Article paru le 22 novembre 1994 dans le New York Times, et diffusé par la station National Public Radio le 7 juin 1996 :
UN AGRICULTEUR CANADIEN A ETE INCULPE D’HOMICIDE VOLONTAIRE COMMIS SUR SA FILLE INFIRME, CE QUI A OUVERT DANS SON PAYS UN DEBAT ANIME SUR LE MEURTRE PAR COMPASSION.
« Suite à un manque d’oxygène pendant la naissance, Tracy Latimer est venue au monde, en 1980, avec une forme très grave de paralysie cérébrale. Elle souffrait de convulsions qui ont progressivement déformé son corps et provoqué des douleurs incessantes. Au moment de sa mort, Tracy avait l’âge mental d’un bébé de quatre mois.
Pendant ses douze années de vie, Tracy a subi de nombreuses opérations ; on sectionnait ses muscles pour soulager la douleur. En 1992, on a inséré des tiges métalliques inoxydables le long de sa colonne vertébrale pour la redresser. Elle ne s’était jamais remise de cette opération-là, et l’on projetait de l’opérer à nouveau. On allait amputer, cette fois-ci, la tête de son fémur pour soulager la très pénible dislocation de sa hanche droite. Les médecins prédisaient une opération très douloureuse suivie de souffrances continues jusqu à la fin de sa vie.
En octobre 1993, peu avant cette opération tant redoutée, Robert Latimer a mis fin aux souffrances de sa fille en lui faisant respirer de l’oxyde de carbone.
Il déclara à la police qu’il aurait été prêt à arrêter le moteur produisant ce gaz empoisonné si elle avait commencé de pleurer, mais qu’elle s’était endormie tranquillement. « Mon seul souci était de mettre fin à sa douleur », indiqua-t-il. Tout le voisinage s’accordait à présenter les époux Latimer comme ayant été particulièrement attachés et attentifs à leur fille pendant sa brève existence. »
LES QUESTIONS SOULEVéES
Le comportement du père de cet enfant a-t-il été celui d’un bon père de famille ?
Hormis le meurtre commis sous l’empire de la légitime défense, le fait d’ôter intentionnellement la vie d’autrui doit-il être considéré comme un homicide punissable, quels qu’en soient les motifs ?
Faut-il prendre en considération l’amour et les soins attentifs que le père a prodigués douze années durant à sa fille ?
Les dépenses occasionnées par son entretien peuvent-elles justifier l’acte commis ?
L’accusation de meurtre était-elle justifiée, ou n’aurait-il pas fallu envisager une autre inculpation ?
Le cas aurait-il été différent s’il avait impliqué un patient adulte qui aurait supplié que l’on mette fin à ses jours pour le soulager de ses souffrances ?
QUELQUES COMMENTAIRES
Susan (sostax@aros.net) écrit :
Une personne au stade 4 (état de confusion avancée) de la maladie d’Alzheimer n’a presque plus aucun intervalle de lucidité. Un cancéreux en stade final subsiste au jour le jour, sans aucun espoir d’amélioration, dans un état de léthargie dû à la morphine. Dans de telles circonstances, on devrait avoir le choix.
roxanne@cjf.org écrit :
En dehors de la peine de mort et de la légitime défense, personne n’a le droit de retirer la vie à quelqu’un d’autre. Bien qu’il puisse paraître raisonnable ou juste à nos yeux humains d’enlever la vie à quelqu’un qui souffre, D.ieu, qui sait et qui voit tout du début jusqu’à la fin, a permis cette souffrance pour des raisons que nous ne pouvons pas comprendre. En ôtant la vie à quelqu’un, ou notre propre vie, nous signifions à D.ieu que nous en savons plus que Lui, et nous nous mêlons de Son plan.
Quand on tue quelqu’un d’autre en invoquant l’excuse de la pitié, c’est parce qu’on ne peut pas supporter la douleur de voir souffrir sa victime.
Catherine écrit :
Lorsqu’on en vient à tuer par compassion, c’est parce que les meurtriers ne peuvent pas supporter la douleur de se savoir en bonne santé, tandis que d’autres souffrent tant.
