LA CRISE DANS LE DOMAINE DE LA HAUTE-TECHNOLOGIE
Quand elles essayent de rester à flot, l'un des seuls moyens de réaliser des économies consiste à " dégraisser " les effectifs.
L'économie Internet se débat aujourd'hui dans la morosité. Avec l'éclatement de la bulle du NASDAQ, et la reconnaissance que beaucoup d'entreprises " high-tech " ne feront jamais de bénéfices, le soutien financier s'est tari. Alors que l'année d'avant les investisseurs jetaient de l'argent à n'importe qui avec un site suivi de : " .com " sur son papier à lettres, les entreprises d'Internet ont aujourd'hui du mal à trouver des fonds pour soutenir leurs projets. Quand elles essayent de rester à flot, l'un des seuls moyens de réaliser des économies consiste à " dégraisser " les effectifs.
Au cours du dernier trimestre de 2000, 42 000 salariés ont été licenciés en Israël, rapporte le Ministère de Travail et Bien-être Social, et cela ne fait que refléter une baisse au niveau mondial. Une étude récente réalisée par la Information Technology Association of America indique que les demandes de personnel dans les technologies de l'information ont diminué de 44% aux Etats-Unis, avec 425 000 créations d'emploi de moins que l'année précédente. Plusieurs entreprises réputées en Israël ont récemment dû licencier certains de leurs employés, ou même fermer complètement. Quand les licenciements ont commencé il y a plusieurs mois, les salariés qui étaient congédiés étaient réengagés rapidement par d'autres entreprises. Maintenant que beaucoup d'entreprises se débattent dans de graves difficultés financières et qu'il y a peu de créations d'emplois, le nombre de chômeurs est élevé.
Un rapport récent réalisé par Business Data Israel indique que 20 % des firmes israéliennes créées au cours des cinq années sont à " haut risque " de devenir incapables de respecter leurs engagements financiers, ce qui peut signifier que d'autres " dégraissages " sont en route.
Jacob Richman, programmeur en informatique, anime la liste " e-mail " et le site Computer Jobs in Israel, qui publie chaque semaine les offres d'emploi en Israël. Il affirme que le nombre d'abonnés à sa liste " e-mail " a enregistré, au cours des derniers mois, une augmentation significative.
" Je peux souvent voir ce qui va se passer avant que les journaux n'en parlent. Quand des gens commencent soudain à vouloir quitter une certaine entreprise, je peux dire que les membres du personnel de cette entreprise craignent pour leurs emplois. " Richman ajoute que sa liste, tout comme la presse, a également enregistré une chute importante dans les offres d'emploi. " Si vous ouvrez la presse d'aujourd'hui, vous y trouverez peu d'offres d'emploi. Les seules que vous verrez sont pour des formations professionnelles, ou émanent d'agences. "
Les restructurations sont devenues maintenant un problème international. Aux Etats-Unis, les premières entreprises à être frappées ont été les sociétés de " high-tech " tournées vers des prototypes, celles dont on savait qu'elles avaient des dirigeants inexpérimentés et de mauvais projets commerciaux. Cependant, à la suite d'une baisse globale dans les revenus de la publicité, beaucoup d'entreprises, y compris parmi les mieux cotées, comme Yahoo, le New York Times et le Wall Street Journal, ont dû renvoyer certains employés. La baisse dans l'Internet a aussi provoqué une diminution des demandes de matériels, ce qui a contraint beaucoup d'entreprises à se séparer d'une partie de leurs employés, y compris Cisco, Motorola et Intel.
LES PROBLEMES éTHIQUES
Beaucoup de situations lamentables pourraient être évitées si les entreprises pensaient assez tôt à l'impact de leurs initiatives.
Avant de décider comment réduire les coûts afin de faire face à leurs difficultés financières, les entreprises devraient penser à leurs valeurs, et agir conformément à elles. Le principe sous-jacent à toute réflexion d'une direction d'entreprise est que ses employés sont aussi des êtres humains. Ils ne sont pas des marchandises jetables, bonnes à être abandonnées sur le bord de la route au premier signe de difficulté. Les salariés sont des gens avec des familles à nourrir et des traites à payer. Les décisions de la direction affectent bien plus de gens que ceux qui sont inscrits sur des feuilles de paie.
