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La secrétaire du Calife (4)

Résumé des chapitres précédents : ‘Hakham Nissim et sa fille Dinah font partie d’un groupe de juifs capturés par des pirates et vendus à un marchand d’esclaves qui les amène en bateau à Bagdad. Mar Yakoub et les autres chefs de la communauté juive, dans l’espoir de pouvoir racheter les captifs à un prix raisonnable, refusent de payer la rançon trop élevée exigée par le marchand. Le lendemain ils apprennent que Dinah a été vendue, sur le bateau même, à un riche musulman, et que son père, dans un effort désespéré pour la sauver, s’est apparemment noyé dans le fleuve. Mais tard dans la nuit ‘Hakham Nissim arrive chez Mar yakoub. Ensemble ils cherchent un moyen pour arracher Dinah aux griffes d’Al Kissei, conseiller du calife Al Maamoun, qui l’a achetée et offerte à sa femme pour la consoler de la perte de leur fille unique. Dans le palais d’Al Kissei, Dinah est admirée par tous ; sa bonne maîtresse consent même, à l’insu d’Al Kissei qui hait les Juifs, qu’elle se conduise en secret conformément à son éducation juive. ‘Hakham Nissim, déguisé en mendiant, réussi à lier amitié avec un serviteur du palais qui lui apprend combien Dinah est aimée de tous. Mais comment arriver jusqu’au Harem pour le sauver ?

Des semaines, des mois passèrent, sans que ‘Hakham Nissim trouvât la moindre possibilité d’atteindre sa fille bien-aimée. Puis, un matin, le fameux portail du palais s’ouvrit, livrant passage à une femme plutôt âgée, le visage couvert d’un voile et accompagnée d’une jeune fille, voilée elle aussi. Reconnaître quelqu’un dans ces conditions était une gageure. Mais le cœur d’un père voit ce que les autres ne peuvent percevoir. Sans hésiter, ‘Hakham Nissim qui, déguisé en mendiant, épiait depuis tant de mois à la porte du palais, reconnut aussitôt la silhouette de sa fille. Il ne se tenait pas de joie. « Bakchiche, ma bonne dame, ayez pitié d’un malheureux ! », dit-il, imitant le chantonnement des mendiants de Bagdad. Rien que sa voix fit sursauter la jeune Dinah. Elle se retourna vivement ; d’un geste fébrile, elle chercha une pièce de monnaie dans sa poche et voulut la tendre à l’homme. Mais la femme d’Al Kissei (car c’était elle) l’en empêcha en disant sèchement : « Il n’est pas convenable que tu donnes un bakchiche ! ».


Entre-temps, une espèce de pousse-pousse était arrivé. La dame et la jeune fille y montèrent. Tandis qu’elles s’éloignaient, on entendait la voix gémissante de ‘Hakham Nissim : « Bakchiche, ma bonne same, ayez pitié ! ».


C’était une chance que le voile fût là, masquant complètement le visage de la jeune fille. Car sans cela, la femme d’Al Kissei n’aurait pas manqué de remarquer la pâleur soudaine qui l’avait envahi, ce qui, inévitablement, lui aurait fait concevoir des soupçons.


Longtemps, Dinah devait se souvenir de l’émotion que la voix de son père avait provoquée en elle. Elle se taisait. Son silence intrigua sa maîtresse. « Mon enfant, lui dit-elle, l’émotion de ta première sortie hors de la maison est-elle si grande qu’elle t’ait fait perdre la parole ? ».

Le Mouchoir

L’excuse qui était si inconsciemment offerte à Dinah la tira d’embarras. « Oui, Madame, répondit-elle aussitôt, c’est bien la première fois que, depuis de longs mois, je me retrouve dans les rues d’une ville. Cela éveille en moi tant de souvenirs ! Excusez, je vous prie, mon manque d’égards. »


Et du ton le plus naturel, elle engagea la conversation d’Al Kissei jusqu’à leur retour. Mais à aucun moment sa pensée ne se détourna de la rencontre inattendue. Elle se rendait compte que son père avait, d’une façon ou d’une autre, échappé à celui qui le tenait prisonnier parmi les autres esclaves, et qu’il s’était déguisé en mendiant pour se rapprocher d’elle sans éveiller de soupçons. Elle savait aussi qu’il serait très dangereux, tant pour elle que pour lui, si, à une prochaine occasion, elle s’arrêtait pour lui parler, ou si elle confiait à quiconque qu’elle le connaissait.


Ainsi, quand elle et la femme d’Al Kissei furent de retour, elle vit son père qui se détournait sous le prétexte de parler à d’autres mendiants ; il donnait ainsi l’impression de ne porter aucun intérêt aux deux passantes. Cela ne surprit point Dinah. Mais toute la nuit et le jour suivant, elle réfléchit sans arrêt, cherchant le moyen de faire savoir à son père qu’elle l’avait reconnu et qu’elle était prête à le rejoindre dès que l’occasion se présenterait.


Le lendemain matin, l’esclave égyptien sortit faire le marché. A son retour, il murmura à la jeune fille quand elle alla à la cuisine : « Le vieux mendiant qui à l’habitude de se mettre devant la porte de la maison vous remercie d’avoir voulu lui donner un bakchich.

