Un incident bizarre survenu en 1888 a pu avoir déclenché le processus de réflexion qui a abouti à son legs pour la création des Prix Nobel
" Quoique Nobel ait été essentiellement pacifiste et espérait que les pouvoirs destructeurs de ses inventions aideraient à mettre fin aux guerres, sa vue de l'humanité et des nations était pessimiste."
Nous ne pouvons qu'émettre des suppositions sur les raisons qui ont déterminé Nobel à créer les prix qui portent son nom. Il ne se livrait pas sur lui-même, et il n'a confié à personne sa décision dans les mois précédant sa mort. L'hypothèse la plus plausible est qu'un incident bizarre survenu en 1888 a pu avoir déclenché le processus de réflexion qui a abouti à son legs pour la création des Prix Nobel.
Cette année-là, Ludvig, le frère d'Alfred, est mort pendant un séjour à Cannes, sur la Côte d'Azur. Les journaux français ont rendu compte de ce décès, mais ils ont confondu le défunt avec Alfred, de sorte qu'un journal l'a présenté sous le titre de : " Le marchand de mort est mort ".
Peut-être Alfred Nobel a-t-il institué les prix afin d'éviter précisément cette sorte de réputation posthume, telle qu'elle était suggérée par cette nécrologie prématurée. Il est certain que les récompenses qu'il a effectivement instituées ont reflété l'intérêt qu'il avait toujours porté aux domaines de la physique, de la chimie, de la physiologie, et de la littérature." (Encyclopaedia Brittanica - V° Alfred Nobel)
Alfred Nobel a été un brillant inventeur, qui s'est spécialisé dans le développement de produits explosifs comme la dynamite et la nitroglycérine. Il a fait breveter plus de 350 idées différentes et est devenu immensément riche. Cependant, sa conscience ne pouvait pas accepter l'idée qu'on l'identifierait à des armes destructrices et mortelles, et il espérait qu'en établissant sa fondation il adoucirait les dommages qu'il avait causés en introduisant ces armes dans le monde moderne.
LE SECRET DE L'ENCENS
Nos pères ont su que le Temple allait être détruit, et ils craignaient que des gens malhonnêtes puissent obtenir la formule et confectionner cet encens à des fins idolâtres.
Peut-être pourrons-nous mieux comprendre maintenant un dilemme similaire qu'a dû affronter une famille sacerdotale, environ 2000 ans avant que Nobel eût conçu ses inventions.
La Torah énumère les diverses plantes qui étaient employées pour composer l'encens employé dans le Temple. L'encens consistait en un mélange d'espèces extrêmement puissant, qui une fois mélangées dégageaient une odeur âcre qui servait comme " une odeur sucrée, un sacrifice à D.ieu ".
La Michna (Tamid 3, 8) dépeint de manière pittoresque les effets de cette expérience olfactive :
" On pouvait sentir jusqu'à Jéricho, (soit à plus de 20 kilomètres), l'odeur de l'encens ainsi composé. Rabbi Eliézèr ben Diglaï ajoutait : "Mon père possédait des chèvres à Mikhvar (un endroit éloigné), et elles éternuaient à l'odeur de l'encens."
La Torah avertit aussi que de tels mélanges ne doivent pas être employés pour un but profane, et ce sous peine de mort. La formule pour la préparation de l'encens pour le Temple était un secret étroitement gardé par la maison d'Avtinas, une des familles sacerdotales de l'époque du deuxième Temple. Les rabbins s'inquiétaient de ce que cette famille ne voulût apprendre à personne d'autre comment le préparer, et ils se sont adressés à des experts d'Alexandrie, en Egypte, pour essayer d'en imiter la recette.
Le Talmud (Yoma 38a) relate qu'ils ont réussi à reproduire l'encens, mais qu'ils n'ont pas pu faire s'élever verticalement sa fumée, car il leur manquait une des espèces, celle qui remplissait cette fonction. Les rabbins ont alors renoncé à leur projet, se disant qu'il devait exister une raison d'origine divine pour que D.ieu ait confié à une seule famille cette information essentielle. Cependant les membres de la famille Avtinas, outrés de la tentative qui avait été faite de les déposséder de leurs fonctions, ont forcé les rabbins à doubler leurs salaires.
La Michna dans Yoma mentionne la maison d'Avtinas parmi celles qui doivent être désapprouvées pour leur conduite, mais le Talmud relate que les choses n'en sont pas restées là. Les rabbins ont demandé à cette famille pourquoi elle ne voulait pas enseigner son art à d'autres, et ils ont répondu : " Nos pères ont su que le Temple allait être détruit, et ils craignaient que des gens malhonnêtes puissent obtenir la formule et confectionner cet encens à des fins idolâtres. " Il est ainsi apparu que les motivations d'Avtinas n'étaient pas vénales - encore que leur talent les ait certainement enrichis - mais que cette famille voulait préserver l'encens sacré de D.ieu des risques de souillure par les païens.
C'est cependant pour une tout autre raison que les rabbins l'ont vantée :
" Aucune jeune fille de leur famille n'a jamais utilisé de parfum, et quand ils épousaient des femmes issues d'autres familles, ils stipulaient qu'aucun parfum ne serait employé, et ce afin que personne ne les soupçonne d'utiliser leur art à des fins personnelles. "
Il n'est pas invraisemblable que cette intégrité morale manifestée par Avtinas ait convaincu les rabbins que leur motif premier, en protégeant la formule, était juste et sincère. Le Tiféreth Yisrael explique qu'ils n'ont finalement pas été désapprouvés, et que la critique exprimée dans la Michna s'est adressée à d'autres gens qui avaient protégé leur savoir pour des raisons égoïstes.
LE DANGER DE CERTAINES DECOUVERTES
La famille Avtinas, tout comme Alfred Nobel, a affronté l'épreuve consistant à posséder un savoir puissant qui pouvait être utilisé tant au bénéfice de l'humanité qu'à des fins pernicieuses. Avtinas s'est accroché obstinément à son secret, tandis que Nobel a choisi de vendre l'ensemble de ses inventions. Mais tandis que la famille Avtinas garde une place enviable dans l'histoire pour avoir protégé l'encens alors qu'il risquait d'être offert aux divinités païennes, le nom de Nobel n'est pas seulement associé aux prix célèbres qu'il a institués, mais aussi aux carnages humains les plus affreux qui ont marqué le vingtième siècle.
La leçon que nous pouvons en tirer est qu'il faut prendre grandement soin des nouvelles inventions lorsqu'elles peuvent servir au mal autant qu'au bien, et que la science doit veiller attentivement aux inquiétudes d'ordre éthique que soulève chaque pas vers l'avenir.
Avec le développement d'innovations aussi considérables que le clonage, nous devons nous montrer aussi vigilants que la maison d'Avtinas avant de permettre que de telles connaissances puissent sortir des laboratoires pour aboutir dans les mains de tout un chacun.
(Traduit de l'anglais par Jacques KOHN)