Et dans le cas où il en a informé ses supérieurs et où ceux-ci ont décidé de ne pas tenir compte de ses révélations afin de préserver les intérêts de la société, doit-il " donner un coup de sifflet " et exposer publiquement la mauvaise conduite de celle-ci ?
Le dilemme du donneur de coup de sifflet
"On peut s'interroger sur les motifs du siffleur"
Le dilemme du donneur de coup de sifflet est double : il risque son poste et ses perspectives de carrière par ses actions, et il s'engage aussi dans ce que la plupart des gens tiennent pour des activités calomnieuses et dommageables.
Mais en plus de cela, il existe une incertitude personnelle pour le siffleur, puisqu'il peut s'interroger sur la pureté de ses motifs.
Il peut vouloir devenir un héros, et certains donneurs de coups de sifflet sont devenus des célébrités, ou peut-être aussi a-t-il échoué à son propre niveau et cherche-t-il à détourner l'attention qui pourrait se porter sur ses propres carences...
Comment peut-on alors être assuré que ses actions sont inspirées par de l'intégrité morale ?
D'un autre côté, si l'on continue d'exercer des fonctions dans son entreprise, on aide et on excuse, par son silence, son activité répréhensible.
Ce conflit interne sape l'équilibre moral du siffleur.
Pin'has ou comment se poser en gardien de la morale
"La question se résume en quelques mots: a-t-il des motivations de zélote ou de meurtrier?"
Il est possible de dresser un parallèle entre le dilemme du siffleur et celui qu'a eu à affronter Pin'has quand il s'est opposé à Zimri il y a trois mille ans.
A cette époque, la peste faisait rage parmi les enfants d'Israël, qui adoraient des idoles et péchaient avec des femmes de Moab. Moïse a alors ordonné aux juges d'Israël de tuer ceux qui avaient péché de cette façon.
Un des dirigeants d'Israël, Zimri, chef de la tribu de Siméon, cohabitait à ce moment-là avec une princesse païenne. C'était un acte de rébellion directe, puisque sa tribu lui avait demandé d'intervenir pour défendre ceux qui avaient cohabité avec les Moabites. Zimri aborda Moïse avec la princesse moabite et dit :
" Cette femme est-elle permise ou interdite (de cohabitation) ? Si elle est interdite, qui t'a permis d'épouser la fille de Jétro ? "
Zimri voulait dire par là que, de même que Tsipora, la femme de Moïse, était devenue membre à part entière du peuple juif, de même les autres femmes païennes devaient-elles aussi être permises de fréquentation avec des Juifs et faire partie de la nation.
Zimri accusait aussi Moïse de traduire à tort les Juifs en justice, et il se mit à cohabiter ouvertement avec Kozbi, la princesse de Moab. La situation était devenue dramatique, Moïse étant abasourdi par cette attaque ad hominem et ne réfutant pas l'argument de Zimri. C'est alors que Pin'has est intervenu.
Selon Rav (Sanhédrin 82a), il connaissait un certain précepte halakhique d'application exceptionnelle, dont il pensait qu'il pourrait arrêter la peste : " Celui qui cohabite avec une femme païenne, les "zélotes" ont le droit de le tuer. " Pin'has aborda Moïse et lui cita cette halakha. Moïse répondit à Pin'has qu'il devait lui-même être le " zélote " qui accomplit la lettre de la loi.
Pin'has se vit alors investi de la responsabilité de décider s'il agissait dans un zèle légitime pour D.ieu, ou simplement sous l'effet d'une rage et d'une fureur incontrôlables provoquées par la situation désespérée où s'étaient mis les enfants d'Israël. La halakha pose comme principe que seul un " zélote " peut exécuter cet acte de répression, et si l'auteur n'agit pas par zèle, il est un meurtrier.
De fausses intentions
Pin'has a franchi le pas, a tué Zimri, et a été aussitôt mis en accusation par les tribus comme ayant agi pour des motifs impurs : " Avez-vous vu ce fils de Jétro, dont le grand-père engraissait des veaux pour l'idolâtrie ? Voilà qu'il est allé tuer un prince d'une tribu d'Israël ? "
Les tribus prétendaient que, puisque Pin'has lui-même descendait d'adorateurs d'idoles, il ne pouvait pas avoir été un vrai " zélote ", et donc qu'il n'était pas qualifié pour infliger des punitions.
C'est pourquoi D.ieu lui a accordé une " alliance " spéciale de paix et l'a fait descendre explicitement de Aharon le grand prêtre. Un homme avec de telles références ne pouvait pas avoir agi sous l'impulsion d'une rage meurtrière, puisque sa nature était comme celle de son grand-père, un homme de paix et d'amour.
Nous voyons ici que Pin'has a dû affronter le même dilemme interne que le donneur du coup de sifflet : " Suis-je en train d'agir par conviction morale, ou bien ai-je succombé à un désir de porter préjudice à autrui, ou de devenir un héros glorieux ? " Pin'has a dû être au supplice avant de décider - ce qu'il a fait après avoir vérifié ses véritables motifs - qu'il fallait qu'il agisse.
Préserver son intégrité morale
"Quand on accomplit une Mitsvah qui nécessite de la brutalité, on a besoin de la bonté divine pour ne pas être corrompu par cet acte"
Mais outre la décision interne qu'il a dû prendre, il y eut des répercussions de nature différente.
Pin'has est devenu plus tard un prêtre, investi de la mission de bénir ses frères et de propager la paix et l'harmonie.
A-t-il pu maintenir une telle position après son acte de violence ? De plus, est-ce qu'il n'avait pas corrompu son caractère simplement en étant impliqué dans un meurtre, même dans une forme légitime de meurtre ?
Rabbi 'Hayim ben Attar, le Or ha-'Hayim, a raconté qu'il avait un jour demandé au bourreau du roi s'il aimait sa macabre profession. Le bourreau répondit qu'il accumulait, après chaque exécution, un désir accru de tuer. A partir de cela, le Or ha-'Hayim explique que, quand on accomplit une mitsvah qui nécessite de la brutalité, comme la destruction d'une ville d'idolâtres, on a besoin de la pitié divine afin de ne pas être corrompu par cet acte.
C'est surtout pour cette raison que D.ieu a conféré à Pin'has le titre d'une " alliance de paix ", afin d'écarter cet impact délétère du caractère de Pin'has. Ce n'est qu'alors qu'il a pu exercer ses fonctions de prêtre et en poursuivre le but, qui est l'amour des autres Juifs. Rappelons à ce sujet que la bénédiction prononcée par les prêtres remercie D.ieu d'avoir ordonné " de bénir Son peuple Israël avec amour ".
Nous pouvons apprendre de cet épisode qu'un siffleur a besoin de prendre l'avis d'autres personnes avant d'agir comme Pin'has, et qu'il doit aussi évaluer attentivement sa motivation intérieure. S'il est convaincu que ses actions proviennent de motifs purs, il est obligé de donner un coup de sifflet, et il peut être alors assuré qu'il méritera l'assistance divine et que sa propre intégrité morale ne sera pas compromise par ce qu'il aura fait.
Traduit et adapté par Jacques Kohn