Avant de prendre la décision de " dégraisser " les effectifs, les responsables devraient se demander : " Comment voudrais-je être traité si j'étais dans la même situation ? "
Quand cela est possible, les entreprises doivent tout faire pour éviter de licencier un grand nombre de gens. Mais quand c'est inévitable, il faut qu'ils essaient d'adoucir le coup autant que possible.
UNE PERSPECTIVE JUIVE POUR LES LICENCIEMENTS COLLECTIFS
Quand un employé loyal est licencié, l'employeur se doit de veiller sur ce qu'il deviendra.
D'un point de vue économique, le travail est une contribution au processus de production, tout comme les équipements ou les matières premières.
Le gestionnaire avisé choisit le mélange le plus économique de toutes les contributions afin de produire de la manière la plus efficace ce qui doit en être le résultat. Cependant, tout chef d'entreprise sait qu'il est beaucoup plus difficile de renvoyer un salarié dévoué que de se débarrasser d'un vieux camion. La raison en est simple : une entreprise qui réussit exige de ses salariés qu'ils fassent plus qu'obéir aux ordres d'une manière irréfléchie, mais qu'ils développent un sens de la loyauté et de dévotion à leur tâche. Elle souhaite en retour pouvoir récompenser cette loyauté toutes les fois qu'il est possible de le faire. L'une des manières de parvenir à cette fin est de se montrer généreux dans les indemnités de licenciement.
On trouve dans la Torah un parallèle saisissant, celui de la loi concernant les " gratifications " à offrir à son serviteur à la fin de ses années de service. " Et quand tu le renverras libre de chez toi, tu ne le renverras pas à vide. Gratifier, tu le gratifieras de ton menu bétail, et de ton aire et de ton pressoir, de ce en quoi l'Eternel, ton D.ieu, t'a béni, tu lui donneras " (Deutéronome 15, 13 et 14).
Cette imposition semble une charge très pesante ; aussi la Torah donne-t-elle une explication :
" Ce ne sera pas dur à tes yeux de le renvoyer libre de chez toi, car au double de l'engagement d'un homme à gages il t'a servi six années, l'Eternel, ton D.ieu, te bénira dans tout ce que tu feras " (Deutéronome 15, 18).
Un salarié qui compte de nombreuses années dans une entreprise, tout comme un serviteur de longue durée, ne peut être comparé à un travailleur temporaire. Les liens qui se nouent entre lui et son employeur font qu'il travaille au-delà des exigences strictes de son emploi.
D'un point de vue technique, la loi sur les " gratifications " ne s'appliquent qu'au serviteur de longue durée. Cependant, le commentateur médiéval auteur du Séfèr Ha'hinoukh indique que le principe éthique sous-jacent s'applique aussi à un salarié ordinaire : " Même aujourd'hui, la personne sage doit faire attention et tirer la conclusion correcte. S'il a loué pendant une longue période, et même pour un temps bref, les services d'un autre Juif, il doit lui donner à son départ une gratification sur ce dont D.ieu l'a béni " (mitsvah 482).
Autrement dit, quand un ouvrier loyal est licencié, l'employeur se doit de veiller sur ce qu'il deviendra.
Il est intéressant, à ce sujet, de souligner la nature des marchandises offertes à titre de " gratifications ". Le Talmud explique que les exemples de " menu bétail, aire et pressoir " ont été spécialement choisis, parce que ce sont des articles qui aideront le salarié à se créer une situation indépendante, alors que l'obligation n'est pas exécutée avec de l'argent. (Qiddouchin 17a.)
Les entreprises les plus performantes ont une politique consistant à favoriser l'embauche par d'autres sociétés des salariés qui perdent leur emploi par suite de " dégraissages ".
Cette politique se situe dans l'esprit des " gratifications " prescrites par la Torah. Elle exprime la reconnaissance de la loyauté du salarié qui a un long passé dans l'entreprise, et l'aide à se créer un nouveau gagne-pain maintenant que son ancienne situation a pris fin.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN