Montagnes russes et films
d'horreur. D'où vient cet attrait pour la peur qui fait que nous allons
jusqu'à payer pour la ressentir ? N'y a-t-il pas dans cette émotion
un élément positif et utile, une sorte d'intensité dont
on pourrait tirer parti ?
En Hébreu, le mot
Yrah signifieà la fois " vue " et " crainte "
comme pour montrer la nécessité qu'il y a de considérer,
de voir les options qui se présentent en craignant les conséquences
d'un manque de lucidité.
La peur des conséquences
est ce qui nous pousse à agir quand et comme il faut.
Quand on demande à
un enfant : " Tu peux sortir la poubelle, s'il te plaît ? "
il répond : " Tout à l'heure ! " Par contre,
si on dit : " Si tu ne sors pas la poubelle, tu peux renoncer au jouet
que je t'ai promis " on a de bonnes chances qu'il se précipite
sur le sac à ordures !
Comme tous les sentiments,
la peur est à la fois bénéfique et néfaste. Son
côté néfaste est l'inertie qu'elle peut engendrer, son côté
bénéfique est l'euphorie qu'elle libère. Il existe dans
le sang, une hormone qu'on appelle l'adrénaline qui fait circuler le
sang dans les veines et agit sur les muscles. En situation de danger, c'est
elle qui fait que vous prenez vos jambes à votre cou et que vous êtes
soudain capable de franchir un mur de deux mètres comme un champion olympique.
La peur a la vertu de vous faire descendre de votre nuage pour vous ramener
à la réalité.
Chaque jour, nous sommes
confrontés à des choix, c'est le grand combat de l'existence.
En général nous préférons aller au plus simple sans
penser au retombées. Voir ou ne pas voir, voilà la question qui
se pose au Juif.
Craindre ce qui n'a pas
de sens
Ceux qui vivent aux Etats-Unis
se souviennent d'une émission de télévision qui se passait
dans un supermarché où les participants avaient dix minutes pour
remplir leur chariot d'un maximum d'articles. On voyait les concurrents courir
dans les allées à la recherche des articles les plus chers. Il
aurait été idiot de ne prendre que des paquets de lessive.
C'était un peu une
métaphore de la vie elle-même où nous avons le choix entre
vivre pleinement chaque instant et gaspiller son temps à des stupidités.
Pourtant, la vie c'est du sérieux.
La vraie peur de l'homme
est une vie dépourvue de sens. Chacun veut faire quelque chose de sa
vie, aider les autres, changer le monde. Essayez de dire tout haut : "
Je suis médiocre et content de l'être. " Ca ne passe
pas, n'est-ce pas ?
Parfois on se dit : " A quoi tout cela mène-t-il ? "
Mais dans ces moments de lucidité que faisons-nous ? Le plus souvent,
nous nous enfouissons la tête dans le sable. Nous courons faire une partie
de tennis, ou nous mettons un CD. On devrait pourtant avoir peur d'être
médiocre, de perdre l'estime de soi, de se réveiller un beau matin
en se disant : " Mais qu'est-ce que j'ai fait de ma vie ? "
Cette peur est en fait un
excellent moyen pour nous faire réfléchir sur les vraies priorités
de la vie. Alors, faites-vous peur !
La peur de la mort
Nous nous savons tous mortels,
pourtant nous arrivons parfaitement à nous convaincre que nous serons
l'exception. Il y aurait les mortels, et nous. Chacun au fond de lui nourrit
cette utopie.
Avez-vous déjà
perdu un ami ? Il avait 17 ans, il avait eu un accident de moto. Comment avez-vous
réagi ? Vous avez dit : " Ce n'est pas vrai, je lui ai parlé
hier ! C'est pas possible, il n'est pas mort, lui si plein de vie ! "
Dire " ce n'est
pas vrai " c'est en fait exprimer que vous ressentez une menace pour
vous-même. La mort existe bien pour vous aussi, puisqu'elle a frappé
là, tout près de vous, en la personne d'un copain. C'est que vous
soyez vous aussi mortel qui vous semble impossible.
Chacun d'entre nous peut
mourir dans la minute. Sans prédisposition cardiaque, sans antécédents
pathologiques. Un infime caillot dans le sang et tout est fini. On le sait,
mais on refuse d'y penser. Ca n'arrive qu'aux autres.
C'est souvent à l'occasion
du décès d'un proche que nous prenons conscience de la fragilité
de l'existence. Alors, on se dit : " Est-ce que j'utilise mon temps
pleinement ? "
Retournez-vous. Qu'avez
-vous fait de vos années ? Impression de flou ? Malaise ? Plus on viellit,
plus le malaise se précise.
