Il arrive aussi très souvent que la raison des retards dans les paiements soit simplement la cupidité.
Un des problèmes fréquemment rencontrés aujourd'hui dans le domaine des affaires résulte de la tendance de certains employeurs à vouloir différer le paiement des salaires dus à leurs salariés jusque bien après que le travail a été accompli.
Il arrive par exemple que le montant des liquidités en caisse ne permette pas de verser les salaires avant que les clients aient payé ce qu'ils doivent, ou bien que le patron se refuse à emprunter de fortes sommes à des taux d'intérêt élevés. Mais il arrive aussi très souvent que la raison des retards dans les paiements soit simplement la cupidité. L'employeur détient la somme nécessaire, mais il veut pouvoir la placer ou s'en servir à des fins spéculatives à court terme, et donc se soustrait à son obligation de payer les salaires dès l'achèvement du travail.
Pour cette raison, beaucoup de pays ont établi des législations strictes qui fixent les délais dans lesquels les salaires doivent être payés, allant jusqu'à infliger des amendes s'il s'avère que ceux-ci ont été injustement différés.
Ces lois ne peuvent toutefois aider les travailleurs que dans un cadre organisé. Beaucoup d'employés à temps partiel, les travailleurs temporaires et les groupes de travailleurs inorganisés peuvent se trouver livrés à une exploitation par des patrons grippe-sous qui savent que leur personnel ne peut avoir recours à une action légale.
La Torah, avec son sens aigu de justice sociale, est extrêmement soucieuse de réagir à la misère de ces malheureux travailleurs. Dans la Parachath Ki-tètsè, elle réitère l'interdiction mentionnée dans le Lévitique concernant la rétention de salaires même pendant une seule journée. La Torah met ici spécialement l'accent sur l'ouvrier pauvre, qui " porte son âme vers lui [c'est-à-dire vers ce qui lui est dû]. Ne le laisse pas appeler sur toi vers D.ieu, car il y aurait en toi péché " (Deutéronome 24, 15).
De fait, le Talmud (Baba Metsi'a 112a) et le Zohar (Qedochim) considèrent l'un et l'autre que retenir le salaire d'un travailleur équivaut à lui prendre la vie, dans la mesure où :
a) il a mis dans beaucoup de cas sa vie en danger pour fournir une subsistance à sa famille,
b) il a consacré une partie de sa vie au travail pour son employeur.
Selon nos Maîtres, un ouvrier qui travaille pendant une journée entière doit être payé avant l'aube du lendemain. Mais s'il finit avant le coucher du soleil, il doit être payé au moment du crépuscule.
LA LEçON DU ARIZAL
Il est important que les deux parties conviennent dès l'établissement du contrat de travail du moment où le travailleur sera payé.
On raconte que Rabbi Yits'haq Louria, le célèbre Arizal (célèbre kabbaliste, Jérusalem, Safed, 1534 - 1572), était très méticuleux dans l'accomplissement de cette mitsvah (commandement), et qu'il a même, un jour, manqué la prière de l'après-midi jusqu'après le coucher du soleil parce qu'il devait emprunter de l'argent afin de payer un ouvrier avant le crépuscule.
A première vue, cette anecdote est surprenante, étant donné que si l'on n'a pas assez argent pour payer ses salariés, on se trouve dispensé d'emblée d'exécuter le mitsvah, laquelle n'est applicable que lorsque l'employeur a assez argent pour payer ses salariés en temps voulu. Cependant, nous pouvons mieux comprendre l'attitude du Arizal si nous prêtons attention à la terminologie employée par la Torah pour expliquer la raison de cette mitsvah : " … car il est pauvre, et vers lui il porte son âme, et il n'appellera pas sur toi vers D.ieu, il y aura en toi péché. "
Il importe peu à l'ouvrier que l'employeur puisse disposer d'une échappatoire légale qui lui évitera d'avoir à payer son salaire. Il appellera automatiquement vers D.ieu s'il n'en reçoit pas paiement. Pour cette raison, le Arizal a préféré payer son ouvrier avant de prier, car les larmes de son salarié auraient pu priver sa prière de toute efficacité.
Un autre moyen d'échapper au péché existe si le salarié n'exige pas ses salaires. Le Talmud (ibid.) indique que l'employeur doit, pour être dans l'obligation de le payer, être au courant du désir de son employé de recevoir son salaire.
Cependant, le 'Hafets 'Hayim, Rabbi Yisrael Meir Hacohen Kagan ( un des leaders du monde rabbinique de l'avant-guerre, Radin, Pologne,1838 - 1933), considère que si l'employé s'est présenté à son employeur, son travail achevé, mais sans exiger son salaire, il doit néanmoins être payé immédiatement, étant donné qu'il est venu à l'évidence pour recevoir son dû, mais qu'il était trop embarrassé pour le réclamer. Pour cette raison, dit le 'Hafets 'Hayim, il est important que les deux parties conviennent dès l'établissement du contrat de travail du moment où le travailleur sera payé.
En cette période de l'année, nous prions vers D.ieu pour qu'Il se souvienne des efforts que nous avons déployés au cours de l'année écoulée et pour qu'Il nous accorde une heureuse nouvelle année. C'est donc un moment opportun pour que nous renforcions notre promesse d'accomplir le commandement important de ne pas retenir le salaire de nos salariés.
Nous sommes tous nous-mêmes, en dernière analyse, des " salariés " qui attendons notre propre récompense, et nous gardons espoir que D.ieu nous l'accordera bientôt.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN