- La première fois que j’entendis pleurer ce pauvre
petit Chofar, j’en fus toute bouleversée, je cherchais partout
un remède, je frappais à toutes les portes ; finalement, j’allais
voir le Rav de notre communauté. Il me dit de prier beaucoup, car
c’était à D. que je devais demander une solution. Je
crois qu’il avait du mal à me prendre au sérieux !
- Et ensuite, Mammy ?
- Et bien, je priais, et il me semble bien que la prière
m’aida à trouver le sirop de Emouna ; car le lendemain, alors
que je me promenais dans les Souks, je vis un très vieux monsieur
qui m’interpella et me demanda des nouvelles de notre Chofar.
- « Il est bien malade monsieur, et je ne sais comment
le soigner ! »
Alors il m’entraîna dans un coin retiré de
son magasin et me montra un magnifique tapis, tout de soie brodé.
- « Ce n’est qu’un morceau du tapis du roi
Salomon, mais il peut voler. Le roi Salomon voyageait d’un bout à l’autre
de la terre avec cette merveille, peut-être t’aidera-t-il à trouver
un remède pour le Chofar ».
Je restai ébahie devant la beauté du tapis, je
ne savais que dire…
- « Eh bien petite ! Tu n’es pas satisfaite de
mon cadeau ?
- Si, si monsieur, mais pourquoi… me le donner ?
- Pour que tu soignes ton Chofar !
- Vous savez quelque chose, monsieur, sur le remède
que je dois lui donner ?
- Je crois bien qu’il a besoin de sirop de Emouna…
- Du …Qu’est-ce que c’est ?
- Oh ! C’est un sirop si doux, si sucré, si mielleux,
qu’aucune maladie ne lui résiste…
- Ah ! Et où puis-je le trouver ? Monsieur, je vous
en prie, indiquez-moi un chemin !!!
- Où le trouver ? Mais il faut le fabriquer toi-même
!...
- Comment ?!!
Alors le vieux monsieur me donna une cruche en terre cuite
et me dit :
- « Dès que tu entendras quelqu’un, un homme,
une femme ou un enfant faisant une prière à D… tu cueilleras
une de ses paroles au vol, et tu la placeras délicatement dans la
cruche. Lorsque tu en auras suffisamment, tu ajouteras un peu d’eau
du fleuve qui prend sa source dans le Gan Eden et qui se divise en quatre
bras. Le tapis t’y mènera,…maintenant, va petite »…
Je remerciais beaucoup le vieux monsieur, et partis faire ce
qu’il m’avait conseillé. Je rentrais chez moi avec le
morceau du tapis du roi Salomon et le mis sous mon lit. Il ne me fallu qu’une
semaine pour remplir ma cruche. Seule l’eau manquait.
Le soir même, j’étalai le tapis sur le sol
de ma chambre, ouvris la fenêtre, et attendis qu’il s’envole.
Malheureusement, rien ne se produisit. Je restai toute la nuit, à espérer
voir le tapis voler. Le lendemain matin, je retournais voir le vieux monsieur
dans sa boutique. A ma grande surprise, le minuscule magasin avait disparu, à la
place il n’y avait qu’un grand arbre très ancien. Je ne
comprenais plus rien, je m’assis par terre et me mis à pleurer à gros
sanglot. Soudain, entre les feuilles des arbres, j’entendis une voix
de femme très douce, qui me disait :
- « Le roi Salomon commandait au vent, et le tapis s’envolait.
Essaie, toi aussi car si D… le désire, le vent t’obéira
comme il a obéit à Salomon »
- Qu’as- tu fais alors Mammy ?
- Et bien…Oh ! Mais il est déjà deux heures
du matin ! Il faut vite aller nous coucher !! Je terminerai mon histoire
demain si D… me le permet.
- Mais Mammy, le pauvre Chofar est toujours aphone !
- Ecoute Léa, dès demain j’irai chercher
la cruche et comme cela tu pourras rapidement commencer la préparation
du sirop de Emouna. Ensuite nous verrons ! Il te reste dix jours d’ici
Kippour ; à présent, au lit !
Lorsque sept heures sonnent, Léa se lève d’un
bond, et court vers la chambre de ses grands-parents. Papy, debout déjà plus
de deux heures, étudie un commentaire de la Torah. Léa tape à la
porte :
- C’est toi Léa ? Entre ma chérie, j’ai
quelque chose pour toi !
