Dans un petit bourg de l'ancienne
Russie, vivait une fois un pauvre juif. Il se nommait Mottel Goldgreber, ce
qui veut dire " chercheur d'or ". Cela avait un certain piquant, car
" chercheur " il l'était, mais non d'or ; de sable et de chaux
seulement, qu'il allait chercher au loin, et transportait jusqu'à la
bourgade pour les vendre aux constructeurs. Ces derniers s'en servaient pour
faire du mortier et du ciment.
Mais dans cette localité, guère plus grande qu'un village, on
construisait peu. Et Mottel avait beau s'échiner - c'est le cas de le
dire - ses gains étaient plutôt misérables, ils suffisaient
à peine pour subvenir aux besoins de sa nombreuse famille.
Les années passaient,
ses enfants grandissaient et le temps était venu où il fallait
penser à un Chiddoukh (un parti) pour sa fille aînée .
Mottel réfléchit,
supputa, mais ne put arriver à une solution satisfaisante. Qui aurait
accepté d'épouser la fille d'un pauvre marchand de sable? Le fils
d'un autre marchand de sable, peut-être. Mais il n'y en avait point dans
la bourgade. Sans compter que Mottel rêvait d'un gendre qui fût
un étudiant de Yéchivah, un futur érudit en Torah. Il rêvait,
mais il savait que, sans une dot substantielle, son rêve ne se réaliserait
jamais.
Ainsi, les jours passèrent.
Mottel continuait à creuser la terre, sa femme continuait à ronchonner,
et leur fille continuait à avancer en âge.
Mais un jour, la fortune
voulut bien lui sourire. En creusant, il tomba sur quelque chose qui avait l'apparence
d'un vulgaire fragment de verre. Il était sur le point de le jeter, quand
une voix au-dedans de lui lui cria de le garder. Il le fourra dans sa poche.
Deux jours s'écoulèrent. Il fallait en avoir le cœur net.
Prenant son courage à deux mains, il alla trouver l'unique diamantaire
du bourg. Ce dernier frotta, gratta le morceau de verre, le tourna et le retourna,
tandis que Mottel, excité, regardait sans mot dire. Finalement, il prononça
son verdict : c'était un diamant d'une valeur considérable ! Le
marchand de sable manqua s'évanouir.
TU ES UN HOMME RICHE
- Combien vaut-il ? demanda
Mottel d'une voix à peine audible.
-Oh! je n'aurais jamais
assez d'argent pour te le payer, Mottel! De plus, qu'en ferais-je? Mais, je
vais te donner un conseil: j'ai un cousin diamantaire à Londres ; il
traite, lui, des affaires très importantes. je te suggère d'aller
le trouver; il vendra ce diamant pour toi à un prix très élevé.
Mon cher Mottel, tu es désormais un homme riche!
- Moi, aller à Londres
? dit Mottel épouvanté. Ce doit être à l'autre bout
du monde, et ça doit coûter fort cher !...
- Ne te fais pas de souci
pour l'argent. je t'en prêterai avec plaisir, non seulement pour le voyage,
mais aussi pour un costume convenable. Tu peux voyager en homme riche puisque
tu l'es. Quand, à Londres, tu auras vendu ce gros diamant, demande à
mon cousin de t'en acheter un certain nombre de petite dimension. A ton retour,
nous pourrions-nous associer et faire ensemble des affaires. Qui sait ? Peut-être
le destin voudra que mon fils et ta fille...
- L'honneur serait pour
moi, dit Mottel, qui ne cessait de se demander s'il n'était pas en train
de rêver.
L'idée chemina dans
son esprit. Il finit par partir.
Il fallait d'abord gagner le port le plus proche ; de là il s'embarquerait
sur un bateau à destination de Londres. Mais il avait juste atteint ce
port qu'il se trouva sans un sou. Soit qu'il ne sût pas très bien
se débrouiller pour les questions d'argent, soit que, se trompant dans
ses calculs, il en avait emporté trop peu, le fait était là.
La somme qu'il avait prise avec lui semblait avoir fondu.