Le compte à rebours
a commencé. Qui sait le nombre d'années qu'il nous reste à
vivre ? Un jour il ne restera plus qu'un an, qu'un jour. Alors il faut prévoir.
Les Sages de la Torah nous disent : " Un an avant ta mort, remets-toi
sur le chemin. "
Certains Juifs ont coutume de se rendre avant Rosh Hashana sur le lieu de leur
future sépulture, et cela n'a rien de morbide. C'est une manière
d'être clair : je suis mortel et voilà où je finirai. Alors
qu'est-ce que je souhaiterais qu'on grave sur ma tombe ?
Vivons chaque jour comme
s'il devait être le dernier, car un jour ce sera vrai.
Oublier la médiocrité
Quand on a pris conscience
que chaque jour pouvait être le dernier, on peut corriger sa façon
de vivre. On arrive à se débarrasser de la mesquinerie, des motifs
d'irritation, des chimères et des futilités.
Comment fait-on pour se
défaire de la petitesse ? Imaginez : vous avez un querelle avec un de
vos parents et vous découvrez qu'il n'a plus qu'une journée à
vivre. Que faites-vous ? Evidemment, vu sous cet angle… C'est souvent trop
tard que nous comprenons la valeur de nos parents. Nous regrettons alors de
ne pas les avoir mieux traités et entourés. Si vous gardez bien
cela à l'esprit, plus jamais vous ne vous querellerez avec vos parents,
ou ne tiendrez rancune à un frère.
Si vous même vous
saviez condamné, votre relation à l'autre serait différente.Vous
ne perdriez pas votre temps à des conversations stériles. La vie
vous serait trop précieuse pour en perdre une seconde à de petites
choses.
Faites-vous un atout de
la crainte de perdre ce qui vous est précieux. Imaginez un instant que
vous perdez la vue et l'espace de quelques minutes, marchez les yeux fermés,
ou bien, imaginez que vous devez mourir demain. A quoi consacreriez-vous aujourd'hui
? A des futilités ou essaieriez-vous de le remplir de choses plus essentielles
et plus éternelles ? Sentez-vous cette intensité de vie que fait
naître la peur ?
La crainte de D.ieu
Un des premiers commandements
de la Torah est la crainte de D.ieu Cette mitsva est en fait un devoir de prise
de conscience de la réalité et d'appréhrension des conséquences
de nos actes.
Imaginons qu'au moyen de
caméras braquées sur nous en permanence, le monde entier soit
témoin de nos actes. Chaque bonne action serait applaudie et chaque faux
pas hué.
Il est certain que nous
essaierions de nous conduire le mieux possible. Ne serait-ce pas une incitation
à progresser ?
Vivons avec la conscience
permanente de D.ieu. Chaque action est réellement enregistrée
quelque part. Un jour nous devrons répondre de ce que nous avont fait
de nos vies.
Utilisons la peur de ce
jour comme un moteur de progrès.
Evidemment ce n'est pas
si simple. La nature humaine est ainsi faite qu'elle se laisse détourner
de la voie positive. Il y a en l'homme une tendance à douter de soi-même
qui s'appelle le yetser hara. A la manière d'un chien méchant,
il menace : " Tu en fais trop. Tu te fais du mal, tu n'y résisteras
pas". Et sous l'effet de ces arguments, nous nous limitons.
La crainte de D.ieu est
pourtant un moyen de se libérer. Quand on la possède, rien ne
fait plus obstacle. Le chien méchant n'est rien à côté
de la crainte de D.ieu. On avance et aucune peur ne nous atteint.
La crainte de D.ieu nous
permet de réussir. Alors, qu'est-ce qui nous retient ? Des préjugés
peut-être.
Préjugé
n°1 - La peur est douloureuse
D'un côté,
la peur est un sentiment pénible et redoutable. Au cours de son évolution,
l'individu se structure dans le but de l'éviter. D'un autre côté,
la peur nous attire et nous la recherchons au travers d'activités qui
procurent des sensations fortes !
Comment expliquer ce paradoxe
?
Il est faux de croire que
la peur est douloureuse. Certes elle est désagréable, mais elle
peut également donner du plaisir. Celui qui saute en parachute éprouve
une sensation d'euphorie sans doute dûe au sentiment d'échapper
à la mort. Le danger, c'est la réalité. Soudain la vie
est palpitante.
Contrecarrez le malaise
de la peur en vous focalisant sur ses aspects positifs. Chaque instant sera
vécu avec conscience et enthousiasme. Rassemblez vos forces. Utilisez
votre potentiel. La peur est motivante. Avoir peur est formidablement palpitant
!
Voyez, les gens dans les
montagnes russes. Ceux de la première voiture rient, s'amusent, ils semblent
jouir du bonheur d'être en vie. Ceux du deuxième rang sont un peu
moins gais, ils ne sont pas tout à fait déconnectés de
leurs soucis. Quant à ceux des rangs suivants, ils semblent presque absents.
