Il y a environ 600 ans une grande
révolte éclata. Cette révolte, connue sous le nom de "révolte des pastoureaux" fut fomentée par un
berger français du Midi de la France, qui remua le peuple par ses récits
de révélation divine.
" Tous les jours une colombe m'apparaît ", disait-il. "
Elle se met sur mon épaule ou sur ma tête et me chuchote des prophéties.
Et lorsque je tends la main pour la saisir, elle se change en une belle fille
me disant d'une voix douce : " Le jour viendra où tu seras roi,
berger ! Mais avant il te faut mener une guerre contre la Turquie. Tu en sortiras
vainqueur ". Le peuple était stupéfait. par ces paroles et
tous ceux qui les écoutaient en étaient vivement impressionnés.
Jamais auparavant des propos si curieux ne furent tenus par un jeune garçon.
L'histoire se répandit comme
une traînée de poudre et bientôt toute la France ne parla
plus que de ce berger et de ses révélations. De tous les coins
du pays des milliers de curieux se rendaient chez le jeune homme pour voir celui
qui entendait de telles prophéties et qui un jour serait roi. Son nom
fut si célèbre qu'il ne tarda pas à être vénéré
comme un chef et un saint homme.
Parmi tous ceux qui venaient lui rendre visite, peu demeuraient avec lui. La
plupart d'entre eux, après avoir satisfait leur curiosité, s'en
retournaient dans leur ville. Seuls les bergers qui se rendaient en pèlerinage
ne retournaient pas chez eux mais restaient avec leur collègue inspiré.
Il y en avait des milliers ! En peu de temps ce curieux garçon disposa
d'une armée de trente mille bergers qui l'accompagna partout où
il se rendait.
Fort de cette puissance, le jeune homme décida d'aller à Grenade.
Il avait l'intention de faire de cette ville le point de départ de sa
campagne contre la Turquie.
Ils étaient tous à l'étude de ce projet, lorsque l'un des
bergers s'avança et dit : " Comment pourrons-nous attaquer la Turquie
? C'est une nation qui a une armée puissante, qui est bien entraînée
à la guerre. Les Turcs sont nombreux et nous sommes si peu. Ils disposent
d'armes de guerre redoutables tandis que nous ne possédons que des bâtons.
Tournons nous plutôt contre les Juifs qui sont faibles et mal aguerris.
Parmi eux il n'est pas de guerriers de valeur et nous pourrons les vaincre sans
être armés. Avec les trophées de notre victoire nous nous
achèterons des armes modernes pour équiper une armée. C'est
à ce moment-là que nous pourrons attaquer la Turquie ! Après
tout, les juifs sont aussi peu chrétiens que les Turcs ".
LA MARCHE DES BERGERS
Partout où passaient les bergers,
ils donnaient libre cours à leur colère contre les Juifs. Les
Juifs décidèrent alors d'envoyer des messagers au roi de France,
pour lui demander de les protéger contre ces attaques injustifiées.
Le souverain eut pitié des juifs, surtout lorsqu'il commença à
craindre que la révolte des bergers ne portât atteinte à
sa souveraineté. Il dépêcha donc des courriers qui, traversant
le pays à cheval, firent part à tous les postes de guet que l'ordre
royal était de prêter main-forte aux Juifs dans leur lutte contre
les bergers.
Le roi s'adressa également aux bergers afin d'arrêter leur campagne
et leur enjoignit de dissoudre leur armée, mais ces révoltés
se rirent de cet ordre et continuèrent leurs exactions.
Après de nombreux et cruels massacres les bergers se rendirent à
Marseille où ils tuèrent la majorité des Juifs de cette
grande ville. Le nombre de ceux qui réussirent à échapper
à la mort en se laissant prendre tous leurs biens par cette armée
fanatisée était insignifiant.
Lorsque la nouvelle de cette atroce tuerie parvint aux oreilles du gouverneur
de Toulouse, celui-ci ordonna à ses cavaliers de prendre la route dans
le but de capturer autant de bergers que possible. Le lendemain, la cavalerie
du gouverneur revint avec de nombreux captifs enchaînés.
Pourtant, pendant la nuit quelques hommes réussirent à s'infiltrer
dans les cachots où étaient retenus les captifs et à les
libérer. Cette nouvelle provoqua une grande émotion à Toulouse
où la rumeur se répandit que " l'ange gardien " lui-même
était descendu du ciel pour libérer les prisonniers de leurs chaînes.
Toute la ville était en émoi et la populace ne tarda pas à
réclamer la paix avec les bergers. L'insistance populaire fut si forte
que le gouverneur eut peur de poursuivre la guerre contre les bandes rebelles.
