De Jérusalem on prend
tout simplement le bus régulier n° 160 dans Keren Hayesod. Comme
il se doit, le pare-brise est protégé par un grillage et les vitres
latérales sont doublées d'un vitrage épais censé
protéger les voyageurs des jets de pierres ou des balles. Le bus est
vieillot, un peu déglingué, couvert de poussière, pourquoi
? Dès lors que les autres bus interurbains sont pimpants
Départ à 12h30.
Voyage sans histoire d'environ une heure. Le chauffeur est concentré,
la radio est branchée en permanence sur les infos. Mon voisin, un Américain
d'une soixantaine d'années, me confie qu'il se rend périodiquement
à Hébron quand il se sent déprimé. Il y reprend
des forces, me dit-il.
On passe par Efrat, d'autres
Ychouvimes, puis Kyriat Arba : aspect habituel des implantations : tout est
coquet, fleuri, les rues bien asphaltées, les petits immeubles de 3 à
4 étages bien entretenus. Les enfants déambulent en bande, des
vélos gisent de ci - de là.
L'armée se fait omniprésente.
Chaque carrefour est gardé par quelques soldats nonchalants regroupés
autour d'un véhicule léger ou d'un petit mirador renforcé
par des sacs de sable.
Arrivée à
Hébron.
La rue principale est large,
propre. Les échoppes arabes aux lourdes portes métalliques bleues
sont toutes fermées. Le silence est pesant. On n'entend pas la rumeur
habituelle qui émane habituellement des villes orientales.
Nous pénétrons
dans un petit immeuble à la rencontre d'une famille. Nous sommes une
douzaine.
Une grande jeune femme,
mince et souriante nous accueille. Elle est belle. Sur la table, le thé
est prêt. La fenêtre est grande ouverte sur la ville arabe qui s'étage
sur la colline d'en face. Un drapeau palestinien flotte à quelques centaines
de mètres.
Elle répond à
nos questions.
Elle est seule toute la journée avec ses cinq enfants en bas-âge.
Son mari travaille à Jérusalem comme la plupart des autres hommes.
Elle est quand même préoccupée : le car de ramassage scolaire
est conduit par un Palestinien. Ils habitent ici depuis quelques mois, venant
de Kyriat Arba. Ils ont été séduits par la vue dégagée.
Certes, dit-elle calmement, ils essuient périodiquement des tirs mais
avec la Emouna (la Foi)et des volets en fer
Pour le ravitaillement, elle se fait livrer depuis Kyriat Arba. Dommage, elle
n'a pas le plaisir de faire elle-même son marché, regrette-t-elle.
On bavarde encore un peu et l'on se quitte.
Elle nous remercie en nous répétant à quel point elle apprécie
notre visite. Rien ne saurait lui faire plus plaisir. Nous lui promettons de
revenir.
Plus loin, habite une autre famille au rez-de-chaussée. Une petite terrasse
surélevée précède l'entrée dans l'appartement.
On y trouve deux ou trois chaises, une petite table sur laquelle de l'eau bouillonne
en permanence dans une grand bouilloire ainsi que des boîtes de gâteaux
: c'est pour les soldats qui vont et viennent en permanence, nous dit Hanat,
la locataire du lieu. Elle fait sa lessive, ses mains sont pleines de savon.
On échange quelques phrases amicales sans importance. Autour d'elle,
de nombreux enfants nous dévisagent avec curiosité : ce sont tous
les siens
On me dit que cette femme est un des piliers du Yichouv. Je ne
peux m'empêcher de penser que c'est également un pilier de tout
Israël.
La visite de bâtiments
qui témoignent d'une présence juive ininterrompue au fil des siècles
à Hébron se poursuit : Beit Hadassa, l'ancien hôpital. La
façade a été restaurée à l'identique (superbe)
; quelques familles y habitent. En contrebas, on voit le souk arabe. Il n'y
a pas grand monde. Là, c'est vraiment dangereux et l'armée en
interdit l'accès.