C'est normal, la peur est moins forte dans les voitures de queue.
Sans la peur, la vie serait
un long fleuve trop tranquille. C'est ce qui fait que certains aiment prendre
des risques. Pour les uns ce sera un coup financier, pour les autres ce sera
un exploit sportif, la motivation est la même.
Pour vivre pleinement, il
faudrait constamment se sentir sur un fil.
Préjugé
n°2 - La peur est inhibante
On pense généralement
que la peur est inhibante et réduit les potentiels.
C'est en fait tout le contraire.
On sait tous ce que le danger peut nous faire accomplir. Pour sauver son enfant,
une mère trouvera les forces de soulever une voiture. La peur est énergisante,
elle libère en nous des forces inattendues.
Elle n'est mauvaise que
si on la fuit. Imaginez que vous assistiez sans bouger au passage à tabac
d'une personne par des voyous. Cela vous tourmentera chaque fois que vous y
repenserez. Si vous tournez le dos au danger au lieu d'intervenir, vous en aurez
le remords permanent. Alors que si vous intervenez, ou si vous vous battez au
risque de prendre quelques mauvais coups, vous serez content de vous. Vous aurez
eu très peur, mais vous aurez fait votre devoir. C'est cela la vraie
satisfaction.
Il vaut mieux essayer et
échouer qu'avoir peur de faire face.
Un choc affaiblit mais non
la peur. Les gens qui ont des métiers dangeureux le savent. La peur les
tient en alerte et leur fait prendre des décisions rapides et appropriées.
Cela doit être pareil
dans la vie.
Renoncer au défi
Bien souvent nous renonçons
à nous surpasser par peur de l'effort. Si on vous demandait par exemple
d'apprendre une page d'annuaire téléphonique en 24 heures, vous
diriez que c'est impossible. Mais si on vous le demandait avec un révolver
sur la tempe pour ce soir même, nul doute que vous le feriez.
Autre exemple pratique. Est-ce que vous voulez sortir du lit d'un bond chaque
matin ? Bien sûr, mais c'est beaucoup d'effort. Mais si on venait vous
réveiller avec un fusil ?
Que la peur soit pour vous un moyen de combattre tous les " je peux pas
" qui vous empoisonnent. Faites une liste de ceux-ci et mettez-leur une
étiquette. Quelles en sont les récompenses et les conséquences
? Cette approche vous rendra plus efficace.
Préjugé
n°3 - La peur est une aliénation de la liberté
On évite la peur
en pensant préserver son indépendance d'esprit. On prétend
que si une pression extérieure dicte la façon d'agir, la personne
perd son libre arbitre et qu'il est préférable d'agir, certes
dans le bons sens, mais de son propre gré.
La peur du Tout-Puissant
n'a cependant rien à voir avec ce type de pression. Lorsque vous craignez
d'enfreindre la parole de D.ieu, vous libérez votre potentiel. Pourquoi
? Parce que D.ieu ne cherche pas à vous télécommander mais
à vous faire du bien. La crainte de D.ieu vous délivre de tout
ce qui est insensé, fausses peurs, médiocrité. Bref, elle
vous affranchit de toute autre peur sur terre.
La peur est aliénante
quand elle est exercée par quelqu'un qui veut prendre du pouvoir sur
vous. La crainte de D.ieu est la peur de ce qui est réel (c'est à
dire la peur de manquer une opportunité) et elle nous détourne
des erreurs. Nous souhaitons tous devenir meilleur, mais la paresse nous tire
en arrière. Le fait de redouter des conséquences néfastes
nous aide à lutter.
Au bureau, vous savez que
l'absentéisme c'est le licenciement assuré. Alors vous vous levez
à l'heure. Un étudiant sait que s'il ne travaille pas dur, il
échouera aux examens. Sans cette peur, réussirions-nous et nous
respecterions-nous ?
Nous aspirons tous à
grandir, à nous améliorer dans tous les domaines. La peur nous
y aide. Que l'enjeu soit de l'argent, ou la survie, grâce à elle
nous savons trouver les moyens de parvenir à notre but.
Préjugé
n°4 - La peur est un sentiment indigne
Certains pensent que si
un acte est juste, il faut l'accomplir parce qu'il est juste et non par peur
des conséquences. L'action sous l'effet de la peur serait dégradant.
Il est vrai que nous devrions
toujours agir dans cet esprit : faire ce qui est bien uniquement parce que c'est
bien et éviter de faire ce qui est mal parce que c'est mal. Et d'ailleurs,
nos Sages disent : " Celui qui sert D.ieu pour la récompense ou pour
éviter la punition, est un mauvais serviteur. " Car en effet, si
le démon lui promettait mieux, il serait prêt à le servir.
(En réalité seul D.ieu existe. Ce n'est qu'une manière de
montrer qu'une personne pourrait préférer le mal.)
Alors pourquoi la Mitsvah
de crainte existe-elle ? L'amour de D.ieu ne serai-il pas une motivation suffisante
?
Il est certain que celui
qui sert D.ieu par amour est à un niveau plus élevé que celui
qui le sert par crainte. Et nous ne devrions rechercher le bien que pour le
bien et non pas pour avoir le paradis. Mais il faut être réaliste,
l'amour est souvent insuffisant pour pousser au bien. Si vous êtes plus
efficace avec une récompense à la clé, prenez la récompense
et faites ce qui est droit.
Imaginez qu'un programme
soit mis en place pour accueillir des sans-abris. Naturellement vous y participeriez
gratuitement. Mais si l'on vous offrait 1000 F par sans-abri amené, ne
redoubleriez-vous pas d'effort ? La récompense vous aurait-elle corrompu
? Non, bien entendu, elle vous aurait donné plus de zèle que vous
n'en auriez eu en faisant simplement ce qui est bien.
Ajoutons qu'agir par peur
finira toujours par vous faire agir par amour.
Le réflexe de
la douleur
Tout être naît
avec la faculté de ressentir la douleur. Si l'on se brûle, on retire
insinctivement sa main. Certaines personnes sont dépourvues de ce sens
et ne ressentent rien quant on les brûle.
On est bien d'accord, la
douleur n'a rien d'agréable. Mais l'insensibilité à la
douleur est un danger grave. Sans ce réflexe l'intégrité
du corps serait sans cesse menacée.
La douleur est essentielle à la survie. La crainte de D.ieu a la même
fonction. S'il n'y avait la peur des conséquences, rien ne nous arrêterait.
La peur n'est pas un but mais un moyen. C'est elle qui nous retient de fauter.
Imaginez que vous parliez
avec une personne qui se mette à dire du mal des uns et des autres. Vous
savez que c'est mal d'écouter mais vous vous dites que ce serait impoli
de la planter là. En revanche, si vous saviez que vous deviez recevoir
un coup de bat de baseball pour avoir prêté l'oreille à
du lashon hara, vous n'auriez pas tant de scrupules et vous feriez ce qui est
à faire.
La peur de la punition est
comme le réflexe de douleur, elle nous empêche de faire ce qui
nous fera du mal plus tard. Elle vous mène là où il faut.
En résumé
Le seul but important dans
la vie est d'être lucide, et de vivre dans la réalité. La
réalité objective existe en dehors de notre perception.
La réalité
en soi est extrêmement palpitante. Elle nous réveille et nous donne
du recul. Comment pouvez-vous convaincre un fumeur d'arrêter de fumer
? En lui montrant une radio de ses poumons. La peur qu'il aura lui donnera la
liberté de rompre sa dépendance.
Et tout comme vous utiliserez
ce moteur pour vous-même, utilisez-le pour les vôtres et pour les
autres en général. Pensez à leur bien.
Les expériences d'autrui
doivent vous servir. Lorsque vous êtes témoin du malheur dans lequel
les gens se mettent eux-mêmes, tirez-en une leçon pour vous protéger
des mêmes dangers.
Des amis divorcent ? Ils
se déchirent, ils harcèlent leurs enfants. Apprenez à éviter
les pièges dans lesquels ils sont tombés pour protéger
les vôtres.
Ayez également peur
pour votre peuple. En 1967, alors qu'Israël a failli disparaître
on a vu les Juifs du monde entier manifester leur solidarité envers leurs
frères israëliens. Soit en proposant de l'aide financière,
soit en s'engageant militairement
Soyez conscient des risques
qui nous guettent. Rappelez-vous que le monde dans lequel nous vivons est un
volcan. Saddam Hussein n'a qu'à appuyer sur un bouton pour rayer Israël
de la carte. Utilisez cette peur pour raviver vos bons sentiments.
En quoi la peur est un
ingrédient la la sagesse
La peur vous fait faire
ce qui est bien et non ce que la société juge bien.
La peur vous relie à
votre propre mortalité. La peur de la mort est la plus puissante des
peurs.
La peur est l'exercice
du libre arbitre.
Redoutez de veillir sans
avoir rien fait de votre vie. En vivant comme si vous aviez tout le temps
devant vous, vous ne ferez jamais rien aujourd'hui.
La peur n'est pas limitative.
C'est le pouvoir et la liberté.
La peur vous fait sentir
100% de l'intensité de la vie.
Traduction et Adaptation de Béatrice Cohen-Solal