De nombreux juifs avaient cherché refuge dans la forteresse de Narbonne,
et lorsqu'ils entendirent la bonne nouvelle que les bergers étaient prisonniers,
ils quittèrent leur abri, tranquilles sur leur sort. Ils étaient
sûrs que le gouverneur mettrait les captifs à mort et ne se doutaient
guère que ceux-ci avaient été libérés entre
temps.
Dès que les juifs eurent quitté la tour de la forteresse, ils
furent assaillis par les bergers aidés des citoyens de la ville qui prêtèrent
main-forte aux bandits : cent cinquante Juifs trouvèrent ainsi la mort.
Le gouverneur, dès qu'il fut mis au courant de ce nouveau massacre, se
mit dans une terrible colère et décida de se rendre lui-même
sur les lieux pour mettre fin aux exploits criminels de ces véritables
bandits. Mais en arrivant sur place il se rendit compte que la masse sympathisait
avec les bergers, et, perdant tout courage, il rebroussa chemin.
Le gouverneur était un homme de cœur et souffrait de savoir les
juifs être l'objet d'incessantes attaques et être soumis aux pires
tortures. Il envoya donc des messagers à tous les juifs pour les avertir
de ne pas quitter leurs cachettes jusqu'à ce que la sécurité
règne à nouveau dans le pays.
Il dépêcha également un cavalier qui avait ordre de conduire
les juifs à Carcassonne qui était ville fortifiée. Il avait
l'espoir que les portes de cette ville pouvant être fermées, garantiraient
ainsi les Juifs contre les cruels persécuteurs.
Mais les bergers eurent vent de ce projet et, achetant le messager par une forte
somme d'argent, celui-ci leur révéla le chemin par lequel il conduirait
les malheureux Juifs à Carcassonne. Les bergers se mirent à l'affût
et lorsque le groupe de Juifs passa sur la route, ils les tuèrent tous,
hommes et femmes sans exception.
LA CHUTE DES BERGERS
Les bandes barbares allaient de ville
en ville, volant, pillant et massacrant les juifs.
Ils passèrent la frontière d'Espagne, mettant à sac l'Aragon
et la Navarre. Ici, pour la première fois, ils rencontrèrent une
résistance ferme en la personne d'Alphonse, roi d'Aragon. Celui-ci captura
quarante de ces hors-la-loi et les fit pendre. Il ne tarda pas à faire
prisonniers une autre quarantaine de bergers qui subirent le même sort.
En approchant des murailles de la ville de Montréal, les bergers furent
repoussés. Dans cette ville habitaient beaucoup de Juifs, et lorsque
ces derniers furent mis au courant de l'approche des bandes de bergers, ils
s'organisèrent pour livrer bataille. De nombreux bergers trouvèrent
ainsi la mort dans la lutte qui s'ensuivit.
Le roi Alphonse dit un jour à un de ses plus braves guerriers : "
Si seulement vous pouviez tuer le jeune chef des bergers, je vous en récompenserais
largement ".
- Mais comment pourrais-je tuer un si saint homme ?
- Ecoutez bien, dit Alphonse. S'il
est vraiment saint, D.ieu le protégera et il ne lui arrivera rien. Par
contre, s'il tombe sous le coup de votre épée, vous aurez la preuve
que cet homme n'est qu'un imposteur et vous n'aurez fait aucun mal en supprimant
un vagabond meurtrier.
S'armant de tout son courage, le
guerrier se mit en route en direction du camp du chef des bergers.
A la première salve, le jeune chef fut atteint et s'écroula. Lorsque
les autres virent leur chef tomber, ils prirent leurs jambes à leur cou,
se dispersèrent en petits groupes et retournèrent chez eux. Il
ne resta qu'un groupe de cinq cents rebelles qui, ignorant tout de la mort de
leur chef, se mirent à attaquer Tolède.
Devant cette ville ils rencontrèrent l'héroïque défense
des soldats d'Alphonse qui les repoussèrent en leur infligeant des pertes
sévères. Lorsque les généraux et les rois d'autres
pays furent informés de la défaite des bergers, ils lancèrent
leurs armées contre les bandes de bergers qui étaient en train
de semer la destruction dans leurs pays respectifs. Ceux des bergers qui purent
échapper à l'épée vengeresse des armées régulières,
moururent de la peste que D.ieu envoya pour les punir.
En 1320 (ou 5080 de l'ère juive) la révolte des bergers était
complètement matée. Les Juifs d'Allemagne, de France et d'Espagne
se mirent alors à la tâche pour amasser des vivres et des vêtements
pour les nombreuses communautés juives du Midi de la France et de l'Espagne
septentrionale durement éprouvées par les événements.
C'est ainsi que se termina un des chapitres les plus sanglants de l'histoire
juive du Moyen Age : la révolte des bergers, fait d'un berger illuminé,
cruel et ignorant.