Qui aujourd'hui a le temps
de parler ? Le travail, les courses, les transports. Notre temps de parole est
de plus en plus réduit, alors que nous avons tant de choses à
dire, et tant besoin d'être compris. Mais y a-t-il seulement quelqu'un
pour nous prêter l'oreille ?
Bémiout si'ha,
limiter la conversation, est un conseil de la Torah pour bien utiliser ce moyen
de communication. La conversation est l'outil dont nous disposons pour entrer
en contact avec l'autre. Le défaut de cet outil s'appelle solitude.
Construire des relations
Bien souvent nos relations amicales se limitent à des bavardages autour
de la mode, des couches culottes ou du football. Et pourtant ! Nous aurions
tant besoin de confier à un ami nos réflexions les plus profondes.
Au sein de la famille même, règne cette superficialité relationnelle.
La salle de séjour d'autrefois était un lieu où l'on s'asseyait
l'un en face, aujourd'hui tout s'organise autour du téléviseur.
Ouais but ! Glapit votre fils ou votre mari entre deux bouchées
de purée. Quelle conversation familiale peut rivaliser avec le blabla
factice des écrans de toutes sortes ? On est ensemble mais chacun dans
son coin. Ce n'est pourtant pas pour regarder la télé qu'on a
besoin des autres, mais pour communiquer. Sans communication c'est l'asphyxie,
l'enfermement dans sa propre tête, la solitude sous son propre toit. Alors,
il est urgent de trouver du temps pour échanger avec votre conjoint,
vos enfants, vos amis.
La Torah enseigne que D.ieu
a fait l'homme " créature parlante " (cf. Targoum d'Onkelos-Bérechit
2-7). C'est donc fondamentalement cette parole qui distingue l'homme des autres
espèces vivantes. Elle lui permet de sortir de soi pour aller vers les
autres. Le langage est le véhicule de toute pensée et les mots
sortis du cur atteignent le cur. La conversation est le moyen de
se relier aux autres et d'élargir notre horizon. Elle est également
l'occasion d'entendre des paroles qui auront sur nous un fort impact et nous
remettront parfois en question. Sans elle, pas de vie émotionnelle possible.
La conversation est un accès au monde réel, par opposition au
monde fictif que nous proposent nos écrans de télévision,
et qui ne nous permettra jamais de construire le moindre lien.
Pratiquer
Si parler est une faculté
innée, communiquer est un art qui s'apprend et se pratique. Commencez
par changer votre façon d'être. Exemple : Vous êtes dans
l'avion et à part éplucher les magazines et visionner le navet
qu'on projette sur l'écran vous ne voyez rien à faire. Eh bien
! Engagez la conversation avec votre voisin. Allons, du courage ! Dites bonjour
au monsieur ou à la dame et posez quelques questions inoffensives du
type Vous habitez où ? Vous vous appelez comment ? Bref, des présentations
simples et courtoises. Cela ne vient pas ? Normal ! Vous avez peur de la suite.
Pourtant qu'est-ce que vous craignez ? Qu'il ou elle se lève tout à
coup et se mette à brailler que vous êtes un raseur ? Trop dommage
de rester sur la réserve tout le temps du vol pour découvrir par
quelques mots échangés au moment de l'atterrissage que l'on était
assis à côté de quelqu'un de génial. N'ayez pas peur
de vous faire rembarrer ou de dire des platitudes. Vous n'en mourrez pas et
cela vous fera de l'entraînement. L'art de converser se cultive.
Ne pas confondre discussion
et conversation
La discussion est l'examen
du pour et du contre d'un sujet donné, la confrontation d'arguments et
d'opinions. La conversation (du latin conversatio : fréquentation)
est en fait ce qui nous amène à la découverte, à
la connaissance de l'autre. Contrairement à ce que beaucoup croient,
le but d'une conversation n'est pas de se faire valoir, mais d'apprendre d'autrui.
Aussi, quand vous engagerez la conversation avec le passager de droite, laissez
tomber vos succès personnels et vos hauts faits professionnels. C'est
une conversation qu'il appréciera, pas un descriptif.
L'intérêt d'une
conversation est de créer un lien et de découvrir ce qu'il y a
en l'autre : ses idées, ses expériences, ce qu'il ressent. Comment
il conçoit la vie, l'amour. A la différence de la discussion qui
implique une distanciation, la conversation met en jeu notre rapport particulier
avec le sujet. Exemple de discussion : " Le rôle du chef de l'état
dans l'économie. " Exemple de conversation : " Les conséquences
de la situation économique sur ma situation personnelle. "
Essayez toujours de ramener
le sujet à votre niveau. Demandez aux autres comment ils gèrent
leurs problèmes. De même qu'à la fin de la journée,
demandez à votre époux ou épouse " Comment ça
s'est passé aujourd'hui ? Pas de problèmes ? Tout s'est bien passé
? "
Si l'autre a du mal à
s'exprimer, mettez-le en confiance en lui parlant de vos propres expériences
et de vos idées. Gardez-vous de faire monsieur ou madame " je
sais tout " Ayez un discours du genre : " Je ne sais pas ce que
tu en penses, mais pour moi
Moi, j'ai résolu la chose comme ceci
J'aimerais savoir comment toi, tu as géré ce problème ?
Etc.
" Par cette forme d'invitation, vous provoquerez des réponses.
Le monde merveilleux
de l'âme humaine
De quelle façon
rendre une conversation passionnante ? Par l'intérêt que l'on porte
aux choses et aux êtres. Si vous êtes curieux de la vie et des autres,
votre conversation ne peut être qu'agréable et intéressante,
car on est naturellement attiré et sécurisé par celui qui
nous manifeste de l'intérêt.
Si l'intérêt
n'est pas votre fort, remettez-vous en question. Ce n'est souvent que pure indifférence
du genre je me fiche complètement de celui-là.
Pour éprouver de
l'intérêt, pensez au monde fabuleux que porte en lui chaque être,
créé à l'image divine. Personne n'est parfait, mais chacun
est unique et sacré. Une personne est en soi un univers de pensées,
d'expériences et de sagesse. Ne vous fiez jamais à la première
impression. Certaines personnes ne révèlent pas immédiatement
leur côté fascinant. Pour découvrir l'être merveilleux
dissimulé derrière une apparence, posez des questions à
la manière d'un journaliste qui tient un bon sujet.
Interroger l'autre c'est
l'aider à se connaître lui-même, ce qui est parfois un travail
douloureux. Une question telle que : " Comment voyez-vous la vie ? "
est le genre de questions qui vous pousse à chercher au fond de vous-même,
à aller à votre propre découverte. Ces interrogations auxquelles
vous aimeriez répondre vous-même, proposez-les à d'autres.
Devant des choix importants de la vie comme le mariage, le travail, la spiritualité,
demandez autour de vous : " Comment toi tu as fait dans telle ou telle
situation ? Quels sont les avantages, les inconvénients ? Comment as-tu
fait pour surmonter tes inquiétudes ? Qu'est-ce que tu en as retiré
? Quelles sont les autres possibilités ?
En vous montrant intéressé
par l'autre, vous l'amenez à parler et à se découvrir.
La conversation est un merveilleux moyen d'explorer la vie.
Comment tu t'appelles
?
Une des meilleures entrées en matière pour faire connaissance
avec quelqu'un est de lui demander son nom. Le nom est un élément
intrinsèque de l'identité humaine. En utilisant ce nom, vous établissez
une relation et manifestez un intérêt pour la personne. D'ailleurs
on ne peut communiquer avec une personne à qui l'on est indifférent.
Un être humain ne devient réel que lorsque l'on sait le nommer.
Avez-vous remarqué comme on est mal à l'aise face à une
personne dont on a oublié le nom ? On a comme l'impression de parler
à un être sans visage, et le courant ne passe pas. Si vous avez
tendance à oublier les noms, soyez plus attentif au moment des présentations
et répétez-vous le nom peu après.
Etre bon auditeur
Au sujet des rapports humains la Torah nous enseigne : " Ne laisse pas
ton cur se durcir ni ta main se fermer. " (Devarim 15-17). La main
évoque la générosité matérielle tandis que
le cur est la générosité affective. Un bon ami est
celui qui a toujours une oreille attentive. Ne sous-estimez jamais l'importance
de l'écoute. L'attention aux des problèmes de l'autre est souvent
supérieure à l'aide matérielle. N'interrompez jamais votre
interlocuteur et ne cherchez pas à anticiper la suite d'une phrase pour
mieux introduire votre point de vue. Si vous désapprouvez une idée,
ne bondissez pas pour la contredire. Mordez-vous la langue et écoutez
jusqu'au bout. Une réplique cassante risque de braquer l'interlocuteur
ou de lui faire mettre fin à la conversation. Restez calme et attentif.
Demandez de préciser. Faites vraiment l'effort de comprendre, vous instaurerez
ainsi un sentiment de confiance qui vous permettra d'exposer ensuite votre point
de vue.
Ne vous querellez pas et
fuyez la critique et l'affrontement. Ne recherchez que le débat d'idées.
Envoyez régulièrement des signaux de bonne compréhension
pour montrer votre intérêt. Le contact visuel les hochements de
tête aident également. Lancez de temps en temps un " Oui,
effectivement " ou un " Non, incroyable ! " C'est
avec de petits mots qu'on fabrique de grands liens.
Le poids des mots
Parfois on s'ennuie, alors on passe un coup de fil. Pourtant la conversation
ne devrait en aucun cas être un moyen de fuir la réalité.
Cela n'est que perte de temps et d'énergie, et une fois le téléphone
raccroché on se sent encore plus vide. Les discussions sans intérêt
embrument le cerveau alors que la parole bien contrôlée donne la
maîtrise de son esprit. Faites en sorte que chaque mot compte. Les mots
sont comme des bijoux précieux dont on se pare avec précaution.
Parlez utilement et clairement. Réfléchissez avant d'ouvrir la
bouche. Prenez soin d'exprimer correctement votre pensée et dans les
termes adaptés. Ciblez bien vos mots pour ne pas vous laisser emporter
et avoir à vous rattraper in extremis.
On dit souvent que les gens petits parlent des gens, que les gens moyens parlent
des choses et que les gens grands parlent des idées. Cela est vrai. Notre
discours dit ce que l'on est.
Ne parlez pas inutilement. Demandez-vous toujours : " Cette conversation
est-elle utile ? Est-ce que j'apprends quelque chose ? Est-ce que je grandis
? Est-ce que cela me permet de construire une relation ? " Si à
ces questions la réponse est non, c'est que votre conversation n'a aucune
finalité.
Il existe dans le judaïsme
une pratique fort ancienne appelée taanit dibour, le jeûne
de la parole. Lorsqu'une personne considère qu'elle parle trop, elle
décide de s'abstenir de parler pendant une journée, hormis pour
ce qui touche à son étude de la Torah. Dans une synagogue également
la règle est de ne pas parler de sujets extérieurs à la
Torah. Expérimentez la chose pendant une heure. C'est un très
bon exercice de maîtrise de soi qui permet de se recentrer sur soi-même.
Et n'ayez pas peur d'avoir l'air bizarre, on croira que vous avez une extinction
de voix.
Eviter les propos négatifs
La Torah nous enseigne
que c'est au moyen de la parole que D.ieu a créé le monde : "
Et D.ieu dit : Que la lumière soit. " Pour nous aussi, la parole
est un outil de création, au moyen duquel nous agissons sur le monde.
Une parole élogieuse par exemple peut encourager ou rendre confiance.
Donner de l'importance à quelqu'un c'est une manière de lui dire
" Ton existence est nécessaire. " C'est un moyen de donner
du sens et de la valeur à la vie.
En revanche, on sait combien
les mots peuvent détruire. Des paroles telles que : " Tu es bon
à rien " anéantissent l'estime de soi. Non, les paroles ne
s'envolent pas. Ne prononcez jamais de paroles négatives ou de moqueries,
même justifiées, à l'encontre d'une personne.
Vous est-il arrivé
d'entendre des ragots ou des blagues douteuses sur tel ou telle ? Soyez vigilant,
et quand vous remarquez que la conversation prend un tour désagréable,
redressez la barre en douceur. Si c'est sans effet, faites une sortie habile
sans offenser personne, mais ne vous laissez pas contaminer par la médisance
qui détruit les amitiés, les familles et jusqu'aux communautés.
" La vie et la mort dépendent de la langue. " disait
le roi Salomon (Proverbes 18-21).
L'art de bien communiquer,
un chemin vers la sagesse
Soyez passionné
par les êtres et vous serez excellent en conversation.
Parlez à vos collègues, à vos voisins, à des inconnus.
Tous les êtres humains portent en eux de la sagesse. Profitez-en.
Les discours négatifs font de vous un être négatif.
Utilisez la parole avec sagesse. C'est un des plus grands dons qui nous ait
été fait.
Conversation mais pas confrontation.
La conversation est un instrument de création. Elle vous sort de l'isolement,
construit des liens et élargit votre univers.
La satisfaction de nos désirs dépend de notre manière de
les exprimer à l'autre.
Traduction et Adaptation de Béatrice Cohen-Solal