Pour toute une génération de fans, Bertrand Cantat, le chanteur
du groupe NoirDésir a incarné la figure emblématique de
l’artiste engagé. Ses prises de position contre la mondialisation,
son souci de préserver l’identité humaine contre le ras
de marée capitaliste faisaient de lui le chantre de tous ceux qui se
souciaient de protéger les « vraies » valeurs.
Il leur a fallu déchanter…
Nombre d’artistes aujourd’hui et notamment en France se situent
dans une démarche esthétique qui sous couvert d’exprimer
le monde tel qu’il est font du glauque et du morbide leur marque de fabrique.
C’est également une certaine tendance du cinéma français
d’aujourd’hui. La glorification du désir dans sa version
obscure a souvent maille à partir avec la cruauté, le sadisme
et la pulsion violente et primaire. Elle se veut être l’incarnation
d’une certaine liberté de penser.
Que cette approche artistique
et esthétique ait toujours existé et
qu’elle ait participé parfois à enrichir la réflexion
de l’homme n’est pas nouveau: Sophocle, le théâtre élisabéthain,
le cinéma expressionniste ou la peinture surréaliste sont là pour
le prouver. Mais qu’elle se donne aujourd’hui comme le dernier
bastion de l’humanisme humanitaire est une chose absolument irrecevable.
D’une certaine façon,
le geste de Bertrand Cantat le prouve.
Loin de nous l’idée de le juger, mais force nous est de constater
que jamais auparavant les apôtres de la bonne conscience humaniste n’avaient
agi de façon aussi brutale et contredit aussi tragiquement les valeurs
véhiculées par leurs œuvres.
L’intégrité affichée par le chanteur rendait inconcevable
un tel acte et qui plus est à l’encontre d’une femme.
Quelques esthètes bien intentionnés diront que l’œuvre
et l’homme sont des entités bien distinctes. Sans doute. Mais
cela s’entend lorsque l’œuvre grandit l’homme ou le
transcende. L’œuvre de Kafka est plus grande que Kafka et rien dans
la vie de Proust ou de Pessoa ne laissait entrevoir ce que seraient leurs livres…
Mais pour nos artistes
de la compatissance universelles, celle-là même
qui justifie parfois le terrorisme par le désespoir et qui font de leur
indignation « authentique » leur fond de commerce, il est inadmissible
que leur vie contredise à ce point ce qu’ils expriment dans leurs œuvres.
C’est ce que semblait suggérer Thomas Sotinel dans le Monde du
1er septembre 2003, justement à propos de Bertrand Cantat :
«
Tout à coup, il apparaît avec une violence aveuglante que les
valeurs proclamées ne suffisent pas pour tenir le mal à l’écart,
qu’il ne suffit pas de bien penser pour bien agir, que les rapports entre
la morale et la vie sont plus compliqués. Cet apprentissage du doute
est amer. »
On ne le lui fait pas dire. « Ne crois pas en toi, jusqu’au jour
de ta mort » disent les Sages dans les Maximes des Pères. Et plus
encore, il est absolument impensable pour la Torah d’accorder une crédibilité à un
homme de pur discours et de pure pensée. Toute théorie morale
ne se mesure qu’à l’aune de l’action et des faits.
Un homme n’est grand que s’il est capable d’élever
son vécu au niveau de ses exigences morales.
Tel philosophe qui se targuait
de comprendre l’âme des enfants
et qui abandonna les siens, tel autre qui passa sa vie à démonter
et pourfendre les rouages du pouvoir despotique et était un adepte du
sado-masochisme ne sont nullement fiables selon la Torah. Pour elle, c’est
le faire qui fonde la pertinence de la pensée.
La vérité toujours subjective des hommes n’est pas une
fin en soi. Pour être entendue, il faut qu’elle soit vécue.
Mal agir discrédite toute pensée, tout discours. Ce sont nos
actes qui révèlent la fiabilité de nos pensée et
nous permettent également de progresser moralement afin d’atteindre à une
certaine forme d’authenticité.