Le seul moment où il n’y a plus aucun espoir d’une quiconque amélioration de l’état du malade, c’est lorsqu’il est mort. C’est alors trop tard. Tant que l’on est en vie, il est impossible de prévoir ce qui arrivera. Comment le père de Tracy Latimer se sentira-t-il demain si l’on découvre un remède ou un traitement efficace de la paralysie cérébrale, ce qui aurait permis à sa fille, s’il ne l’avait pas tuée, de survivre avec moins de souffrances ?
Chia Rivka écrit :
Quand D.ieu a décidé la fin prochaine de notre séjour sur terre, à quoi bon prolonger nos souffrances ? Un médecin devrait avoir l’obligation de rendre notre sortie de ce monde aussi paisible que possible, de façon à épargner des souffrances inutiles à notre famille.
Vicki écrit :
J’ai soigné mon père jusqu’à sa mort. Il me demandait souvent d’augmenter les doses de ses médicaments afin d’atténuer ses douleurs et ses angoisses. Comme je travaillais en étroite collaboration avec son médecin et avec l’équipe hospitalière qui l’entourait, je savais que si je lui obéissais je le tuerais immanquablement. Il est terrible de voir mourir devant soi un être cher, mais je ne crois pas que j’aurais pu vivre en paix avec moi-même si j’avais obéi à ses implorations : je n’aurais cessé de me prendre pour une meurtrière.
LA PERSPECTIVE JUIVE
Le meurtre fait partie des trois péchés cardinaux du judaïsme, et il existe dans la Bible de nombreuses références qui l’interdisent :
« Qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé » (Genèse 9, 6).
« Tu ne tueras point » (Exode 20, 13).
« Et si un homme s’élève intentionnellement contre son prochain pour le tuer par ruse, tu l’arracheras de Mon autel, pour qu’il meure » (Exode 21, 14).
« Et si quelqu’un frappe un homme à mort, il sera certainement mis à mort » (Lévitique 24, 17).
« Qui frappe un homme [à mort] sera mis à mort » (Lévitique 24, 21).
« Quiconque frappe une personne [à mort], le meurtrier sera exécuté sur la parole de témoins » (Nombres 35, 30).
L’EUTHANASIE ?
Rabbi Tsevi Meklenberg (Europe,19ème siècle) écrit dans Haketav ve-haqaballa :
La formulation, apparemment répétitive, du verset : « … Et de la main de chaque homme, de la main de l’homme son frère, J’exigerai la vie de l’homme » (Genèse 9, 5), indique qu’il existe deux sortes de meurtres :
1) Au détriment de la victime (« de la main de chaque homme ») : par vengeance, par cupidité, etc.
2) Au profit de la victime (« de la main de l’homme son frère »), quand elle éprouve d’intenses douleurs et qu’elle préfère mourir que continuer de vivre.
La Tora ne distingue pas selon les motifs et les raisons
En désignant les deux sortes de raisons pour lesquelles une personne peut être amenée à donner la mort à autrui, la Tora ne distingue pas selon les motifs et les justifications. L’interdiction reste en vigueur dans tous les cas.
« Il est interdit d’accélérer l’heure de la mort, comme dans le cas d’un moribond qui traverse une longue agonie. On n’a pas le droit de le déplacer pour hâter son décès […] Mais si quelque chose retarde sa mort, comme le bruit fait par un bûcheron voisin, ou s’il y a du sel sur sa langue, ou tout objet qui retient l’âme de partir, il est permis de les ôter, car cela ne constitue pas une action, mais la suppression d’un empêchement » (
Rabbi Moché Isserles ,
Choul‘han ‘aroukh, Yoré dé‘a 339:1).
La décision du jury de déclarer le fermier canadien coupable de meurtre est donc conforme à la loi juive.
La seule situation où il est permis de tuer quelqu’un se présente lorsque l’on se trouve en présence d’un meurtrier potentiel, de sorte qu’un tel meurtre permet de sauver sa propre vie ou celle d’une autre personne innocente.
La Tora définit ce meurtrier potentiel comme un rodef (« poursuivant »), et celui-ci perd tout droit à la vie.
Mais le meurtre de quelqu’un qui ne menace personne est et reste… un meurtre.
AVERTISSEMENT : Cet exposé est destiné uniquement à notre information et ne saurait servir à des fins halakhiques, sur lesquelles seul un rabbin qualifié est apte à prodiguer des conseils.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN