| | La circoncision demeure la norme et le signe essentiel de l'entrée dans l'alliance divine | QUE SIGNIFIE CE COMMANDEMENT
?
Symboliquement, verser son sang, ou celui de ceux qu'on aime, indique qu'on
est disposé à sacrifier ce qu'on a de plus cher. Le patriarche
Abraham est le modèle de l'abnégation pour la cause de D.ieu Tout
d'abord le Très-Haut lui demanda de quitter son milieu et de gagner une
terre inconnue: ce n'était pas là une simple émigration;
dans une société où chaque groupe ethnique avait comme
seule protection la solidarité des siens, où toutes les notions
même théologiques étaient l'apanage exclusif de ce
cercle restreint, la séparation était un saut dans le vide. Et
justement Abraham accomplit le geste qui lui était conseillé,
parce qu'il entendait innover en un
créateur unique et omnipotent, inspirant à ses créatures
une conduite sans détours, par des voies humaines, vers un idéal
surhumain. Un de ses proches l'avait suivi, Loth; mais, quand ce dernier eut
une défaillance, il n'hésita pas à s'éloigner de
lui aussi. Et même celle qui lui avait donné son premier fils,
Hagar, et ce fils lui-même, Ismaël, il les écarta de son foyer,
quand il vit qu'ils ne sauraient se maintenir au niveau exigé.
II restait de plus en plus isolé de sa tribu, avec sa femme Sarah et
son fils Isaac (étymologiquement celui qui "sourit" à
la vie, par opposition à Ismaël, qui en "rigolait"
Genèse 21, 9). D.ieu lui ordonna alors d'immoler son enfant. Comme
nos maîtres l'ont souligné, il ne fut en réalité
jamais question de commettre cette abomination qu'est le sacrifice humain. Mais,
dans les circonstances de l'époque, le dévouement total d'Abraham
n'était pas crédible aux peuples de son entourage sans qu'il soit
prouvé aux yeux de tous qu'il était disposé à aller
jusqu'au bout. II fallait donc qu'Abraham croie jusqu'à la dernière
minute que l'Eternel réclamait la mort de son fils. Une fois son bras
levé pour l'holocauste , le voile se léve , et le sens de l'ordre
divin s'éclaircit: "Fais monter ton fils en offrande montante"
(ola, traduit couramment par "holocauste"). Ce n'est pas sa mort que
D.ieu veut, c'est sa vie à son service (Beréchit raba; cf.
Rachi sur Genèse 22, 12). la circoncision demeure la norme et le signe essentiel de l'entrée dans l'alliance divine
En fait, si ce n'était pour ouvrir les yeux d'autrui, cet épisode
était superflu. Abraham avait déjà manifesté, par
un acte symbolique, la mila, qu'il acceptait avec joie de verser le sang de
ce qui lui était le plus précieux au monde pour réaliser
la volonté du Seigneur. Aussi, la Loi d'Israël ne présente-t-elle
le ligotement d'Isaac (et non le sacrifice d'Isaac; prenez garde à la
nuance!) que comme une belle et dramatique histoire édifiante. Aucun
précepte ne s'y rattache. Par contre, la circoncision demeure la norme
et le signe essentiel de l'entrée dans l'alliance divine. Chaque père
juif, en y soumettant ses garçons, proclame que, pour améliorer
le monde conformément aux desseins célestes, il consacre la vie
de sa progéniture et en fait le don absolu. Presque toujours ce vœu
s'accomplira par une existence vertueuse et bienfaisante, mais, le jour où
cela s'avère indispensable, c'est même notre dernier souffle que
nous sommes tenus d'offrir à l'éternel .
UNE PORTÉE COLLECTIVE
Au-delà de cette
signification individuelle, la circoncision, comme la plupart des préceptes
du judaïsme, a une portée collective. II est de peu de poids que
j'affirme personnellement mon attachement à l'idéal divin, car
un homme seul ne change pas le monde. Bien plus importante est l'appartenance
à une communauté qui s'est constituée sur la base de ces
principes. Aussi la mila est-elle avant tout le signe de notre identité
juive.
Beaucoup de parents, à partir de cette donnée, font un raisonnement
erroné. Laissons, disent-ils, le choix à l'enfant luimême.
Gardons-nous de le prédéterminer. C'est en pleine connaissance
de cause qu'il prendra ses responsabilités.
