La lettre suivante fut adressée au directeur du périodique Intercom de l'association des Scientifiques Juifs Pratiquants.
Salut et bénédiction,
Bien que je ne vous connaisse pas personnellement, je prends la liberté de vous écrire, venant de recevoir la parution d'Av 5731 (Août 1971) d'Intercom contenant votre article. Il se trouve que je suis d'accord avec certains de ses thèmes. Ce qui me laisse espérer qu'en tant que directeur et membre influent de votre association vous serez en mesure de donner une nouvelle impulsion à l'association et à ses membres, et particulièrement d'aider à effacer certains préjugés qui, me semble-t-il, troublent encore quelques scientifiques juifs pratiquants.
CROYANCES SCIENTIFIQUES ET CROYANCE RELIGIEUSE : DE LA NECESSITé D'UNE COHERENCE
Lorsqu'un Juif déclare quotidiennement "L'Eternel est D.ieu et il n'y a rien d'autre que Lui", il est clair que cela concerne toute la journée et non pas une partie du jour.
En particulier, je trouve incompréhensible et regrettable que d'aucuns parmi les scientifiques juifs pratiquants continuent à manifester une attitude peu ferme vis-à-vis de la science ou de certaines théories scientifiques. Cela apparaît clairement aussi dans quelques articles du numéro d'Intercom mentionné et je l'ai observé également au cours de discussions personnelles avec des savants authentiquement religieux.
Pour m'exprimer de manière abrupte, certains scientifiques pratiquants semblent avoir honte de déclarer ouvertement leur adhésion à des points fondamentaux de la Torah tels que, par exemple: D-ieu créa Adam et Eve, qu'un miracle est défini dans la Torah, comme un événement défiant les ainsi nommées lois de la nature.
Lorsque je leur demandai sans détour comment ils conciliaient leur manque de conviction à l'égard d'aspects fondamentaux de la Torah avec ce que chaque juif croyant croit et professe, ils me répondirent qu'ils étaient arrivés à'compartimenter" leur journée -Prière et Torah, etc... formant un compartiment et la science un autre.
Il n'est pas besoin de dire qu'une telle attitude ne peut être soutenue. Car lorsqu'un Juif déclare quotidiennement "L'Eternel est D.ieu et il n'y a rien d'autre que Lui", il est clair que cela concerne toute la journée et non pas une partie du jour. De plus, un savant qui vivrait un tel dédoublement de sa personnalité constiturait une contradiction au concept d"hachem E'had" (D.ieu est un), tel que nos Sages interprètent "E'had". -Aleph, 'Heth, Daleth- à savoir qu'Aleph, c'est à dire Aloupho Chel Olam (le Maître du Monde), est effectif non seulement dans les sept cieux mais aussi sur terre (Heth: "huit"), et dans les quatres directions (Dalet) (Smag rapporté dans Beit Yosseph, Tour Ora'h 'Haïm, par. 61)
Quant à la question des miracles, et à la manière dont elle affecte la vie quotidienne, le point de vue de la Torah est clair:
"On ne doit pas, affirme-t-elle, compter sur un miracle". Mais, en même temps, elle demande à chaque Juif d'être imprégné de la foi absolue en le fait que D.ieu agit à travers la nature et, aussi, par dessus la nature. Cela est également le sens clair du verset: "Et l'Eternel, ton D.ieu, te bénira dans tout ce que tu fais". Il est nécessaire de faire (on ne peut donc seulement compter sur des miracles), bien qu'en dernier lieu, la bénédiction vienne de D.ieu. Penser autrement serait aussi contradictoire avec les trois prières quotidiennes.
En effet, les bénédictions du "Chmoné-Esré" sont clairement fondées sur la conviction que D.ieu interfère avec la nature, c'est-à-dire guérit les malades, bénit les récoltes, etc..., meme lorsque les facteurs naturels ne sont pas favorables. A moins de croire en la toute puissance de D.ieu et en l'intérêt personnel qu'il porte à la vie quotidienne de chaque individu, il n'y a aucun sens à prier vers Lui et Lui demander ses bénédictions.
Il est certain que lorsqu'un Juif se trouve dans un milieu de non-croyants, il lui est difficile d'affirmer sa différence. Mais cela aussi a été prévu par le "Choul'han Aroukh" (code des lois juives). Dès le début du tout premier volume, le Choul'han Aroukh pose le principe de base permettant l'observance de l'ensemble des lois qu'il contient: "Ne point tenir compte des personnes qui pourraient rire de nous dans notre service de D.ieu".
DU DETERMINISME à LA PROBABILITé SCIENTIFIQUE
Plus surprenant encore -et jusqu'à présent je n'ai encore reçu aucune réponse de ceux avec qui j'ai eu l'occasion de parler de ce sujet- est le fait que cette attitude de compromis ne s'harmonise pas du tout avec le regard porté par la science contemporaine.
En effet, si, il y a un siècle, lorsque les savants parlaient encore en termes de vérités absolues, il était "compréhensible" qu'une personne voulant adhérer à sa foi puisse éprouver de l'embarras à défier les prétentions "scientifiques", tel n'est plus le cas de nos jours. La science contemporaine ne prétend plus à des formulations absolues, la notion de probabilité règne maintenant en maître même dans les sciences pratiques s'appliquant à des expériences quotidiennes et usuelles.
Sans aucun doute pour l'origine de l'univers, de la vie sur terre et des espèces dont les Théories sont fondées sur la spéculation et l'extrapolation : mais plus encore, dans le domaine des sciences exactes même, tout dépend des hypothèses émises (Si l'on pose que... alors.., Cela entraîne..., etc...) les savants ne traitent pas de certitudes.
Le principe d'incertitude d'Heisenberg a fini par avoir raison de la notion scientifique traditionnelle voulant que cause et effet soient automatiquement liés.
On devrait rappeler à notre scientifique Juif pratiquant qui se sent encore embarrassé à propos de quelques vérités "démodées" de la Torah, face aux "hypothèses" scientifiques, que le principe d'incertitude d'Heisenberg a fini par avoir raison de la notion scientifique traditionnelle voulant que cause et effet soient automatiquement liés. A tel point qu'il est maintenant tout à fait contraire à l'esprit scientifique de soutenir qu'un événement est la conséquence inévitable d'un autre plutôt que simplement plus "probable".
La plupart de savants ont reconnu ce principe d'incertitude (énoncé par Werner Heisenberg en 1927) comme étant inhérent à l'univers tout entier.
L'attitude dogmatique déterministe et mécaniste du 19ème siècle a disparu. Le savant moderne ne prétend plus trouver la vérité absolue dans la science. Le point de vue couramment et universellement accepté par la science elle-même est que celle-ci doit se ranger à l'idée que quels que soient les progrès qu'elle accomplit, elle ne traitera que de probabilités et non de certitudes et d'absolu.
Il n'est pas besoin de dire qu'il n'est nullement dans mon intention de sous-estimer la science, qu'elle soit appliquée ou fondamentale. En effet, la Torah reconnaît à la science, dans certains domaines tout au moins, une validité bien plus grande que celle que la science contemporaine elle-même ne s'attribue. La Loi Juive considère les découvertes scientifiques, dans de nombreux cas, non pas comme étant possibles ou probables mais bien au contraire comme étant certaines et vraies. Il n'est sûrement pas besoin de vous persuader à ce propos .
A la lumière de ce qui vient d'être dit, il n'y a pas de raisons profondes, d'aucune sorte qu'elles soient, à ce qu'un savant Juif soit gêné, puisque la science moderne ne peut légitimement (et j'emploie le terme "légitimement" même du point de vue de la science elle-même) s'opposer à la Torah du Sinaï.
LA RéiNTERPRETATION BIBLIQUE OBSOLèTE
La tentative de donner une nouvelle interprétation du texte de la première section de la Genèse en affirmant qu'elle parle de périodes ou d'ères au lieu de jours ordinaires est non seulement injustifiée, mais elle signifie aussi que l'on porte atteinte à la mitsvah du Chabbat elle-même.
Cela implique qu'il n'est nul besoin, même si cela part d'une bonne intention, de tenter de "réinterpréter" des passages de la Torah dans le but de les concilier avec une théorie scientifique, sans parler des réinterprétations qui font violence à la lettre et au sens de la Torah.