La fillette ouvre la porte avec précipitation :
- Ah Mammy ! Si tu savais comme j’ai eu du mal à m’endormir,
hier ! Je repensais au tapis, à la cruche, au vieux monsieur…
- Ouvre le tiroir de la commode, ma chérie, il y a
une grosse clef jaune…Tu la trouves ?
- Je l’ai Mammy !
- Lave-toi, habille-toi et rejoins-moi en haut dans le grenier
de la maison.
- Lorsque le vieil homme me confia la cruche, elle paraissait
avoir plus de deux milles ans. Mais le sirop de Emouna la rendit comme neuve.
- Ah oui ? Oh ! Raconte-moi la suite de ton histoire Mammy
!
- Et bien après avoir entendu cette voix de femme,
je me précipitais sur mon tapis, et priais très fort D… pour
qu’il commande aux vents de m’emporter. Après quelques
instants, la fenêtre s’ouvrit brusquement et le tapis survola
toute la ville. Il montait, montait, très haut dans le ciel, il volait à une
allure folle. Je perdais mon souffle. Puis il freina et descendit doucement.
A mesure qu’il descendait, une odeur indescriptible
pénétrait mes narines et m’enivrait, une odeur magnifique
que je n’ai jamais sentie ailleurs. « C’est le parfum des
fleurs qui poussent dans le Gan Eden » m’avait dit le vieux monsieur.
- Ensuite Mammy ?
- Je ne veux pas tout te raconter ma fille, je crois que si
D… t’entend, tu feras aussi ce voyage. Tu verras, écouteras
et sentiras par toi-même. Il te faut maintenant cueillir les perles
de Emouna, (c’est comme cela qu’on les nomme) et les déposer
dans la cruche.
- D’accord, j’y vais tout de suite.
Elle descend les marches du grenier, se dirige vers sa chambre,
y dépose la cruche, et court toute joyeuse dans la cuisine pour y
prendre son petit déjeuner. David ainsi que tous les cousins sont
déjà à table.
- Bonjour, dit-elle gaiement.
- Bonjour Léa, répond son grand frère,
tu veux manger ?
- Oh oui, j’ai très faim !
- Euh … Léa, on peut te poser une question ?
- Bien sûr !
- Que faisais-tu avec Mammy Sarah dans le grenier ?
Léa est très gênée, et rougissante,
ne sait ce qu’elle doit répondre :
- Et bien…
- Dis-nous, s’il te plaît on ne trahira pas ton
secret. On te le promet !
La fillette réfléchit un peu :
- Après tout je n’ai rien à cacher : Mammy
m’a confié une cruche qui doit me servir à la fabrication
du sirop de Emouna.
- Du quoi ?
- Sirop de Emouna, pour soigner le Chofar qui est malade,
j’en ai parlé à table, hier !
- Vous pourrez peut-être m’aider, plus il y a des
perles, mieux ce sera.
- Bien sûr ! Et je sais où en trouver, s’écrie
David
- Moi aussi s’exclame Nathi
- Avec les dix jours de pénitence ajoute Ephraïm,
- on en aura assez pour faire déborder la cruche.
- Et tu pourrais mettre les nôtres !
- C’est une très bonne idée. Il faudrait
que vous en fassiez de superbes, pour que le sirop soit meilleurs encore
!
- Dis Léa ! Demande d’une voix timide Acher, le
plus jeune, on pourrait partir avec toi sur le tapis du roi Salomon ?
- Bien entendu, mais nous n’y sommes pas encore, pour
l’instant il nous faut les perles de Emouna.
Joyeusement, les enfants partent en courant à la recherche
de toutes les prières possibles. Léa se dirige vers l’armoire
et l’ouvre :
- Petit Chofar, tout va bien se passer. D’ici une petite
semaine tu pourras boire du sirop de Emouna !
- Une semaine ! Mais ce sera trop tard. Si ce midi ton Papa
entend encore le son qui sort de ma corne, il me placera pour toujours en
haut de l’armoire.
- Ne t’inquiètes pas, on sera tous là,
j’ai prévenu mon frère et tous mes cousins.
- Mais ce midi, que vais-je faire ?
- Tu feras ton possible, ce sera déjà très
bien comme ça !
Et elle referme la porte aussitôt.
A midi, la synagogue est de nouveau en émoi car le Chofar
sonne plus faiblement que la veille. Aussi, sans dire un mot, Papa se tourne
vers son voisin qui tend précipitamment un autre Chofar.
Léa, du fond de la salle, pense très fort :
- Je te promets Chofar, qu’on te soignera et la prochaine
fois que tu sonneras, ce sera magnifique !
Les illustrations sont de Livna Rotnemer
Suite...