Sans parler des difficultés matérielles d'un tel processus, il
découle d'une conception entièrement fausse. Sans doute chaque être humain est-il comptable
de son attitude propre. Mais il ne saurait être jeté artificiellement
dans les remous de l'univers comme s'il ne venait de nulle part. Nul père,
nulle mère n'est en droit de s'abstenir d'éduquer ceux à
qui ils ont donné le jour. D'abord la non-éducation est, elle
aussi, une méthode d'éducation, et pas la plus sensée.
Ensuite il n'est pas possible à chacun de réinventer tout le parcours
des générations, et l'enracinement dans une tradition,qui
peut être plus ou moins souple, est la meilleure garantie d'un bon
départ pour de nouvelles conquêtes spirituelles. La circoncision , qui scelle dans la chair du nouveau-né la continuité juive, est, par ses prolongements, inconscients au début, puis de plus en plus compris, un acte éducatif par excellence.
L'homme, le Ciel
en soit loué, ne naît pas adulte. II doit être préparé
à son rôle. Si ses parents sont persuadés que l'orientation
qu'ils ont donnée à leur vie, en l'occurrence l'adhésion
au judaïsme, est justifiée, ils ont le devoir d'y orienter
leurs héritiers. Et cette initiation commence, comme les psychologues
et les pédagogues le démontrent, dès que le nourrisson
ouvre les yeux, sinon auparavant. A l'aube de sa carrière, l'enfant n'aura
évidemment que faire d'axiomes et de raisonnements; (éducation
s'amorce par des gestes, par des schémas corporels. La circoncision ,
qui scelle dans la chair du nouveau-né la continuité juive, est, par ses prolongements,
inconscients au début, puis de plus en plus compris, un acte éducatif
par excellence.
Par la suite, c'est autour de cette donnée initiale que s'inscriront
les développements de sa personnalité: son identité de
fils d'Israël prendra forme au fur et à mesure qu'il avancera dans
la connaissance de son patrimoine. A l'heure du choix crucial, lorsqu'il deviendra
mûr pour décider de son avenir moral, entre treize ans et dix-huit
ans à peu près, le signe de sa consécration sera là
pour le détourner des attachements passagers et néfastes,
car, même au siècle de la pilule, ce qu'on appelle l'amour n'est
pas le passe-temps anodin qu'on dit, et il laisse des traces, parfois fatales,
au moins sur le partenaire féminin. Si la pudeur que la condition d'Israélite
devrait dicter à tous ceux qui sont marqués par l'alliance d'Abraham
n'avait comme but que d'empêcher les jeunes gens de gaspiller leur capacité
d'aimer à droite et à gauche, et de les induire à la réserver
à celle qui sera leur véritable complément dans toutes
les acceptions du terme, la circoncision bien expliquée serait pour cela
même un trésor inestimable . Et tant d'abandons du judaïsme,
causés par des rencontres plus ou moins fortuites, feraient place à
un engagement conscient, en tant que membre d'un couple rayonnant et créateur,
au sein de la communauté vivante d'Israël.
Montaigne
assiste à une circoncision
Rome
... Le trentième [de janvier 1581], il fut voir la plus ancienne cérémonie
de religion qui soit parmi les hommes, et la considéra fort attentivement
et avec grande commodité; c'est la Circoncision des Juifs . . . .Elle
se fait aux maisons privées, en la chambre du logis de l'enfant la plus
commode et la plus claire. Là où il fut, parce que le logis était
incommode, la cérémonie se fit à l'entrée de la
porte. Ils donnent aux enfants un parrain et une marraine, comme nous: le père
nomme l'enfant. Ils les circoncisent le huitième jour de sa naissance.
Le parrain s'assit sur une table, et met un oreiller sur son giron: la marraine
lui porte là l'enfant, et puis s'en va.
Vendant est enveloppé à notre mode; le parrain le développe
par le bas, et lors les assistants et celui qui doit faire l'opération
, commencent trestous (a)
à chanter, et accompagnent de chansons toute cette action qui dure un
petit quart d'heure. Le ministre peut être autre que rabbi (b),
et quiconque ce soit d'entre eux, chacun désire être appelé
à cet office, parce qu'ils tiennent que c'est une grande bénédiction
d'y être souvent employé: voire ils achètent d'y être
conviés, offrant, qui un vêtement, qui quelque autre commodité
à l'enfant, et tiennent que celui qui en a circoncis jusqu'à certain
nombre qu'ils savent, étant mort, a ce privilège que les parties
de la bouche ne sont jamais mangées des vers.