Mais Mottel, fort des perspectives qu'avait fait miroiter le diamantaire, se
sentait maintenant capable de tout. II n'allait pas se décourager pour
si peu. II alla trouver le capitaine du bateau et, lui montrant le diamant,
lui demanda sil accepterait de l'emmener en lui faisant crédit jusqu'à
leur arrivée à Londres.
Le capitaine ne fit aucune
difficulté. II donna à Mottel une cabine de première classe
sur le pont le plus élevé (elle disposait même d'un hublot),
et chargea son propre garçon de cabine de prendre soin du passager.
ADIEU, DIAMANT...
Le départ eut lieu,
bientôt ce fut la haute mer. Mottel était heureux. Cela l'émerveillait
de penser aux changements que ce fragment de matière brillante avait
apportés dans sa vie. Il le tirait souvent de sa poche et le contemplait,
ravi; il le mettait face au soleil qui pénétrait par le hublot
et inondait sa cabine; il le caressait. Il aimait l'avoir devant lui quand il
prenait ses repas, persuadé qu'il l'aidait rien moins qu'à digérer.
Mais un jour, alors que
Mottel récitait son action de grâces après le repas, le
garçon entra, ramassa vivement la nappe avec les miettes quelle contenait,
et, en un clin d'œil, la secoua à travers le hublot ouvert. Parmi
les miettes, hélas, se trouvait aussi le précieux diamant...
Quand Mottel se rendit compte
de ce qui venait d'arriver, c'était trop tard, il n'y avait plus rien
à faire. Sans se démonter, il acheva son action de grâces,
puis s'assit devant la table, la tête entre les mains. " D.ieu
m'a donné, D.ieu m'a repris, que Son Nom soit loué ",
dit-il sur le ton de quelqu'un qui vient de perdre son enfant, mais qui s'y
résigne. Il réfléchit longuement, puis décida qu'il
ne dirait rien au capitaine jusqu'à leur arrivée à Londres.
UN ACCORD INATTENDU
Ayant donc besoin d'un homme de paille, il avait pensé à Mottel.
L'avenir ne lui parut jamais
aussi noir. Mais cela ne l'empêchait pas d'être persuadé
que D.ieu ne l'abandonnerait pas, il mettait sa confiance en Lui. Peut-être
Londres devait-il être la grande chance de sa vie ! Sait-on jamais...
Il réussit ainsi à repousser toutes les pensées tristes,
et continua la traversée avec la même bonne humeur qu'auparavant.
On eût dit que rien de fâcheux n'était arrivé. Le
capitaine lui souriait chaque fois qu'ils se croisaient, et le saluait avec
le même ton amical. Un matin, il rencontra Mottel qui se promenait sur
le pont, et lui annonça que si le temps demeurait aussi favorable, ils
arriveraient à Londres dans trois jours. Puis il l'invita à venir
dans sa cabine, car il voulait avoir avec lui un entretien sur un sujet important.
Le cœur battant, mais imperturbable d'apparence, Mottel le suivit.
Une fois qu'ils furent tous
deux bien installés, le capitaine commença par ce préambule
: " Je voudrais vous demander de me rendre un service; je m'empresse
d'ajouter qu'il sera profitable non seulement à moi, mais aussi à
vous. " Et il en entra aussitôt dans le vif du sujet, informant
Mottel qu'il transportait un chargement de minerai précieux qui lui appartenait
personnellement, en plus des marchandises qu'il transportait pour le compte
du roi. S'il arrivait à Londres avec ce minerai figurant comme sa propriété,
ce chargement lui serait confisqué sans autre forme de procès.
Ayant donc besoin d'un homme de paille, il avait pensé à Mottel.
II lui proposait de mettre
le chargement en son nom; sous cette étiquette, le minerai serait déchargé,
et également vendu. Rien de plus naturel qu'une substantielle commission
en fût la récompense. Et le capitaine ajouta que l'affaire devait
être menée avec la plus grande discrétion, et que sa confiance
en son passager était totale. Il assortit ce compliment d'une menace
non déguisée : si Mottel faisait la moindre tentative de le duper,
Londres, si vaste qu'il fût, serait insuffisant pour le cacher.
