A travers les enseignements des Sages et à travers la littérature juive, depuis la Bible jusqu'aux récits des maîtres 'hassidiques, la beauté de la nature, l'importance de tout ce qui la compose et leurs effets spirituels positifs sur l'homme sont parfaitement clairs.
Cependant, l'importance de la nature et de tout ce qui la compose, jointe à sa beauté, ne doit pas nous conduire à des malentendus ni nous pousser à rechercher dans le judaïsme des choses qui ne s'y trouvent pas.
Il est facile, lorsque nous nous engageons dans des mouvements écologiques, de ne pas avoir conscience de l'élément d'idolâtrie constitué par l'âme ou par l'esprit du vent ou de l'eau. La nature est une création de D.ieu seul, de sorte qu'aucun des éléments qui la composent ne détient un pouvoir ou une valeur qui lui serait propre, au-delà de ce qui lui a été donné par le Créateur.
Il est très fréquent aujourd'hui que l'on considère l'homme simplement comme un partenaire à part égale avec les autres forces de la nature. Le judaïsme voit l'homme comme l'apogée de la nature, et tout le reste de la Création est là pour le servir et pour être utilisé à son profit.
Cela, cependant, ne permet pas le gaspillage ou la destruction injustifiée des forces de la nature. Il est vrai que l'homme est le maître de la création, mais selon la tradition juive, ces droits sont indissociables de ses obligations.
Les ressources naturelles nous sont données et il nous est permis de les utiliser, mais nous avons en même temps l'obligation de les ménager et de les tenir sous notre garde.L'homme n'a pas le droit de détruire sans motif des ressources naturelles, pas plus qu'il ne lui est permis de détruire ce qui lui appartient en propre.
Les Rabbins ont enseigné que celui qui détruit sa propriété, délibérément ou par colère, est comme s'il adorait des idoles.
INDIVIDUS ET COLLECTIVITé
La loi juive reconnaît à la collectivité, que ce soit celle des voisins riverains d'une même cour, celle des citoyens d'une ville ou celle de groupes " nationaux ", des droits qui doivent être protégés contre les atteintes portées par des particuliers.
Ce concept trouve son expression dans le droit que possède la collectivité de lever l'impôt, droit qui a pour résultat de prendre aux particuliers de quoi financer les besoins collectifs.
Elle a aussi le droit de limiter les activités d'individus ou de groupements qui endommagent l'environnement ou qui nuisent à la beauté de la collectivité.
En même temps, toutefois, et comme par symétrie, la loi juive prend grand soin de protéger les intérêts individuels contre les abus de pouvoirs commis par les plus forts. L'histoire économique mondiale est riche d'exemples d'empiètements abusifs commis par les pouvoirs politiques. On a vu des champs et des récoltes dévastés pour permettre les chevauchées des rois et des seigneurs.
Dans les Etats modernes, il faut prendre grand soin à ne pas détruire les prérogatives légitimes de l'individu, tout en protégeant la société contre les dommages écologiques que peut engendrer la croissance économique.
éCOLOGIE ET BIEN-êTRE éCONOMIQUE
Dans un Etat juif autonome, les lois sur l'occupation des sols auraient empêché cette situation
Certains des problèmes les plus complexes en écologie surgissent dans des cas où la protection de l'environnement entre en conflit avec le bien-être économique de la collectivité.
Il devient nécessaire, en dernière analyse, de décider dans quelle mesure la société doit consentir à des sacrifices au plan économique à seule fin de pouvoir goûter aux plaisirs de l'esthétique ou de bénéficier d'une eau et d'un air non pollués.
La réponse halakhique à ce conflit peut être presentée dans deux responsa.
La première est celle du Rachba, qui relève une différence importante entre une nuisance causée par l'activité économique d'un particulier et celle constituée par un dommage écologique réel.