Puis, Beit Hashisha (en
souvenir des 6 Juifs assassinés par les Arabes), Beit Romano, yechiva
en pleine effervescence : plus de 150 jeunes gens y étudient à
plein temps. Nous en croisons quelques-uns. Ils ne ressemblent pas à
ceux de Mea Shearim. Ils sont en jeans, chemises bariolées, kippa ordinaire
et tsitsits apparents de rigueur. Certains sont armés. La vision de la
grande salle d'étude traditionnelle est très émouvante
avec ses longues tables surchargées de livres. Je ressens fortement que
là, vraiment, bat le cur du Peuple d'Israël.
On continue par Mahpela,
le caveau de nos Pères et Mères. L'accès est gardé
par des parachutistes aux manches relevées, les mains solidement refermées
sur leurs armes. Ils sont attentifs, concentrés. Il faut subir plusieurs
contrôles minutieux avant de pouvoir aller plus avant.
Mes sentiments sont mitigés.
Je n'aime pas l'aspect grandiloquent du lieu et j'ai du mal à faire le
lien entre ma petite personne et les cénotaphes.
L'entrée de l'oratoire
est gardée par un responsable qui récite des Psaumes à
mi-voix tout en surveillant les alentours d'un il vif. C'est un Français,
élégant dans ses vêtements immaculés. Son visage
est bronzé, souriant, auréolé d'une abondante chevelure
blanche et frisée. Il est un peu exalté et nous étourdit
par son débit rapide dans lequelle il mélange un peu confusément
considérations bibliques et politiques, sans oublier de nous glisser
habilement, in-fine, un appel au soutien de la Yechiva. Je m'exécute.
La synagogue d'Avraham Avinou
me touche beaucoup plus. Située au centre du quartier juif, elle est
petite, avec ses hautes voûtes cintrées, ses murs irréguliers
tapissés de dizaines de livres : sur beaucoup d'entre eux, luisent doucement
les lettres dorées de leurs couvertures vénérables. J'admire
sa " Bima ", bien centrale avec son grand Sidour posé sur sa
table penchée et la balustrade aux colonnettes en bois usé, poli
par les années. Ici, le Juif est un roi face au Roi des Rois.
Le temps presse, le bus
repart à 13h45.
On croise dans les rues
des journalistes et des photographes manifestement en quête de sensationnel.
C'est indécent.
Un " café-restaurant
" à l'arrêt du bus propose de copieux sandwichs.
De nombreux soldats vont
et viennent. De temps en temps, l'un d'eux se débarrasse de son équipement
en un tour de main, s'empare de téfilines mis à la disposition
de tout un chacun dans un coin de la salle, se saisit d'un livre de prière
du fond de sa poche, et commence à prier. J'ai la gorge serrée.
Dans mon hébreu de
débutant je commande un café. A ma grande surprise le patron me
répond du tac au tac dans un français sans la moindre trace d'accent
comme si je me trouvais dans un établissement de la Rue Montmartre ou
de Sarcelles. C'est un des charmes de la vie en Israël.
En attendant le bus je remarque des " observateurs " de l'ONU avec
leur badge bien en évidence en train de discuter avec des Arabes.
La présence de Tsahal est obsédante. Partout des miradors, des
parapets de sacs de sable soigneusement empilés, des véhicules
militaires de toutes sortes qui vont et viennent. Les soldats patrouillent sans
cesse, casqués, fortement équipés (armes lourdes, radio,
gilet pare-balle).
Les rues sont désertes si ce n'est quelques gamins dépenaillés
qui s'amusent à dévaler les pentes sur des engins à roues
les plus divers.
Je dois avouer que je remonte avec soulagement dans le bus, mais j'ai la certitude
que je reviendrai.
Au retour, on apprend par la radio que la " route des tunnels ", celle
qui permet de rentrer directement à Jérusalem en évitant
de passer par Beit Lehem, est fermée par ordre de l'armée. On
doit faire le grand détour par Beit Shemesh.
On n'arrive à Jérusalem que vers 18 heures.
Moi aussi je retournerai à Hébron quand je serai déprimé.