L'arrivée d'une année sabbatique n'exerce plus un impact significatif sur une économie moderne.
En Israël, où l'agriculture représente aujourd'hui moins de 3 % du PNB, l'effet en est encore adouci par le hetèr mekhira, l'échappatoire légale qui permet de vendre la terre à des non-Juifs et de la cultiver comme à l'accoutumée. Beaucoup d'autres activités agricoles n'exigent pas que l'on cultive la terre, et les agriculteurs peuvent s'y livrer pour se maintenir dans une certaine stabilité économique pendant l'année sabbatique.
Aux temps bibliques, en revanche, la situation était beaucoup plus sérieuse, parce que l'économie était presque uniquement agraire, et une cessation totale des activités agricoles pouvait aisément conduire les gens au bord de la famine. La Torah a prévu ce problème et s'en exprime dans la Parachath Behar : " Et si vous dites : "Que mangerons-nous dans la septième année, puisque nous n'ensemencerons pas et nous ne recueillerons pas nos récoltes ?", J'établirai Ma bénédiction pour vous dans la sixième année, elle fera la récolte pour trois années. " (Lévitique 25, 20 et 21)
LE RESPECT DE LA CHEMITAH DANS L'ANCIEN ISRAëL
"Étant assujettis à un pouvoir étranger, les Juifs devaient payer des impôts sur leurs récoltes même pendant l'année sabbatique"
La Tora promet qu'il y aura de la nourriture abondante pendant la sixième année et que, dès lors, point ne sera besoin de faire pousser de nouvelles récoltes.
Malheureusement, beaucoup de gens n'ont pas cru en cette promesse divine et ont choisi de continuer de travailler leurs champs pendant l'année sabbatique. Nos Maîtres nous enseignent que cette attitude a été la raison du premier exil, qui a duré soixante-dix ans.
La Parachath Be'houqothaï y fait également allusion, en annonçant que " le pays accomplira ses années sabbatiques tous les jours où il sera dévasté, et vous serez dans le pays de vos ennemis… " (ibid. 26, 34). Or, nos Maîtres ont calculé que l'année sabbatique avait été ignorée exactement soixante-dix fois avant le premier exil.
Les fondateurs du deuxième Temple, conduits par Ezra et Néhémie, étaient résolus à ne pas répéter l'erreur de leurs prédécesseurs.
Les choses n'étaient cependant pas si faciles. Étant assujettis à un pouvoir étranger, les Juifs devaient payer des impôts sur leurs récoltes même pendant l'année sabbatique.
Flavius Josèphe raconte que lorsque Alexandre le Grand conquit Jérusalem au début de la période du deuxième Temple, il dispensa les Juifs de payer des impôts pendant l'année sabbatique. Bien évidemment, Alexandre était impressionné par la ténacité avec laquelle ils en observaient les règles.
Malheureusement, le roi juif Hérode a été moins bienveillant et il a forcé ses sujets à travailler pendant l'année sabbatique. Ceux qui ne travaillaient pas étaient considérés comme des rebelles à l'autorité du roi.
Le Talmud (Yerouchalmi Chevi'ith 4, 2) raconte qu'un Juif renégat vit un jour deux agriculteurs occupés à démonter les barrières de leurs champs ainsi qu'il est prescrit par l'impératif biblique de " l'abandon " des domaines pendant l'année sabbatique. Il les accusa de trahison, étant donné qu'en faisant de leurs champs des biens sans maître, ils éludaient le paiement des impôts. Nous pouvons en déduire que le roi avait interdit d'abandonner les champs et de ne pas y travailler. (D'après l'explication du Rabbin Bentsion Méir Ouziel, Mikhmannei Ouziel, p. 228)
APRèS LA DESTRUCTION DU SECOND TEMPLE
"La vente des fruits sabbatiques fournissait l'occasion d'un marché noir lucratif"
Le problème s'aggrava après la destruction du deuxième Temple.
Les Romains avaient levé de nouveaux impôts sur les Juifs, et les gens étaient si pauvres que Rabbi Yehouda haNassi désirait leur permettre de travailler pendant l'année sabbatique. Quand quelqu'un était traduit devant lui pour avoir effectué le colportage de fruits sabbatiques, il remarquait : " Qu'aurait dû faire ce pauvre homme ? Tout ce qu'il voulait c'était gagner sa vie ! " et il refusait de le punir (Yerouchalmi Ta'anith 3, 1).
De fait, la vente des fruits sabbatiques fournissait l'occasion d'un marché noir lucratif. Étant donné que le marché officiel était interdit, les prix étaient plus élevés et procuraient d'importants profits sur le court terme.
La Tossefta (Sanhédrin 5, 2) parle de gens qui restaient inactifs pendant six ans et qui soudain, pendant la septième, se mettaient à travailler avec acharnement pour engranger le maximum de bénéfices. Le Talmud rend de telles personnes indignes de témoigner, tandis que le Midrach promet qu'ils perdront bientôt leurs gains mal acquis. Il est évident que les Sages étaient contrariés par ces effets négatifs de l'année sabbatique.
L'ESPRIT DE L'ANNéE SABBATIQUE
Le message est : " Assieds-toi et profite de ce dont tu as besoin"
Quel est alors le but de l'année sabbatique? Est-ce qu'elle doit conduire à l'effondrement des rentrées fiscales, à l'instauration d'un marché noir et à une pénurie des produits alimentaires de base ?
Je crois que la réponse à cette question peut être trouvée dans les versets suivants : " Le produit du Chabbath du pays sera pour vous à manger, pour toi et pour ton serviteur et pour ta servante, et pour ton salarié et pour ton étranger qui résident avec toi. Et pour ton animal et pour la bête sauvage qui sont dans ton pays, toute sa récolte sera à manger. " (Lévitique 25, 6 et 7)
La Torah souligne ici que si tout le monde observe correctement les années sabbatiques et bénéficie de manière identique de la munificence de D.ieu, il y aura de la nourriture pour tous. L'activité économique, malgré tout ce qu'elle comporte de positif, crée des inégalités dans la distribution des richesses, de sorte que la cessation temporaire d'une activité nous rappelle qu'aux yeux de D.ieu, tout le monde possède les mêmes mérites et personne n'a besoin d'accumuler plus que nécessaire.
Le message est : " Assieds-toi et profite de ce dont tu as besoin ; ne travaille pas pour ce dont tu n'as pas besoin ! " Cette idée peut certainement être intégrée dans nos frénétiques vies modernes, qui tendent à être stimulées par le montant de nos gains bien plus que par nos véritables besoins. Si nous avons réellement confiance en D.ieu et Le voyons comme Celui qui pourvoit à nos besoins, nous pouvons prospérer même si nous devons abandonner notre sol en jachère et partager ses produits avec nos prochains.
Finalement, nous pouvons renforcer notre lien avec D.ieu et apprendre à maîtriser notre désir de ce qui nous est superflu.
(Traduit de l'anglais par Jacques KOHN)