Et pour balayer toute éventuelle
hésitation de son interlocuteur, il conclut en lui faisant comprendre
que le prix du voyage et de la cabine était une bagatelle comparé
à l'affaire qu'ils allaient réaliser ensemble, et qu'on ne devait
plus en parler.
L'HÉRITAGE TOMBÉ
DU CIEL
Mottel, qui n'en croyait pas ses oreilles, accepta avec joie. Ses problèmes
financiers semblaient avoir trouvé leur solution, la situation prenait
une tournure décidément plus favorable.
Là-dessus le capitaine
exhiba un certain nombre de documents sur lesquels il inscrivit le nom de Mottel
comme propriétaire légal du chargement en question. Puis il les
lui tendit en précisant que deux semaines exactement après le
déchargement à Londres, il le rencontrerait à l'adresse
du diamantaire que lui avait donnée Mottel, pour entrer en possession
du produit de la vente, en laissant à ce dernier 10 % de commission.
D'abord D.ieu me donne un diamant qui représente une fortune; puis Il me l'enlève, et me donne à nouveau une grosse - une plus grosse - fortune.
A son arrivée à
Londres, Mottel se hâta d'aller trouver le diamantaire. Avec son aide,
le déchargement, puis la vente du minerai s'effectuèrent sans
encombre. Et les deux hommes partagèrent la commission fixée.
Mottel n'avait plus qu'à attendre le rendez-vous avec le capitaine pour
lui remettre ce qui lui revenait du produit de l'opération, et se libérer
ainsi de toute obligation.
Le jour du rendez-vous enfin
arriva. Mais Mottel eut beau attendre toute la journée et la soirée,
le capitaine ne vint pas. Le lendemain et le surlendemain n'eurent pas plus
de résultat.
Mottel se rendit au port
et s'enquit du capitaine disparu. Il finit par apprendre que quelques jours
après son arrivée à Londres, il s'était trouvé
engagé dans une rixe qui lui avait coûté la vie. "
Le vieux loup de mer ", comme on le nommait, était célibataire,
et on ne lui connaissait aucun parent proche ou lointain. Personne, d'ailleurs,
n'avait réclamé le corps. On lui conta beaucoup d'autres choses
au sujet du capitaine, mais elles n'intéressaient nullement Mottel. Tout
ce qu'il déduisait de ce malheur c'est qu'il avait tout bonnement "
hérité " la fortune du défunt.
Maintenant il était
même plus riche qu'il ne l'eût été si, le diamant
étant sa seule fortune, il ne l'avait pas perdu.
Quand il alla conter son
extraordinaire aventure au diamantaire, devenu son ami, ce dernier en fut ravi.
Mottel, lui, ne cessait de hocher la tête en murmurant: " Je n'arrive
pas à comprendre, je n'arrive pas à comprendre... "
- Qu'est-ce que tu n'arrives
pas à comprendre, Martel ? lui demanda le diamantaire.
- Explique-moi, je t'en
prie. D'abord D.ieu me donne un diamant qui représente une fortune; puis
Il me l'enlève, et me donne à nouveau une grosse - une plus grosse
- fortune
IL FALLAIT MÉRITER...
Le diamantaire, qui avait
aussi assimilé beaucoup de la sagesse de la Torah, répondit :
- Nul ne peut connaître
les desseins de D.ieu. Mais dans ton cas, peut-être pourrait-on trouver
l'explication suivante : tu n'avais rien fait de spécial pour mériter
le diamant ; c'était simplement un acte de grâce et de bonté
Divines, à ton profit et au profit de ta famille. Quand la possession
du diamant t'est, pour ainsi dire, montée à la tête, tu
semblais avoir oublié Celui, l'Unique, Qui te l'avait donné. Mais,
l'ayant perdu, tu n'as pas perdu, du même coup, l'espoir. Tu as mis ta
foi en D.ieu, et cela seul suffisait à te faire mériter la seconde
fortune, laquelle est non seulement plus importante que ne l'aurait été
la première, mais est aussi assurée de rester en ta possession
aussi longtemps que tu conserveras ta foi en D.ieu.