Le souci d'aller encore
et toujours plus vite confine parfois au ridicule : notre ordinateur est toujours
trop lent, notre portable aussi...( alors qu'il ne s'agit que de "gagner" quelques
secondes ou de biper une touche de plus... ) quand ce n'est pas le minimalisme
des objets qui se fait le garant de la rapidité, selon l'adage bien connu, mais
un peu biscornu : plus c'est petit ou compact, plus ça va vite...
Notre époque inaugure peut-être la fin du déplacement physique au profit de l'inertie d'une contemplation solitaire de l'écran.
Aujourd'hui, le mode
de déplacement principal est le transport des informations et de l'action via
les médias, l'informatique, le Net. Nous sommes confontés à un monde qui est
dèjà là, sans qu'on ait besoin de se déplacer pour le rejoindre... Notre époque
inaugure peut-être la fin du déplacement physique au profit de l'inertie d'une
contemplation solitaire de l'écran.
En ce moment même, vous ne bougez plus,vous lisez, assis en face de votre ordinateur,
vous regardez quelque chose qui vient du monde qui vous entoure, bref vous êtes
connectés.... Cette évolution vers une certaine forme de statisme généralisé
s'explique très simplement : c'est la bonne vieille loi du moindre effort.
Quand il y a des escaliers et un ascenceur, on prend l'ascenceur... Du reste,
le propre de la recherche technologique sera toujours d'inventer des moyens
d'aller plus vite, plus loin, à moindre effort. On imagine mal la mise au point
de nouveaux gadgets technologiques visant à nous faire ralentir...
Si la demarche est irreversible, c'est donc à l'homme qu'il convient d'être
vigilant.
En effet, cette révolution des transmissions technologiques est loin d'être
anectodique, elle entraine une véritable modification des rapports de l'homme
avec le monde en introduisant au coeur des consciences le sentiment d'être intimement
et charnellement présent au monde sans être dans le monde. Ce "leurre" confère
à l'homme les attributs du Divin.
En effet, seul D.ieu détient la vitesse absolue, l'ubiquité, l'omniscience...
Lorsque l'homme croit posséder ces attributs, grâce à une technologie en trompe
l'oeil, il risque de perdre son statut d'être humain car la vitesse et la vision
à distance, c'est le contraire de la relation humaine qui suppose d'aller vers
les autres, de parler, de réfléchir. Certes, ce sentiment de proximité et de
distance mélangées, c'est un peu le propre de la relation à Autrui : un autre
moi-même qui n'est pas moi, si loin si proche, étranger et familier à la fois.
Mais la présence réelle change tout : elle oblige, elle engage, elle demande
un dépassement. Aider l'autre concrètement, étudier avec l'autre, l'un en face
de l'autre, demande de ne plus voir l'autre comme une idée à distance, un fantasme,
mais un être de chair et de sang, un être à part entière... " L'épée est sur
les faiseurs de fictions, ils s'abrutiront." ( Jérémie, 50:36 ) Et le Talmud
de rajouter : l'épée est sur la nuque de ceux qui s'assoient tout seuls pour
étudier la Torah...
Etre connecté ne veut pas dire être en contact ou partager véritablement quelque
chose.
C'est d'une certaine façon le degré zéro de l'échange. La proximité des relations
de communication n'est pas la proximité. Il arrive que par la fascination du
leurre ce qui est loin devienne plus important que ce qui est proche. Enfermé
avec le monde entier dans la surface plane de l'écran, j'en oublie l'enfant,
le parent, l'ami qui est là, juste à côté de moi et qui m'appelle...
Lorsque le monde s'applatit sur l'écran, l'homme perd de sa profondeur d'action
et de réfllexion. Il devient un homme à deux dimensions.
Pour ce qui est de la vitesse, peut-être que la notion de Zerizout ( le zèle
) telle qu'elle est développée par nos Sages nous aide à repenser notre rapport
à elle. La Zerizout que l'on met à servir D.ieu à aider son prochain, ou à gagner
du temps pour pouvoir étudier, donne à la vitesse un autre sens, une autre dimension..
La Zerizout ( le zèle
) , c'est le temps élargi qui prend de l'épaisseur, s'intensifie. C'est le temps
partagé, vidé de sa substance égoïste, cette vitesse qui pense tellement à elle
qu'elle n'a plus le temps de penser tout court.
Le Maharal de Prague
définit le zèle comme la qualité humaine par excellence : " C'est une chose
connue : est appelé Homme ( Iche ) celui qui est zélé." (Nétivot Hazerizout,
Chapitre 1 ) .
Remplacer la vitesse par la Zerizout, l'omniscience par la présence effective
est devenu un enjeu de tout premier ordre pour celui qui veut vivre une vie
de profondeur et une existence les yeux ouverts, par delà la platitude opaque
de l'écran.