Qui d'entre nous n'a jamais
osé espérer un jour connaître le bonheur, celui narré
par les plus grands auteurs et décrié à travers les âges
et les époques ; celui qui à fait la une de tous les contes et
autres fables racontés aux enfants qui, dubitatifs et pas complètement
dupes, attendaient de voir venir. Ce bonheur sans faille et paradoxalement si
simple : un tableau brossé de rose et d'argent, qui se situe dans une
sorte de " no man's land in the middle of nowhere " avec des personnages
physiquement parfaits et bons sous tout rapport qui n'aspirent qu'à une
seule chose : l'amour toujours, comme si l'amour avec un grand A était
le seul et unique vecteur de bonheur.
La suite n'a rien d'inédit
et, bien que surfaite, cette image fantasmatique du bonheur n'a jamais vraiment
quitté nos candides esprits ; mais dès que le mot " fin "
s'est inscrit sur la " blanche page ", ces personnages idylliques
se figent à jamais dans nos livres d'images et nous seul connaissons
les affres de l'aurore où la cafetière électrique ne s'enclenche
pas et où le réveil matin décide également de nous
snober offrant aux hurlements juvéniles de la joyeuse maisonnée
le soin de nous sortir du lit.
On tente alors de sortir
de la pénombre en s'offrant un rapide passage en douche d'où l'on
est rapidement éjecté et, après avoir esquivé plusieurs
fois les assauts chocolatés de bébé en larmes, on saisi
au vol la dernière chemise propre et réussit enfin à s'habiller
correctement, sans faute de goût ni tâche, et à récupérer
sa paire de chaussures gisant sous les legos géants.
Il reste alors à
récupérer le porte-documents qui, par bonheur, a échappé
aux petites mains exploratrices et ravageuses du cadet toujours avide de découvrir
ce mystérieux monde de paperasserie tapie sous le cuir lisse.
Les dossiers sont donc intacts,
ni confiture ni tâche de gras, et prêts à être soumis
lors de la prochaine réunion, laquelle offrira, certes la plus belle
promotion de l'année …
Seulement voilà,
aujourd'hui ne sera pas un jour comme les autres car la tornade des matins chagrins
poursuit son chemin et emporte avec elle notre véhicule jusqu'à
la fourrière.
C'est donc en métro
que l'on se rendra au travail, là se révèle à vous
un monde glauque et cadencé par le cliquetis des tourniquets dévoreurs
de billets ; sur le quai l'on attend patiemment qu'apparaissent au fond du tunnel
les pupilles félines du train, qui avant d'interrompre sa course effrénée,
déchire l'atmosphère d'un rugissement féroce.
Station " Balard "
évacuation des lieux, on y est presque, et dans la rue, à l'annoncée
du jour, vous heurtez un de ses locataires qui vous insulte furieusement car
vous n'avez pas daigné lui offrir son premier breuvage (vous n'aviez
pas de monnaie, et en plus c'est vrai !).
Arrivé à destination,
on gravit les marches (ascenseur en panne) et dans le bureau on abandonne lourdement,
notre corps sur le fauteuil jouxtant la table, tel un guerrier affranchi de
son lourd tribu, et l'on rêve déjà à cette fabuleuse
promotion pour laquelle on a travaillé sans relâche ces dernières
semaines, qui va nous propulser dans la cour des grands, là où
la matière grise ne se quantifie plus.
C'est l'envolée
… jusqu'au moment où une secrétaire guindée dans son
tailleur marine fait savoir que la réunion est ANNULEE et même
pas reportée (Na !).
Dégringolade, avec
enfoncement plus qu'exagéré dans le vinyle, le rêve ne se
fera pas réalité.
Et l'on se surprend à
réfléchir … A quoi tient-il ce bonheur si souvent énoncé
?
Finalement hier encore mon
réveil avait bien fonctionné, puis mon café était
sucré à souhait, les enfants étaient calmes et ordonnés,
j'avais pris le temps de bavarder avec eux tout en sirotant mon délicieux
breuvage et même ensuite réussi à lire quelques téhilim
avant de vaquer à mes activités, et en voiture de surcroît
- n'était ce pas cela le bonheur en sorte ? Sauf que celui là,
personne ne le défend, bien qu'il appartienne à tous sans exception,
ce bonheur qui ne se raconte mais se vit uniquement et au quotidien, ce bonheur
récurrent offert comme un cadeau du ciel, ciel qui nous fait la grâce
chaque matin d'ouvrir nos yeux, mais que nous feignons d'ignorer tellement le
mécanisme parfaitement huilé, jamais ne défaille.
Ce bonheur qui nous échappe
parce que trop facile, dont la proximité assène à toutes
les balivernes le coup de grâce - il est là dans nos mains, chaque
fois que le monde fonctionne " normalement " - si tenté de
croire que la normalité ne peut être dissociée de ce qui
est routinier et donc rebutant.
Si les " petits riens " de la vie en devenaient " les grands
tout " peut-être prendrions nous conscience de leur importance et
ainsi réduirions nous les lamentations si chères à notre
ego (et de surcroît la consommation de Kleenex).
Les " ça va
pas ce matin ! " deviendraient " ça va déjà mieux
..." simplement parce que lorsque ma voiture s'enrhume mes jambes fonctionnent,
et alors le métro m'apparaîtra comme une des plus belles inventions
du génie civil.
Ce bonheur que l'on conjugue
au présent, ce bonheur simple qui ne s'attache qu'à l'air que
l'on respire, qu'au vent qui balaie les plaines, qu'au ciel qui s'éclaircit
et s'obscurcit chaque jour et chaque nuit encore et toujours. Ce bonheur qui
ne nous promet pas la lune et qui n'est vendu par aucun promoteur.
Alors que manque t-il à
ces matins où tout déchante ? L'effort probablement… , cet
effort que l'on refuse de faire, enfants gâtés que nous sommes,
simplement pour nous regarder en face et se dire que tout va bien, plutôt
que de se dire presque avec complaisance le contraire ; tout va bien parce que
je me lève avec ce nouveau jour, remplie d'espoirs et d'incertitudes
aussi et la vie ne manquera pas de me démontrer chaque fois, qu'elle
n'est pas toujours simple, et pourtant je continue de la choyer parce qu'elle
me donne toujours plus qu'elle ne me reprend. Pourquoi faut-il toujours se plaindre
des bonnes choses plutôt que de les apprécier à leur juste
valeur et remercier le ciel d'avoir bien voulu remettre le train en marche?
La banalisation des gestes
quotidiens, voilà notre problème ; ne plus être capable
de se satisfaire de ce qui nous arrive et de ne vivre qu'avec ce qui devrait
arriver.
Les grands projets nous remplissent de bonheur et ils sont indispensables à
la construction de chacun mais en sont-ils pour autant l'élément
unique de la révélation du bonheur ; alors que devenons nous lorsqu'ils
capotent : une balle dans la tête ?
Non merci je dois être
encore capable de continuer ma route parce qu'elle est encore longue et, bien
que semée d'embûches, elle ne m'effraie plus.
Et cela je le dois à
la force que me donne le sourire que l'on me glisse comme ça pour rien,
le bonjour que l'on m'adresse en arrivant chez le commerçant, la place
de parking que j'ai trouvée juste en bas de chez moi, ou encore la voix
rassurante d'une amie au bout du fil. Et surtout … ce livre de prières
auquel je m'accroche encore et toujours parce qu'en fin de compte, toute l'histoire
du bonheur, c'est ici qu'elle prend sa source.