Cette paracha dépeint l’homme à son zénith, dans sa création à l’image de Hachem, avec la capacité de communiquer avec Lui. Mais elle le présente aussi à son point le plus bas, depuis le moment où il désobéit à l’ordre explicite de Hachem, jusqu’à celui où il s’abaisse à commettre les crimes les plus graves (meurtre, idolâtrie et débauche sexuelle). Nous y trouvons tout autant la possibilité pour l’homme de s’élever et de faire le bien que sa capacité à se laisser aller à ses faiblesses et à ses obsessions. Nous y devinons les raisons de la complexité de ses rapports familiaux, les difficultés qu’il a de fournir la subsistance pour lui et sa famille, et sa jalousie rampante envers ceux qui surpassent ses propres accomplissements. En touchant le fond de cette paracha nous pouvons probablement assembler un profil complet du comportement de l’homme qui expliquerait sa conduite tout au long de l’histoire.
Puisque nous nous attachons ici à développer les rapports entre la morale des affaires dans le monde moderne et la Tora, nous pouvons nous instruire en étudiant la première tromperie de l’histoire et ses conséquences catastrophiques. ‘Hawa, la femme d’Adam, est abordée par le serpent, qui lui demande pourquoi elle ne mange pas de l’Arbre de la Connaissance. Elle répond que Hachem a interdit de manger de cet arbre sous peine de mort. Mais elle ajoute que Hachem a interdit également de toucher le fruit de l’arbre, ce qui n’est pas vrai. L’astucieux serpent en profite pour lui tendre un piège. Selon les Sages, il la pousse contre l’arbre, puis il lui déclare que, « de même que le toucher de l’arbre n’est pas punissable, de même n’y a-t-il aucun mal à manger de son fruit ». De plus, ajoute le serpent, le fruit de cet arbre promet de grandes récompenses à ceux qui en mangeront : « Vous ressemblerez à Hachem, et saurez ce qui est bien et ce qui est mal » (Berèchith 3, 5). Ces paroles produisent sur ‘Hawa un tel effet tentateur qu’elle finit par manger du fruit de l’arbre.
Sans chercher à dégager des interprétations allégoriques de ce péché « originel », nous avons ici un cas classique de tromperie dans les affaires. Le serpent n’a pas exposé son vrai but quand il a persuadé ‘Hawa de manger le fruit. Nos Maîtres nous apprennent qu’il a espéré qu’elle commencerait par offrir le fruit à son mari. Une fois Adam mort, le serpent pourrait l’épouser. Et même si ‘Hawa avait mangé elle-même le fruit, le serpent présumait qu’elle ne pourrait pas être tenue pour responsable, étant donné qu’elle n’avait pas entendu le commandement de Hachem. (Maharal, Sifthei ‘Hakhamim). Si elle avait su les mauvaises intentions du serpent, il est douteux qu’elle se fût aventurée à manger le fruit.
Le serpent a aussi trompé ‘Hawa quant à l’arbre de connaissance.
Il a prétendu que l’arbre accorderait un statut « comme Hachem », alors qu’il ne disposait d’aucun argument pour appuyer cette prétention. La confiance que ‘Hawa a placée dans les paroles du serpent symbolise la crédulité de celui qui se trouve devant un objet qu’il voudrait acheter, mais dont le prix dépasse ses possibilités. Le processus d’illusion, qui peut le conduire à son achat, provient à la fois de sa perception propre, qui le convainc qu’il a besoin de l’article, et des efforts subtils et rusés du vendeur pour le persuader de la réalité de ce besoin. Si on la replace dans un contexte moderne, l’histoire de la tromperie du serpent ressemble de façon étonnante à certaines pratiques contemporaines en matière de marketing. Par exemple, si les gens savaient que les produits alimentaires qu’ils voient dans les magasins risquent de contenir des toxines dangereuses pour leur santé, consentiraient-ils à en acheter ? Un récent programme de télévision a montré comment un pêcheur de Jaffa a continué, après le départ des inspecteurs sanitaires, de vendre du poisson qu’ils avaient déclaré non consommable. Et quelques heures plus tard, au retour de ces mêmes inspecteurs, il les avait soudoyés pour qu’ils le déclarent propre à la consommation, le tout, curieusement, sous le regard d’une caméra cachée. Cet homme avait, de toute évidence, copiant la technique du serpent consistant à dissimuler les dangers inhérents à la consommation de l’arbre de la connaissance, réussi à se défaire de son poisson pourri sur ses clients, malchanceux autant qu’ignorants. Les publicitaires ont, aujourd’hui, perfectionné leurs stratégies de persuasion au point que les consommateurs sont vraiment convaincus de l’excellence de ce qu’ils achètent. Les fabricants savent eux-mêmes, bien souvent, que la valeur réelle de leurs produits est loin de celle qu’ils leur prêtent, mais ce qui leur importe c’est de créer un courant de frénésie en vue de leur vente. Par exemple, les publicités pour les boissons montrent généralement des jeunes gens et des jeunes femmes « dans le vent » et béats d’admiration pour le buveur, comme si l’absorption du produit était une promesse de succès dans la société. Celles et ceux qui achètent des produits de lessive en poudre sont assurés qu’ils ne verront jamais aucune tache sur les textiles qu’ils auront nettoyés. Les constructeurs automobiles convaincront les gens que leurs voitures sont totalement sûres, même quand ils sont conscients de certains défauts potentiellement dangereux dans leur fabrication. Tout cela nous fait penser à l’assertion spécieuse du serpent : « Vous ressemblerez à Hachem… »
Punitions
La réaction de Hachem a été rapide, immédiate et appropriée. La punition de ‘Hawa a consisté dans les tourments de la mise au monde des enfants et dans la charge de les mener à l’âge adulte. Portant la responsabilité de la condition mortelle de l’humanité, ce sera à elle de lui donner vie. Etant donné qu’elle a succombé à la sollicitation et tenté son mari à son tour, elle ne pourra désormais introduire de nouvelles tentations hors la volonté de celui-ci. Le serpent a perdu son aptitude à communiquer avec l’homme d’égal à égal. Celui-ci le détestera éternellement, et il essayera de le tuer toutes les fois qu’il le rencontrera. Il n’aura plus jamais confiance dans le serpent, qui avait utilisé sa ruse pour tromper, et celui-ci n’utilisera plus jamais non plus sa langue doucereuse pour inciter les autres au péché. La leçon pour nous est claire : la Tora nous invite à éviter la conduite trompeuse et l’exploitation de la crédulité des gens à des fins personnelles. Comme vendeur, l’homme doit être honnête, ou alors il s’enfoncera comme le serpent. Comme acheteurs, nous devons apprendre à refréner nos désirs de tout ce qui paraît bon, et nous concentrer seulement sur ce que nous savons être effectivement bon : l’exécution des commandements de Hachem. C’est cela qui nous mènera au vrai bonheur, comme l’a affirmé David, roi de l’Israël : « Les statuts de Hachem sont justes ; ils réjouissent le cœur » (Psaumes 19, 9).
Traduction et adaptation de Jacques KOHN