant, tous en peluche. Ensembles, ils firent des rondes et des pirouettes, des cabrioles et des galipettes aériennes. La petite fillette riait à en perdre le souffle. Elle ne s'était jamais autant amusée de sa vie.
" C'est merveilleux Pourim, à Pourimland ! " pensa-t-elle alors.
- Plus jamais je ne serais triste de ma vie ! cria-t-elle à Pinpin alors qu'elle tournait sur elle-même grâce à sa baguette magique.
Puis la Reine Esther l'invita à s'assoir à la table d'honneur.
Et tous les petits clowns, et tous les papillons multicolores, ainsi que tous les animaux en peluche de Pourimland se mirent à danser autour d'elle.
Apportant un énorme paquet rose bonbon, Pinpin, Rinpinpin, Tal et Tam vinrent à elle :
- Anaelle, Grande Fée de la Joie, dirent-ils en cœur, ce cadeau est pour toi de la part de nous tous, afin de te remercier de nous avoir sauvés !
La boite était si grande que la petite fille eut bien du mal à l'attraper. Elle la posa sur le sol et l'ouvrit !
Elle découvrit alors un énorme rouleau de parchemin, peint à la main, sur lequel on pouvait lire :??????????????????????
- C'est pour ne pas que tu nous oublies, lorsque tu rentreras chez toi ! expliquèrent Tal et Tam.
- Tu emporteras ainsi un peu de chacun d'entre nous ! ajouta Rinpinpin.
La Fée de la joie eut soudain envie de pleurer. Elle aurait voulu rester toute sa vie dans ce monde enchanté ! Elle aurait voulu ne jamais le quitter.
Lorsqu'Anaelle se réveilla, la table était presque entièrement desservie et la nuit déjà tombée. Les invités se disaient au revoir. La fillette, à la fois frustrée d'avoir raté la fin du repas et quitté le monde du rêve, se leva brusquement et courut vers sa mère :
- Oh maman, maman ! Pourquoi faut-il que ce soit déjà fini ? C'était trop bien, trop bien !
Amusée, mais aussi un peu inquiète, Maman la prit dans ses bras afin de la consoler :
- Ne pleure pas ma chérie, car il arrivera un jour où la joie de Pourim durera toute la vie ! En attendant, garde en toi toutes les forces que tu a reçues aujourd'hui, elles te serviront à poursuivre le chemin !
Et, le sourire aux lèvres, elle ajouta :
Et la prochaine fois, même si Tatie Simha se trompe, évite de boire du Fantasia !
Pourim Samea'h, Les Enfants !
Les illustrations sont de Livna Rotnemer.