C'est ainsi, par exemple, que la tentative de donner une nouvelle interprétation du texte de la première section de la Genèse en affirmant qu'elle parle de périodes ou d'ères au lieu de jours ordinaires, ou en appliquant sans discernement l'expression "la Torah parle le langage des hommes" etc. est non seulement injustifiée, mais elle signifie aussi que l'on porte atteinte à la mitsvah du Chabbat elle-même qui équivaut à toute la Torah. En effet, si l'on sépare les mots "un jour" de leur contexte et de leur sens propre, on abroge, ipso facto, l'idée toute entière de Chabbat en tant que septième jour inscrite dans ce même contexte. L'idée même de l'observance du Chabbat est fondée sur l'énoncé clair et sans équivoque de la Torah: "Car D.ieu fit le ciel et la terre en six jours et le septième jour il cessa son travail et se reposa": 'jours" et non "périodes".
De telles tentatives d' "interprétation" de la Torah sont, bien sûr, l'héritage démodé du 19ème siècle, alors que, face aux vues dogmatiques et déterministes de la science qui prévalaient à cette époque, naquit toute une littérature dont les auteurs, bien intentionnés, voulaient se faire les avocats de la religion, comme certains Rabbins qui ne voyaient d'autre moyen de préserver l'héritage de la Torah parmi leur communauté "éclairée" que de donner de "légères" -et fallacieuses- interprétations de la Torah, afin de les faire coïncider avec le point de vue ayant cours dans le monde. Il ne fait pas de doute qu'intérieurement ils savaient qu'ils suggéraient des interprétations de la Torah en désaccord avec Torath Emeth, la Torah de vérité, mais, au moins, ils avaient le sentiment qu'ils n'avaient pas d'autre alternative. En revanche, il n'existe certainement plus aucune justification, de quelque nature qu'elle soit, à perpétuer ce "complexe d'infériorité". Il est certain qu'il n'y a plus lieu de s'en tenir à une manière de voir qui a disparu des livres de science, même périmés, des classes primaires et secondaires.
Certains savants juifs n'ont pas réussi à se libérer des entraves du 19ème siècle et du complexe d'infériorité. Il est tout à fait sûr que notre époque est mure pour qu'ils se resituent.
Il est accablant de penser que ceux qui devraient se faire les champions du point de vue de la Torah et ses défenseurs, spécialement dans la jeunesse juive en général et la jeunesse universitaire en particulier, montrent de la timidité ou même de la honte à la mettre en avant. Cela est d'autant plus regrettable précisément de nos jours, alors que la science s'est extirpée de sa gangue médiévale et a reconnu le principe d'incertitude d'Heisenberg etc..., ce qui permet si facilement à un scientifique Juif pratiquant d'épouser le point de vue de la Torah, avec courage et fermeté, sans craindre la contradiction. Malgré cela, certains savants juifs n'ont pas réussi à se libérer des entraves du 19ème siècle et du complexe d'infériorité. Il est tout à fait sûr que notre époque est mure pour qu'ils se resituent.
J'espère et je suis certain que vous userez de votre bonne influence afin que les articles devant paraître dans les prochaines éditions d'Intercom soient imprégnés du point de vue de la Torah et que la même approche se reflète dans toute les conférences publiques et les discussions privées.
En adhérent de très près à la Torah, Torah de vérité, on peut être assuré de marcher sur le chemin de la vérité et la vérité n'admet pas de compromis. J'espère sincèrement que vous vous engagerez dans cette direction avec vos collègues ("les paroles qui viennent du coeur entrent dans le cœur", spécialement un cœur Juif), et que vous rencontrerez une réaction de disponibilité, en terme d'action, car l'essentiel est l'action.
Puis-je conclure sur une remarque qui ne se veut, bien sûr en aucune manière dépréciative: que chaque Juif engagé dans un quelconque domaine scientifique soit désigné comme un "Juif vraiment croyant ainsi qu'un savant" plutôt que comme un "savant et aussi un Juif croyant".
Avec ma bénédiction.