PARTIE 2
Le soir, à l'heure du coucher, Anaelle raconta à sa maman et à sa petite sœur qu'elle serait la fée de la joie, et qu'une grande mission l'attendait, car elle avait décidé d'en être une, pour de "vrai" !
- Comment feras-tu ? interrogea Ayala qui se l’imagina dans les airs, lâchant sa poudre magique sur la tête des invités pour les égayer.
- Je ne sais pas !
La fillette se rassit sur son lit et demanda :
- Maman, comment fait-on pour être une vraie fée de la joie ?
- Pour être la fée de la joie ? Il faut être joyeuse !
- Comment fait-on pour être joyeuse ? Mamie m’a dit que c’était une Mitsva, surtout à Pourim !
- Oh, Oh ! En voilà une question difficile !
Leur mère réfléchit un instant puis expliqua, tout en bordant Ayala :
- Je crois que chacun de nous a sa propre méthode !
- Quelle est la tienne ? sonda la future fée.
- La mienne ? ! ... Euh… Pour être joyeuse, je m'efforce de regarder le bien dans toutes les choses de ma vie, et de remercier Hachem pour ce qu'Il me donne, et …
- Et si Il ne te donne pas ?
Maman sourit :
- Et bien, j'essaie de comprendre pourquoi ! Ce n'est pas toujours facile, je l'avoue …
- Et si tu ne comprends pas ? insista encore Anaelle.
- Je vérifie que je n’ai pas triché, quelque part, dans ma tête ou dans mon cœur. Si malheureusement c’est le cas, j'essaie de réparer et j’ai confiance !
- C'est de cette façon que tu restes toujours gaie ?
- Oui, car je choisis toujours de rester sous les Ailes du Maître du monde qui n'abandonne jamais celui qui Le cherche sincèrement. Et même s'il m'arrive quelquefois d'avoir peur, à cause du mal, comme celui du cruel Haman, je me souviens qu’à chaque instant, si nous le méritons, Hachem peut tout renverser ! Naafo'h hou !!! - Comme à Pourim !
- Oui comme à Pourim ! Et c'est précisément le message de cette fête !
Sur ces paroles, elles récitèrent le Chema Israël (prière du coucher), puis Maman fit un gros bisou sur le bout du nez de ses fillettes et éteignit la lumière !
Lorsqu'Anaelle ferma les yeux, les mots de sa maman résonnaient encore dans ses oreilles. Elle se promit de ne jamais les oublier...
Le jour tant attendu arriva enfin !
Pourim, avec ses rires et ses farces, ses michloah-manot et ses bambins aux poches remplies de bonbons et de gâteaux de toutes sortes, Pourim, la fête préférée des jeunes et des plus grands !
Anaelle et Ayala s'étaient levées tard dans la matinée. Vers les onzes heures, Papa les accompagna à la deuxième lecture de la meguila. Il resta avec elles jusqu'à la fin. Cependant, à la sortie de la synagogue, il leur annonça qu'elles devaient retourner seules à la maison car il avait encore quelques paquets à distribuer aux voisins.
- Dépêchez-vous, mes chéries ! La pluie commence à tomber. Vous avez toutes les chances de vous tremper comme des soupes ! Ce serait réellement dommage pour vos si jolis déguisements ! Et puis il faut aider Maman à préparer le michté. Les invités arrivent dans moins d’une heure !
Anaelle, en aînée protectrice, prit la main de Ayala et se dirigea vers la maison.
Sur le chemin, la grande sœur, agacée par les pleurnicheries de la petite qui tremblait à chaque pétard allumé par des gamins du village, lui expliqua que les Juifs de Chouchan aussi avaient eu peur, et que, même caché, Hachem les avait sauvés :
- Tu es la Reine Esther, aujourd’hui, donc toi aussi, tu dois être courageuse et ne pas pleurer ! Nous arrivons bientôt, alors arrête de faire le bébé !
- Pour une fée de la joie, je trouve que tu es bien ronchonne ! se défendit la soeurette en reniflant.
Elles franchirent la porte quelques instants avant la grosse averse.
Mamie, qui était déjà présente, les embrassa bien fort sur les deux joues tout en les complimentant sur leur beauté !
- C’est grâce à toi Mamily que nous sommes si belles ! dit Ayala qui avait retrouvé le sourire.
- Je vous ai un peu aidées, c’est vrai ! En vérité je ne parlais pas de la beauté de vos déguisements, mais de celle de vos petites Néchamot (âmes) que l'on découvre à travers les costumes que vous avez choisis ! Car, vous ne le savez peut-être pas, la plupart du temps le déguisement est le reflet de la néchama !
N’étant pas tout à fait sûre d'avoir compris sa Mamie, Ayala la fixa un instant, puis demanda avec naïveté :
- Cela voudrait dire que la néchama d’Ariel ressemble à un extra-terrestre, et celle de Dan à un singe ?
Mamie et Anaelle éclatèrent de rire !
David hurla à Dan qu’il savait depuis toujours qu’il avait quelque chose d’un singe, tandis que Raphaël demanda à Ariel le nom de sa planète.
Profondément vexée, la Reine Esther s’enfuit en larmes se cacher sous les couvertures de son lit.
La f ée de la joie releva le défi, et se chargea de rendre le sourire à sa petite sœur humiliée. Elle lui apporta trois oreilles d’Haman, sachant qu’ils étaient le gâteau favori de la Reine, s’assit sur le lit, et lui raconta une magnifique histoire de Pourim. Lorsque la fillette fût enfin calmée, elle accepta de quitter sa chambre et de recevoir les michloah-manot que Tati Simha, arrivée depuis peu avec ses deux jumelles, avait préparés pour tous les enfants présents.
La fête battait son plein. Les parents pouffaient des farces et attrapes (faux cornichons, olives en plastique etc.…) déposées dans chaque assiette par les soins de King-Kong, de la chauve-souris et de l'extra-terrestre.
Mamie hurla à la vue de la fausse araignée que le gorille avait subrepticement mise sur son épaule. Oncle Ben cracha discrètement dans sa serviette sa gorgée de jus d'orange salé, et Maman faillit bien s'évanouir à cause de la tache d'encre bleue qu'elle aperçut au centre de sa nappe blanche brodée à la main. Elle rit de soulagement lorsque sa chauve-souris de grand fils souleva la tache d'un geste tranquille !
Pendant ce temps, Anaelle, fatiguée de jouer, avec ses sœur et cousines, aux fées, aux Reines, et aux papillons enchantés, s'assit sur le canapé près de la fenêtre, afin de goûter aux derniers délices de son michloah-manot. Elle le rouvrit et constata qu'il ne lui restait plus qu'un sucre d’orge, deux barres en chocolat, quelques pastilles de couleur, trois chewing-gums, une figue sèche, et une petite bouteille de … De jus de raisin blanc ? Ou, peut-être d'une nouvelle sorte de cidre…
Elle sortit la bouteille de la boite cartonnée qu'elle posa sur le rebord de la fenêtre, puis lut à haute voix l'étiquette :
- " F a n t a s i a".
Fantasia, quel drôle de nom pour un jus de pomme ! pensa-t-elle.
Elle le déboucha aussitôt, et y trempa ses lèvres… Juste pour goûter…
Ensuite elle en avala une légère gorgée, puis une autre plus sérieuse. Hum !... C'est bon !... C'est très bon !...
Non, non ! Ce n'est pas de l'alcool ! se persuada-t-elle. Ce ne peut pas être de l'alcool puisque c'est un cadeau de Tati Simha !
… Encore un peu… Pour en être plus sûre …
C'est ainsi que notre petite Fée but plus de la moitié de cette boisson pétillante ! Puis, vaguement culpabilisée, elle referma la bouteille et la cacha dans sa poche.
Le monde lui parût alors étrange ! Les bruits ambiants devinrent des bourdonnements lointains, et les couleurs de la pièce des sortes de taches multicolores.
Soudain, le décor changea ! Les meubles et les invités disparurent.
Sur la fenêtre, elle aperçut le mignon clown de son michloah se décoller de l'emballage cartonné.
Le petit clown semblait triste, car son sourire l’avait quitté :
- Il faut que je la trouve ! murmurait-il sans cesse. Il faut que je la trouve. Si je ne la trouve pas, le Seigneur et la Reine ne me le pardonneront jamais !
Interloquée, Anaelle se pencha vers lui :
- Bonjour !
- Bonjour ! renifla-t-il.
- Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Et qui cherches-tu ? bombarda la fillette.
- Je m'appelle Pinpin, et je viens de Pourimland !
- Pourimland ?
- Oui, Pourimland ! Le pays de Pourim ! Je suis envoyé en mission spéciale par notre Reine Esther afin de ramener la Fée de la Joie à Pourimland, car elle est la seule qui peut encore le sauver de la catastrophe ! Les deux papillons Tal et Tam qui m’accompagnent dans cette mission, m’ont affirmé avoir aperçu à travers cette vitre, les couleurs de sa robe arc-en-ciel ! Je me suis donc posé ici, et suis entré par la boite du michloah !