« Tiens, répondit-elle du ton le plus banal, donne-lui ceci quand tu le reverras. Le malheureux ! Il avait l’air si démuni ! ».
A ces mots, Dinah tira de sa poche un petit mouchoir. L’esclave ignorait, certes, que c’était celui que ‘Hackham Nissim avait offert à la jeune fille. Ce mouchoir était un souvenir précieux de la mère de celle-ci. S’il parvenait jusqu’à ‘Hakham Nissim, ce dernier le reconnaîtrait à coup sûr et comprendrait le message.


Ce soir-là, Al Kessei arriva au Harem de fort bonne humeur. « Ecoutez ce que je vais vous raconter, dit-il à sa femme et à la jeune fille : ce matin, dès l’ouverture de l’audience par le Calife, il m’appela devant son trône et me montra une lettre que je lui avais précédemment présentée à la signature. « Je serais le dernier, me dit-il, à douter de ton érudition et de ton éloquence. Pourtant, je n’arrive pas à me persuader que c’est là ta manière de penser et ton style. Seule une main féminine peut avoir produit un document empreint d’une telle grâce, tant pour l’élégance de la calligraphie que pour le choix des expressions ». Alors, tout fier, je lui parlai de ma petite secrétaire qui me soulage de tant de travaux. Et que pensez-vous qu’il me répondit ? « Amenez-là-moi sans tarder au palais, qu’elle soit également ma secrétaire ! ». Aussi, ajouta Al Kissei, dès demain, tu viendras avec moi au palais du Calife et tu assisteras, comme moi, à l’audience. Tout cela n’est-il pas merveilleux ? ».

Une Mauvaise Nouvelle

La femme d’Al Kissei fut aussi heureuse que son mari de la chance que leur apportait la jeune esclave. Elle dit à celle-ci qu’elle la conseillerait et dirigerait ses premiers pas. Il fallait qu’elle apprît comment se comporter en public et faire face à toutes les situations qui les présenteraient. Dinah aussi était heureuse. Non qu’elle sentît sa vanité flattée par cet honneur inattendu, mais elle voyait dans ce changement une chance de plus de voir son père, et peut-être un moyen de fuir et le rejoindre.
Mais un moment plus tard, sa joie tomba quand Al Kissei raconta son second succès de la journée.
« De plus, dit-il, j’ai finalement persuadé le Calife de se débarrasser des mécréants ! Il a pris un décret ordonnant à tous les Juifs et à tous les Chrétiens de quitter le pays dans les trois mois. S’il ne change pas d’avis, ou si ces maudits Juifs de Samarra ne trouvent pas un moyen quelconque de le faire revenir sur sa décision, j’aurai remporté la victoire dont je rêve et à laquelle je travaille depuis longtemps. Le premier Juif à partir --- de cela je vais me charger moi-même --- sera le médecin de la cour Hakim Isaac al Karoun.


La femme d’Al Kissei vit qu’à ces mots la jeune fille avait pâli. Mais celle-ci reprit vite le contrôle d’elle-même. La pensée la traversa que de quelque manière la main de la Providence était cachée dans les deux événements apparemment étrangers l’un à l’autre, et dont son maître venait de parler. Peut-être, grâce à eux, aurait-elle une chance de venir en aide à ses frères.
Elle était pleine d’anticipation quand le lendemain matin elle se prépara à sortir pour se rendre au palais du Calife. Elle s’attendait à voir son père assis non loin de la grille à l’entrée de la demeure, et espérait aussi le revoir à son retour. Peut-être, avec un peu de veine, trouverait-elle un moyen de communiquer avec lui. Mais le plus important, c’était de gagner la sympathie du Calife pour ensuite intervenir, au moment voulu, en faveur de son peuple.


‘Hakham Nissim fut aussi heureux que sa fille quand l’esclave égyptien l’informa du grand honneur dont elle était l’objet de la part du souverain. Certes, il était fier des talents du Dinah, mais surtout il espérait que cette visite quotidienne au palais lui fournirait l’occasion de l’enlever tout bonnement et de la mettre en lieu sûr. Cependant, une certaine inquiétude se faisait jour en lui. Sa confiance en sa fille et en sa fidélité à la foi de ses ancêtres était grande. Néanmoins, la tentation à la cour du Calife serait sans doute si forte qu’elle était susceptible d’égarer même une personne plus âgée et plus mûre que Dinah. Aussi pensa-t-il qu’il fallait sans tarder trouver un moyen pour l’arracher à ce lieu néfaste.

‘Hakim Isaac sceptique

Il y avait cependant une difficulté, et elle était de taille. Dinah ne se rendait jamais seule au Palais. Sa maîtresse l’accompagnait toujours. Elle était constamment à ses côtés, la guidant, la conseillant, la protégeant dans ce monde inconnu pour elle qu’était la cour. Grâce à elle, la jeune fille put éviter aisément tous les écueils, gagnant au contraire le cœur de tous ceux qu’elle rencontrait, depuis le Calife jusqu’au plus humble serviteur. Modestement, mais avec sagacité, elle fit son chemin. Pour éprouver son intelligence, Al Maamoun lui confia des tâches de plus en plus difficiles ; elle s’en acquitta avec une habileté et une aisance qui stupéfièrent le souverain et ceux qui l’entouraient. Bien qu’elle eût le visage complètement caché sous les voiles, et qu’elle prît place aux côtés des femmes, nul ne manquait de s’apercevoir de sa présence à la cour.


Très vite, Dinah défraya les conversations dans tous les milieux de la capitale, surtout celui des diplomates qui recevaient, entre autres, des documents rédigés par elle.

(A suivre)



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