Sur la table, où
est assis ce parrain, il y a quant-et-quant (c)
un grand apprêt de tous les outils qu'il faut à cette opération.
Outre cela, un homme tient en ses mains une fiole pleine de vin et un verre.
Il y a aussi un brasier à terre, auquel brasier ce ministre chauffe premièrement
ses mains, et puis, trouvant cet enfant tout détroussé (d),
comme le parrain le tient sur son giron la tête envers soi, il lui prend
son membre, et retire à soi la peau qui est au-dessus, d'une main, poussant
de l'autre la gland (e)
et le membre au-dedans. Au bout de cette peau qu'il tient vers ladite gland,
il met un instrument d'argent qui arrête là cette peau, et empêche
que, la tranchant, ne vienne à offenser la gland et la chair. Après
cela, d'un couteau, il tranche cette peau, laquelle on enterre soudain (f)
dans de fa terre, qui est là dans un bassin parmi les autres apprêts
de ce mystère. Après cela le ministre vient, à belles ongles,
à froisser encore quelque autre petite pellicule qui est sur cette gland
et la déchire à force, et la pousse en arrière au-delà
de la gland. Il semble qu'il y ait beaucoup d'effort en cela et de douleur:
toutefois ils n'y trouvent nul danger, et en est toujours la plaie guérie
en quatre ou cinq jours. Le cri de l'enfant est pareil aux nôtres qu'on
baptise.
Soudain (f) que cette gland est ainsi découverte, on offre hâtivement du vin au ministre, qui
en met un peu à la bouche, et s'en va ainsi sucer la gland de cet enfant,
toute sanglante, et rend le sang qu'il en a retiré, et incontinent reprend
autant de vin jusqu'à trois fois. Cela fait, on lui offre, dans un petit
cornet de papier, d'une poudre rouge qu'ils disent être du sang de dragon
(g),
de quoi il sale et couvre toute cette plaie, et puis enveloppe bien proprement
le membre de cet enfant à tout (h)
dos linges taillés tout exprès. Cela fait, on lui donne un verre
plein de vin, lequel vin, par quelques oraisons qu'il fait, ils disent qu'il
bénit. Il en prend une gorgée, et puis, y trempant le doigt, en
porte par trois fois à tout (h)
le doigt quelque goutte à sucer eu la bouche de l'enfant; et ce verre
après, en ce même état, on l'envoie à la mère
et femmes qui sont en quelque autre endroit du logis, pour boire ce qui reste
de vin. Outre cela, un tiers prend un instrument d'argent, rond comme un esteuf
(i), qui se tient à une longue
queue, lequel instrument est percé de ponts trous comme nos cassolettes,
et le porte au nez premièrement du ministre, et puis de l'enfant, et
puis du parrain: ils présupposent que ce sont des odeurs pour fortifier
et éclaircir les esprits à la dévotion.
(a) Tous sans exception.
(b) Rabbin.
(c) Aussi.
(d) Déshabillé.
(e) Nous disons : le; mais Montaigne conserve ordinairement en français le genre des mots latins, comme celui de glans, qui est féminin.
(f) Aussitôt.
(g) Substance résineuse qui découle d'une arbre et dont il y a quatre espèces.
(h) Avec.
(i) Une balle.
Les notes en italiques sont de l'éditeur du manuscrit.
Michel de Montaigne. Journal du voyage... en Italie, avec des notes par M. de
Querlon, 1774) |
Moche CATANE Moché Catane (1920-1995) descend d’une vieille famille juive alsacienne. Après la Shoah qui décima une grande partie des siens, il s’installe à Paris, où il mène de front son activité de bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale et des activités sociales et communautaires. Il s’installe à Jérusalem avec sa famille en 1949, où il est chef de departement à la Bibliothèque Nationale et Universitaire. Journaliste pour la section francophone de la radio nationale israëlienne, il collabore à de nombreuses revues d’actualité et scientifiques. Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire juive, l’exégèse biblique, la langue et littérature rabbinique et la philosophie juive. Il est décoré des Palmes Académiques par la France et du Prix du Président de la Knesset pour son action dans le but de resserrer les liens culturels entre la France et Israël.
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