Les rabbins ont souvent
tendance, dans leurs homélies, à trouver,
avec plus ou moins de succès, un écho de l’actualité dans
le texte de la Paracha (section hebdomadaire de la Torah) de la semaine. C’est
un exercice périlleux, qui donne un résultat souvent assez pertinent
mais parfois tiré par les cheveux.
La Paracha influe sur la semaine qui précède sa lecture et sur celle qui la suit.
On
peut considérer que la Paracha est riche d’enseignements pour
un rabbin en mal d’inspiration. Mais elle n’est pas qu’un
recours technique. Le Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi (18ème siècle,
auteur du Tanya) avait coutume de dire qu’ « un juif doit vivre
avec son temps ». Et son « temps », c’est la Paracha
de la semaine. Celle-ci influe sur la semaine qui précède sa
lecture et sur celle qui la suit. Son message est l’actualité de
la semaine. Et quand l’actualité temporelle la rejoint, le rabbin
n’a plus à chercher bien loin pour élaborer son discours.Aujourd’hui, nous commémorons les attentats du 11 septembre.
Et on ne peut s’empêcher, même si on n’est pas rabbin,
comme c’est mon cas, d’entendre les versets que nous avons lus
la semaine dernière :
« Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek, sur le chemin, à votre
sortie d’Egypte. Il te rencontra en chemin, démembra tous les
gens affaiblis sur tes arrières ; toi, tu étais las et épuisé,
et lui ne craignait pas Dieu. Ce sera lorsque le Seigneur ton Dieu t’aura
donné le repos de tous tes ennemis alentour, dans le pays que le Seigneur
ton Dieu te donne en héritage pour l’occuper, tu effaceras le
souvenir d’Amalek de dessous les cieux, ne l’oublie point. » Deutéronome,
XXV 17-19
Et Rachi explique : « Amalek
ne craignait pas Dieu, ce qui aurait pu le retenir de vous nuire. »
Quelle ironie lorsqu’on pense que les terroristes qui ont fait périr
des milliers d’hommes et de femmes dans les tours, et ceux qui se font
exploser en semant la mort et la désolation autour d’eux, le font
au nom d’Allah, de Dieu. Mais ils ne craignent pas Dieu ! On ne nuit
pas aux hommes quand on Le craint…
Je ne peux m’empêcher de frémir à la pensée
de ces bébés tués à Jérusalem au mois d’août, à ces
jeunes soldats qui croyaient en l’avenir, à cette jeune fille
qui devait se marier hier soir et qui a trouvé la mort avec son père
dans l’attentat d’avant-hier. Et là encore, je reçois
l’écho de la Paracha de la semaine dernière :
« Si
tu rencontres en chemin un nid d’oiseau, sur tout arbre ou à terre,
avec des oisillons ou des œufs, et que la mère soit posée
sur les oisillons ou sur les œufs, tu ne prendras pas la mère avec
les petits. Laisse la mère, laisse-la, et les petits, tu pourras les
prendre : ainsi tu seras heureux et tu prolongeras tes jours. » Deutéronome
XXII 6-7
Les sages s’interrogent sur le sens de ce commandement. Quel est son
intérêt ?
Na’hmanide voit dans ce commandement un côté éducatif
: même pour prendre des oisillons que l’on va élever, et
même si ce ne sont que des animaux, on a le devoir d’agir avec
pitié. Et R. Samson Raphaël Hirsch va dans ce sens : la Torah insiste
sur le fait que si l’on veut prendre les oisillons, il faut renvoyer
la mère parce que lorsqu’elle protège ses petits, elle
est dans un état de vulnérabilité maximum et elle n’a
aucun moyen de se défendre. Comme on est loin de l’ « éthique » des
terroristes qui frappent en traîtres hommes, femmes et
enfants !
La Torah, qui appelle toujours au pardon et à la mansuétude, exige que l’on n’oublie pas Amalek.
La Torah, qui appelle toujours au pardon et à la mansuétude,
exige que l’on n’oublie pas Amalek, l’ennemi juré du
peuple juif. Amalek est polymorphe. Il a eu plusieurs visages avec le temps.
On l’a retrouvé sous les traits d’Aman, ou plus près
de nous, de Hitler. On peut retrouver certains de ses traits dans le terrorisme
qui frappe actuellement le peuple juif. Cet appel à la mémoire
n’est pas fait dans un souci de vengeance, puisque celle-ci est interdite
par la même Torah. Mais pour nous, se souvenir est un devoir. La mémoire
fait partie de notre vie, c’est même elle la détermine. "Celui
qui veut ignorer le passé est condamné à le revivre..." disait
Goethe.
Hier, en lisant les médias israéliens et en écoutant
les commentateurs et portes-parole officiels, j’ai cru sentir de la lassitude
et de l’impuissance dans leur ton. La répétition des attentats
et la litanie des listes de victimes semblent rencontrer une opinion internationale
anesthésiée -défense naturelle contre une identification
déprimante. C’est du moins ainsi que la chose est perçue
par le prisme des médias français. Et pourtant, en Israël,
chaque attentat est marqué d’une pierre blanche. Les victimes
ont des noms, et des visages, et des familles, et des amis. Et elles font partie
d’une grande famille, le peuple juif.
Alors que pouvons-nous faire ? Comment marquer le souvenir
de ces tragédies,
celle du 11 septembre et celle du terrorisme palestinien qui ont ravi des
centaines vies ?
Une réponse à cela nous est apportée, encore une fois,
par notre actualité rituelle. Nous nous trouvons dans le mois d’Eloul.
Tous les matins de ce mois, à l’exception de Chabbat, nous avons
pour coutume de sonner du Choffar à la synagogue. Cette sonnerie est
porteuse d’un sens bien particulier, nous dit Maïmonide. Elle a
pour but de nous réveiller de la léthargie d’une vie monotone
et bien huilée, et de nous mettre en face de nous même ; elle
nous invite à l’introspection et à l’amélioration.
Le son du Choffar nous fait sursauter. Il nous empêche de sombrer dans
un sommeil sur lequel le temps n’a pas de prise. Il retentit chaque année
pour nous rappeler qui nous sommes et pour nous interroger sur ce que nous
voulons être.
Le souvenir des victimes du terrorisme, pendant ce mois d’Eloul, est
un appel à la conscience individuelle et collective. Personne ne peut
plus rester indifférent. Le réveil a sonné très
fort, l’explosion continue de secouer le monde. Saurons-nous y apporter
une réponse qui nous grandira ?
« De ta demeure sainte, du haut des cieux, jette tes regards et bénis
ton peuple Israël et la terre que tu nous as donnée, comme tu l’avais
juré à nos pères, une terre qui ruisselle de lait
et de miel » (Extrait de la Paracha de cette semaine,
Deutéronome
XXVI 15)