Dans cette responsa, le Rachba évoque le cas où l'utilisation d'une cuisine dégageait des fumées et des mauvaises odeurs qui dérangeaient les voisins à l'étage au-dessus . Ceux-ci voulaient forcer l'utilisateur de cette cuisine à agir pour empêcher ces désagréments.
Le Rachba énonce que ce qui était arrivé dans ce cas était le résultat de la vie en commun, où les gens doivent s'attendre à subir un niveau " normal " de troubles de voisinage. Son point de vue s'appuie sur la règle selon laquelle on a le droit de travailler dans sa propre propriété même si cela cause certains désagréments à autrui.
De la même manière, une responsa moderne a permis à un médecin de recevoir ses patients à son domicile bien que cela causât une certaine gêne à ses voisins. En revanche, un médecin qui voudrait ouvrir une clinique ou un hôpital devra le faire sur un terrain à ce destiné, étant donné que son activité excédera " l'utilisation normale d'une propriété ".
La seconde responsa tranche dans un cas où des cuves utilisées pour teindre des textiles dégageaient des mauvaises odeurs, de sorte que les habitants de la ville désiraient qu'elles soient fermées conformément aux prescriptions de la halakha.
Le rabbin auquel la question a été posée a accueilli la demande dans son principe, tout en faisant observer que la ville dépendait de l'industrie textile pour son gagne-pain. L'intérêt public exigeait donc que les habitants de la ville dussent souffrir de dommages écologiques. Il n'était pas possible d'insister pour les fermer.
Une autorité postérieure a souligné que, dans un Etat juif autonome, les lois sur l'occupation des sols auraient empêché cette situation .
Malgré tout, il semble que la logique de la première responsa soit correcte, et que la dépendance économique d'une ville à une industrie puisse conduire les autorités halakhiques de permettre à de tels dommages écologiques de se perpétuer.
Il doit être très clair, toutefois, que cette considération d'ordre économique ne serait pas recevable dans un cas où il existerait un danger réel pour des vies humaines. Il n'est pas permis à quelqu'un de causer un dommage corporel ni à un autre ni à soi-même. On n'a pas le droit de se mettre en danger d'être physiquement menacé. Cela signifie qu'un employeur a l'obligation de fournir à ses ouvriers une protection efficace contre les blessures que pourraient leur causer les machines et contre les autres risques. Cela signifie aussi qu'un ouvrier n'a pas à effectuer un travail qui pourrait mettre sérieusement sa vie en danger. On n'a pas le droit de consentir à effectuer un travail dangereux moyennant un supplément de salaire. On pourrait très bien concevoir, dans le cas où une industrie ne pourrait pas fonctionner sans de tels risques physiques, qu'elle ne soit pas autorisée, selon la loi juive, à fonctionner du tout.
UN RISQUE RAISONNABLE
La recherche d'un point d'équilibre entre les besoins d'un développement économique et les coûts d'une protection écologique doit être examinée à la lumière du concept halakhique de " risque raisonnable ".
Il est exact que l'on n'a pas le droit de mettre sa vie ou sa santé en danger. La vie réelle recèle cependant des dangers même à l'occasion d'activités économiques normales.
Il n'est pas judicieux d'appliquer jusqu'à l'absurde l'exigence de sécurité. On pourra, en revanche, prendre un risque raisonnable pour permettre la poursuite d'un gagne-pain sans que cela transgresse le commandement biblique de : " Vous vous garderez soigneusement ", qui constitue une injonction contre la prise de risques de danger physique.
Ce concept de " risque raisonnable " fournit des directives tant pour des mesures financières que législatives destinées à protéger le bien-être physique et écologique des citoyens.
Aucune société au monde n'est capable d'investir dans tout ce qui peut être considéré comme écologiquement désirable, tandis qu'une législation exagérément tatillonne peut rendre impossible une croissance économique même raisonnable.
Il faut par conséquent définir des priorités pour permettre à la société de remplir ses obligations, fixer des règles pour lui assurer une croissance équilibrée.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN