Le 11 septembre 2002
Cher D.ieu
Je t’adresse ce courrier pour te poser quelques questions. Ces derniers temps, ma tête fourmille de questions !
Je rêve souvent de pouvoir t’interpeller au cours d’une « tribune libre », une sorte de forum où Tes créatures auraient le droit de te faire part de leurs interrogations. Un dialogue qui apporterait une réponse immédiate à toutes leurs questions. Ce moment serait, j’en suis sûr, à marquer d’une pierre blanche. Il constituerait l’expérience de notre vie. L’expérience avec un grand E.
Je m’explique. Ce n’est pas, loin de là, que je minimise les merveilles qui nous entourent et que tu as créées pour nous. Non. Admirer les chutes du Niagara, un lever de soleil à Jérusalem, assister à la naissance d’un enfant restent des moments imprégnés d’une dimension tout à fait exceptionnelle. Mais, rien, ne peut se comparer avec vingt-cinq minutes de tête-à-tête avec le Créateur. Non, vraiment rien.
Si seulement, ces vingt-cinq précieuses minutes m’étaient données ! J’en profiterai pour essayer de tout comprendre, tout savoir, tout expliquer. Pourtant, mes questions si différentes les unes des autres commenceraient toutes par le même mot : pourquoi. Pourquoi ?
Comme tout le monde, je lis les journaux. Ce n’est pas à Toi que je vais apprendre de quoi est composée l’actualité. A ‘Haïfa, un garçonnet de neuf ans est témoin de la mort de sa sœur dans l’explosion d’un bus et s’interroge : pourquoi ?
Une veuve de vingt-sept ans, qui survit sous anti dépresseurs se demande : pourquoi, mais pourquoi a-t-il fallu qu’il se rende si tôt à son travail ce funeste jeudi ?
De trop nombreux orphelins en Israël, dont les parents ont péri au cours d’attaques terroristes, abasourdis sous le choc T’interpellent : pourquoi ?
Des citoyens de pays civilisés, des innocents à travers le monde touchés par ces drames quotidiens se tournent vers Toi pour savoir : pourquoi. A cette interrogation s’ajoute l’inquiétude de lendemains toujours plus incertains. Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Nous sommes obsédés par le besoin de comprendre. Cette nécessité nous conduit à d’incessantes interrogations. Mais ceci n’a rien d’étonnant. C’est Toi qui nous a conçus ainsi. C’est Toi qui nous a voulus ainsi.
Pourtant, je dois bien admettre que ces derniers temps, mon besoin de comprendre s’est légèrement teinté d’insolence. Je n’accepte plus que mes demandes restent sans réponse. J’exige de savoir, de comprendre... Lorsque la mort ou la maladie frappent l’un de mes proches, je n’hésite plus à demander : pourquoi. Lorsque je rate un avion ou un bus, je me tourne vers Toi pour réclamer une explication.
Après tout, ce comportement n’est peut être pas aussi grave qu’il n’y paraît. Ma démarche consiste seulement à percevoir l’intervention divine dans chacun des événements de ma vie. Petits ou grands.
Il me faut accepter mon incapacité à tout appréhender. Mon niveau spirituel ne me permet pas de distinguer les nuances contenues dans chacune de tes interventions, je ne suis pas à même de déchiffrer tes intentions lorsque survient un événement qui me déconcerte.
Je dois admettre cet état de fait., c’est certain. Pourtant, cette démarche n’est pas évidente. Face aux limites posées par mon intellect, mon amour propre fait de la résistance. J’oublie parfois l’immensité de Ta sagesse, Ton pouvoir, Ton omnipotence. Et ça, c’est dangereux. C’est dangereux parce que cela me mène à accepter uniquement les faits que je peux comprendre. Tout ce qui échappe à une conception cartésienne et rationnelle est remis en question. La foi devient encombrante. Dans tout cela, je perds mes repères.
Dans l’absolu, je sais que tu attends mes questions, Tu veux que je cherche à savoir, que je demande pourquoi. Ce mode de raisonnement n’est-il pas la marque de Ton peuple ?
Puisque Tu le veux, je T’interroge. Je t’interroge mais je n’ai pas toujours le mérite de percevoir les éléments de réponse que Tu me fournis. Certaines fois, une dimension m'échappe. Alors, je pose ma question une nouvelle fois. Et tant que je ne perçois pas Ta réponse, je repose ma question. Si je ne la perçois toujours pas, j’accepte que Tu aies Tes raisons pour diriger le monde comme Tu le fais. Je n’ai d’autre choix que d’accepter. Pour cela, je dois laisser s’exprimer ma foi…et une bonne dose d’humilité. Et ce n’est pas facile. Pas facile du tout.
Tout cela est d’autant moins aisé lorsque les événements sont marqués par la douleur. La douleur de parents enterrant leurs enfants. La douleur des survivants de la Choah qui font une nouvelle fois l’expérience de l’horreur. La douleur de ceux qui n’ont même plus de larmes pour exprimer leur indicible souffrance. C’est là que notre besoin de donner un sens à l’incompréhensible devient primordial. Vital, même.
Toi qui nous regardes de là haut, Tu sais que les récents événements nous ont laissés hébétés, terrifiés et démunis. Tous, du plus important personnage de l’Etat au plus humble des citoyens, nous nous sommes tournés vers Toi. Toi seul peut nous aider à comprendre la raison d’une horreur aussi insoutenable. La catastrophe personnelle et collégiale qui a atteint le monde représente un séisme d’une telle ampleur que Toi seul peut en détenir la clé. Si seulement nous pouvions savoir, si seulement nous connaissions la raison qui justifie tant de souffrances… Si seulement, alors la douleur serait atténuée. Pourquoi tant de souffrances, D.ieu Pourquoi ?
Parmi les questions qui vont affluer vers Toi, ces prochaines semaines, un grand nombre commenceront par pourquoi. Toutefois, la récente succession d’événement douloureux me confronte à mes propres limites. Je ne comprendrais jamais tout. Aujourd’hui, je l’accepte et cette année j’ai décidé de modifier mon approche. Désormais mes questions ne débuteront plus par le mot pourquoi. Non, pour exprimer plus justement ce que je ressens, je te demande aujourd’hui quand. Lorsqu’un enfant demande à ses parents « quand » au lieu de pourquoi, il exprime sa confiance, sa conviction que le terme arrivera bientôt.
Alors, mon D.ieu, Toi qui prêtes une oreille bienveillante à chacune de Tes créatures, je te demande : quand ?
Quand les sirènes se tairont-elles ?
Quand serons-nous capable de nous tourner vers Toi avec une confiance totale ?
Quand le monde reconnaîtra-t-il sa part active dans les catastrophes toujours plus dramatiques ?
Quand nos enfants iront-ils se coucher sans avoir peur ?
Quand nous débarrasserons-nous de notre mesquinerie ?
Quand arrêterons-nous de sacrifier au dieu dollar ?
Quand les média se feront-ils donc plus volontiers le relais de la construction que de la destruction ?
Quand nos héros seront-ils des Héros dans le sens le plus noble du terme ?
Quand serons-nous heureux, positifs, généreux ?
Quand le culte du paraître cédera-t-il la place à celui de l’être ?
Quand nos enseignants percevront-ils le salaire qu’ils méritent ?
Quand nous souviendrons-nous des paroles de Nietzsche : la vie n’est pas une discussion ?
Quand arrêterons-nous de demander pourquoi comme un préalable à l’acceptation ?
Quand Machia’h (le Messie) viendra, cesserons-nous de poser des questions ?
Quand ?
Cher, très cher D.ieu, je sais que Tu es tout près. Je sais que tu m’entends. Prête une oreille compatissante aux pleurs de Tes enfants.
Nous n’avons peut-être pas besoin de savoir pourquoi mais nous avons besoin de savoir quand !
En espérant que la réponse sera bientôt, très bientôt, je t’adresse toute l’expression de mon infinie confiance en Toi.
Avec amour
Yaakov.
Traduction de Judith Poultorak