Malgré tous ses efforts pour limiter l'accès des gens du peuple à la Bible, l'Eglise, à la fin du Moyen-Age ne mène plus qu'un combat d'arrière-garde.

La Réforme protestante qui voit le jour au début du 16ème siècle nous est bien connue, mais en fait, des tentatives de répandre la parole divine avaient eu lieu plusieurs siècles auparavant. Déjà, au 14ème siècle, le dégoût inspiré par la décadence et la corruption au sein de l'Eglise ont commencé à donner naissance, parmi les simples fidèles, à un mouvement de rébellion.

En Angleterre et en Europe du Nord, on commence à produire et à diffuser des exemplaires "illégaux" de la Bible rédigés en langue vernaculaire . Dans l'une de ces versions, publiée à la fin du 14ème siècle par le théologien d'Oxford John Wycliffe, on peut lire dans la préface: "La Bible est en faveur du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". (1)

Les responsables de ces traductions "illégales" furent persécutés et certains, tel Jan Hus, de Bohême, furent exécutés pour hérésie.

Une technologie nouvelle devait également jouer un rôle majeur dans la diffusion de la Bible. En 1453, en Allemagne, Gutenberg invente l'imprimerie. Avant cette invention, chaque livre devait être copié à la main, souvent par des moines. D'où la rareté et le coût élevé des livres. L'imprimerie permettait non seulement de produire des livres à un rythme infiniment plus rapide, mais aussi d'en réduire considérablement le coût.

Ce n'est pas un hasard si le premier livre imprimé par Gutenberg fut la Bible. La traduction de la Bible dans différentes langues et sa production en série grâce à l'imprimerie conduisirent à une véritable explosion sur le plan de sa popularité et de son influence.

Au 16ème siècle, des changements très importants sur le plan religieux se produisent : Martin Luther fonde une nouvelle secte chrétienne qu'il nomme Protestantisme. Ce nouveau mouvement voulait surtout protester contre les excès matériels de l'Eglise catholique et réintroduire un christianisme empreint de l'esprit de la Bible.

En 1538, Henry VIII rompt avec le catholicisme et fonde l'Eglise d'Angleterre. Il fait proclamer un Edit exigeant que toutes les églises d'Angleterre possèdent un exemplaire de la Bible et en fassent une lecture publique, qui devint partie intégrante de l'office. De nombreux pays, à leur tour, abandonnèrent le catholicisme et se tournèrent vers le protestantisme.

Des théologiens protestants, prenant conscience du fait que l'esprit même du christianisme, tant sur le plan éthique que religieux, tirait son origine de la Bible (aussi bien de l'Ancien que du Nouveau Testament) insistèrent sur le droit et la responsabilité de chacun de consulter directement la Bible et de s'en faire un guide moral.

Ainsi que Martin Luther l'écrivait au pape Léon X:

" Je ne peux pas accepter que l'interprétation de la Parole de Dieu soit soumise à des règles strictes car la Parole, qui est source de toute liberté doit elle-même être libre".(2)

Dans les pays ralliés au protestantisme, la traduction et la large diffusion de la Bible devinrent la règle. Le déclin de la puissance de l'Eglise, l'importance donnée à la Bible par un protestantisme en pleine expansion et le développement de l'imprimerie, tout cela devait donner à la Bible une formidable impulsion , la plaçant, en Europe, dans une position influente sans précédent sur le plan religieux et politique.

Un des meilleurs exemples de la puissance de la Bible dans l'évolution politique moderne nous est donné par la Guerre Civile, ou Révolution Puritaine, dans l'Angleterre du 17ème siècle. Les Puritains, qui étaient des fondamentalistes protestants, étaient aussi de fervents adeptes de la Bible. Ils avaient le sentiment que l'Eglise d'Angleterre n'était pas en accord avec une véritable spiritualité qui, selon eux, devait inclure le droit, pour chacun, à l'interprétation personnelle de la loi de Dieu.

Ils rejetaient également l'absolutisme du roi Charles Ier. Les Puritains pensaient que c'est le Parlement, et non le roi, qui devait avoir le dernier mot, et que toutes les décisions légales devaient être en accord avec l'éthique de la Bible qu'ils considéraient comme la plus haute autorité en toutes choses.

Cette révolution devait avoir son point culminant avec l'exécution de Charles Ier, un tournant dans l'histoire européenne, qui allait secouer les fondements de la noblesse. Pour la première fois en Europe, un monarque n'était pas seulement détrôné mais également décapité. Vers la fin de la Révolution, le Parlement , sous la conduite d'Olivier Cromwell, était tout-puissant.

Tout au long de ces évènements, la Bible devait jouer un rôle central absolu. Les Puritains étaient littéralement obsédés par ce texte. Ils en vinrent à comparer leur lutte politique contre Charles Ier avec celle des anciens Hébreux contre le Pharaon ou le roi de Babylone. S'identifiant aussi fortement avec l'ancien Israël, ils choisirent avec fougue de s'identifier avec l'Ancien Testament,qui n'est autre que la Bible hébraïque. Ils l'étudiaient en tout lieu, apprenaient l'hébreu et allaient même jusqu'à donner à leurs enfants des prénoms hébraïques. L' "Armée Nouveau Modèle" de Cromwell partait au combat en chantant des psaumes et en brandissant des étendards à l'effigie du Lion de Juda; leur cri de guerre était "le Dieu des Armées".

Il suffit de lire les écrits du grand poète puritain John Milton (1608 - 1674) pour apprécier l'influence pénétrante de la Bible hébraïque sur la vision du monde des Puritains :
"Il n'est pas de chant comparable au chant de Sion, pas de discours valant ceux des prophètes, ni de politique qui puisse se comparer à celle que l'Ecriture nous enseigne".

Un des effets secondaires bénéfiques de l'attrait des Puritains pour la Bible devait se traduire par l'augmentation rapide du taux d'alphabetisation. Savoir lire était depuis toujours un luxe hors de portée de la plupart des gens , souvent relégués dans l'illettrisme par les classes dirigeantes. Mais le fait que les Puritains pensaient que l'accès direct à Dieu passait par l'étude de la Bible devait forcément conduire à l'apprentissage de la lecture. La nécessité d'avoir un contact direct avec la Bible devait donc donner lieu à une augmentation significative de l'alphabétisation en Angleterre et dans les autres pays protestants.

Bien que la domination puritaine de l'Angleterre n'ait pas survécu à la mort de Cromwell en 1658, elle devait laisser un héritage durable en matière de réforme politique , non seulement en Angleterre, mais aussi dans tout le reste de l'Europe. Les Puritains ainsi que d'autres sectes et fractions protestantes allaient également jouer un rôle crucial dans l'édification politique et religieuse de l'Amérique, ce que nous verrons dans le prochain chapitre.

Traduction et Adaptation de Monique SIAC

Bibliographie :
(1) Sivan, Gabriel, "The Bible and Civilization", Jerusalem : Keter Publishing House, 1973, p. 174
(2) Dillenberger John and Welch Claude , "Protestant Christianity: Interpreted Through Its Development", New-York : Charles Scribner and Sons , 1954, p. 68.
(3) Sivan , p. 70