Anaelle n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles.
Le clown marchait à présent, allant de long en large sur le rebord de la fenêtre ! Brusquement, stoppant sa marche, il regarda la petite fille :
- La robe, le chapeau, la baguette … Mais, c’est toi la Fée de la Joie ! s ’exclama-t-il. Oh mon D ieu, quel soulagement de te trouver aussi rapidement !
- M…moi ? Bégaya Anaelle.
- Toi, bien entendu ! Tu t’appelles Anaelle, n’est ce pas ?
- Euh, oui.
- Donc tu es Anaelle, la Fée de la Joie, appelée de toute urgence à Pourimland !
- Et pourquoi donc ?
- Pour le désintoxiquer !
- Le désintoxiquer ? Mais de quoi ?
Pinpin se frotta le chapeau, en se demandant comment il allait bien pouvoir lui expliquer la situation :
- Et bien voilà ! dit-il. Tout a commencé à la grande fête de Roch-Hodech Adar (premier jour du mois de Adar). Les cuisiniers du royaume ont servi pour l’occasion, une omelette au champignon géante ! Malheureusement, les champignons utilisés pour la fabrication de cette omelette étaient vénéneux, et la plupart des gens de Pourimland en ont mangé ! Ce champignon, l’Hamanite Tristoïde, a pour propriétés d'effacer les couleurs, et de détruire la capacité de rire et de chanter ! Aujourd’hui la situation est grave, car si l'épidémie se propage, cela signifiera dans un premier temps l’annulation, le quatorze Adar, de Pourim, notre fête nationale, et dans un deuxième temps, que Hachem nous en préserve, la disparition complète du peuple de Pourimland. C’est pour cela que l’on m’envoie te chercher !
- Moi ? s ’étonna-t-elle.
- Tu es la seule à pouvoir rendre aux cellules des Pourimlandais l’énergie de joie que l’Hamanite Tristoïde a détruite !
- Ah ! Bien ! Et où trouverais-je cette énergie ? questionna-t-elle inquiète.
- Dans ta baguette, et dans son sourire ! dit Pinpin, déconcerté par l'ignorance d'Anaelle. Ecoute ! rajouta-t-il, la Reine et le grand Seigneur Mordekhaï en savent bien plus que moi ! Ils t’expliqueront tout !
La fée réfléchit un moment, puis décida qu’étant donné qu’on avait besoin d’elle et de sa baguette magique, elle partirait, et sans tarder ! :
- C’est d’accord, je viens avec toi ! d éclara-t-elle avec conviction.
- Oh merci Anaelle, merci ! La Reine ne se trompait pas quand elle m’a affirmé que nous pourrions compter sur toi ! A présent, puisque tu as décidé de nous suivre, dépêchons-nous, car la route est longue jusqu'au pays de Pourim !
Alors le petit clown regarda autour de lui, cherchant la meilleure issue possible :
- Je ne vois pas d’autre passage que celui de la boîte ! dit-il finalement. La fenêtre est trop lourde, nous ne parviendrons jamais à la déplacer !
- La fenêtre est difficile à ouvrir ? s ’étonna Anaelle.
- Evidemment ! Nous sommes trop petits ! Allons, viens vite !
La fée prit soudain conscience de sa nouvelle taille. Elle était à présent aussi petite que Pinpin !
Sans réfléchir, elle suivit le clown dans le carton et se retrouva, en moins d’une minute, sur un des murs extérieurs de sa maison. Deux papillons, l’un rouge et l’autre violet, voletaient près d’elle, tandis que Pinpin, à cheval sur une bouteille de vin, lui faisait signe de le rejoindre.
Refusant de regarder vers le bas de peur de basculer dans le vide, elle lui cria paniquée :
- Comment dois-je faire ?
- Et bien, vole ! Aurais-tu oublié tes ailes ! lancèrent Tal et Tam, tout en s’éloignant.
Voler ? Ses ailes ? Mais oui, elle avait des ailes ! Elle se mit à les agiter gaiement :
- J’ai des ailes ! J’ai des ailes ! Mais c’est merveilleux ! Absolument merveilleux !
- Qu’attends-tu pour décoller ? s ’impatienta Pinpin.
Anaelle n’osa lui avouer qu’elle n’avait jamais volé de sa vie. Elle hésita un instant puis se dit à elle-même, pour se donner du courage :
« Si la fée de la joie vole, il ne fait aucun doute que je sais voler ! »
Elle fixa sa baguette à une des coutures de sa robe, ferma les yeux, et sauta en priant de toutes ses forces Hachem de ne pas l’abandonner.
Lorsqu’elle se risqua à nouveau à regarder, elle se rendit compte qu’elle planait au-dessus des nuages, éclairée par les rayons d’un soleil éclatant. C’était tout simplement extraordinaire ! …
Elle se laissa porter par une petite brise, puis fit des loopings, et enfin battit des ailes tranquillement tout en admirant le paysage. Anaelle débordait de ravissement !
Plus loin, Pinpin et ses deux associés ne partageaient pas du tout son engouement ! Ils volaient le plus vite possible, surtout Pinpin qui était passé à la vitesse maximum de son « turbo-bouteille ».
Quand enfin, après de gros efforts, la fée de la joie les rejoint, elle entendit le petit clown annoncer :
- Nous arrivons !
- Regarde, Pinpin ! Les couleurs ont presque toutes disparu ! dit Tam le papillon rouge.
Vu d'en haut, Pourimland était semblable à un énorme cœur plutôt gris posé sur un océan bleu azur.
- Mon D. ieu, j'espère que nous n'arrivons pas trop tard ! g émit Pinpin. Anaelle, prépares-toi à atterrir sur la piste du château de la Reine ! Le vois-tu ? demanda-t-il en lui indiquant le seul bâtiment de l'île encore coloré.
Atterrir ? pensa Anaelle. Elle devait atterrir ! Elle regarda en bas, et fut prise de vertige. Elle se mit à tanguer, puis piqua en ligne droite vers la magnifique bâtisse.
C'est alors que, fonçant dans sa direction, elle aperçu un aigle noir géant. Celui-ci essaya de l'attraper à l'aide de ses griffes acérées. La fée de la joie hurla de terreur !
Ses amis vinrent à son aide et tentèrent de faire fuir l'aigle qui la chargeait à nouveau.
- Anaelle, ta baguette, ta baguette ! Utilise ta baguette ! répétait sans cesse Pinpin.
La petite fée, se forçant à retrouver un semblant de calme, attrapa son bâton-sourire, et le dirigea en direction du gros oiseau de proie.
A son grand étonnement, le sourire s'alluma et irradia de sa lumière jaune éclatant le volatile, qui fut brutalement projeté en arrière. Sans chercher à se défendre, ce dernier s'éloigna et disparut dans la mer profonde.
- Victoire ! Victoire ! crièrent le clown et les papillons. Tu as gagné ! Victoire !
Après cette redoutable attaque, les quatre voyageurs se posèrent en douceur sur le toit du château.
" Pour un premier atterrissage, je ne me suis pas trop mal débrouillée !" pensa la petite fille, encore tremblante de toutes les émotions qu'elle venait de traverser :
- Bravo, Fée de la joie ! Tu as remporté avec succès le premier combat ! lui dit un homme habillé de bleu et coiffé d’une couronne en or. Si l'aigle d' Haman t'avait capturée, il en aurait était fini de Pourimland !
- L’aigle d’Haman ? s ’exclama Anaelle.
- Oui, Haman, notre pire ennemi, qui a décidé notre perte ! Nous le soupçonnons fortement d'être le responsable de l’empoisonnement de Pourimland !
- Ah ! répondit ahurie la petite Fée de la joie qui reconnut en ce personnage imposant son directeur d'école.
- Mais je ne me suis pas présenté ! rajouta l’homme, je suis Mordekhaï le Suzerain de ce royaume, et voici ma nièce, la Reine Esther !
- Enchantée ! r épliqua timidement Anaelle tout en se tournant dans la direction indiquée par le Seigneur.
A sa stupéfaction grandissante, elle découvrit que la Reine qui lui faisait face n'était autre que sa petite sœur Ayala !
- Ayala ? osa-t-elle dans un souffle.
- Pardon ? r épliqua la jeune Reine avec surprise.
- Euh… Non rien, c'est-à-dire… Vous ressemblez tellement à…. ! Mais, mais cela est sans importance ! bafouilla la fillette.
- Bien ! Alors entrons ! Nous serons plus à l'aise à l'intérieur pour discuter.
Tout en félicitant Pinpin, Tam et Tal du succès de leur mission, les deux monarques introduirent leur hôte dans le palais.
Suite...
Les illustrations sont de Livna Rotnemer.