Etant la première lettre
de son alphabet c'est elle qui nous introduit dans cette langue.
Mais, la lettre " Aleph
" est bien plus. Plus qu'une simple introduction, elle constitue, pour celui
qui saura la comprendre, une véritable initiation complète à l'Hébreu et c'est
par sa compréhension qu'on pourra accéder aux mystères de la langue éternelle,
de cette langue qui a précédé toutes les autres langues et qui en sorte est
la matrice de l'ensemble des langues.
La lettre "Aleph" ne se
prononce pas. C'est une lettre muette. Une lettre sans sonorité ou expression
orale. Son existence ne provient ni d'un mouvement de la gorge, ni d'un mouvement
des lèvres ou encore de la langue.
L'existence de cette lettre
provient uniquement de son silence. . . ; de ce qu'elle permet à d'autres lettres
de suivre et de ce qu'elle permet aux voyelles (qui dans la langue hébraïque
ne sont pas proprement des lettres) de s'associer à elle.
Pourquoi une lettre muette
? Pourquoi la langue hébraïque conserve-t-elle un signe qui, en fin de compte,
est une "non-lettre" ?
Vous allez me dire que bien
d'autres langues connaissent ce phénomène, comme la langue française qui possède
un " H " muet et un " E " muet, pour n'en mentionner que deux !
Toutefois, vous répondrai-je,
une très grande différence distingue le silence du "Aleph" de celui des autres
signes comme le " H " et le " E ".
Des lettres muettes, dans
l'ensemble des langues, n'existent pas intentionnellement. Ces lettres ne possèdent
point de valeur intrinsèque et par les lois de la linguistique elles sont appelées,
tôt ou tard à disparaître. C'est que les langues sont en mutation et en évolution
permanente. La langue parlée d'hier n'est plus pareille aujourd'hui et la prononciation
d'aujourd'hui n'est pas celle qu'elle sera demain. Orthographe, prononciation,
syntaxe et usage changent constamment et aux cours des siècles certaines lettres
ont perdu leur prononciation et, quoique lentement, l'écriture suit la nouvelle
prononciation.
La nature aime la brièveté
et elle a tendance à éliminer tout ce qui devient inutile. Ainsi, un jour, dans
une nouvelle orthographe, les " H " et " E " muets, et tous les autres muets
à leur tour, ne seront plus . . . (comme par exemple certains "S", dont il ne
reste plus que l'accent circonflexe en souvenir et qui lui même également disparaitra
en temps voulu).
Et voici ce qui est spécifique
au " Aleph " ; cette lettre est intentionnellement muette ! Et cette lettre
a toujours été muette ! Elle est muette car c'est ainsi que la langue hébraïque
la veut et car c'est ainsi que D.ieu a crée cette lettre. . .
Le "Aleph" est un caractère
de silence, un signe qui doit représenter le silence.
De surcroit c'est ce signe
qui est le tout premier des 22 caractères de l'alphabet hébreu. . . L'hébreu
est de sorte une langue qui commence par le silence !
L` il y a certainement de
quoi s'arrêter un instant. Il y a matière à réflexion pour les linguistes, les
sociologues et les philosophes ; les savants, n'ont-ils pas toujours débattu
la question du mystère de l'origine des langues ; convention ou création, évolution
naturelle ou imanation transcendante ?
Voilà l'originalité et le
caractère mystique du "Aleph" car, l'être humain, aurait-il eu -aurait il pu
avoir- l'idée de créer une lettre morte, une non-lettre, vaine et inutile ?
Si preuve est nécéssaire de l'origine divine du moins de la langue hébreu alors
ce sera la toute première lettre de son alphabet qui la fournira ; le "Aleph",
le caractère du silence qui précède les autres lettres, celles de la parole
!
Quel donc est la nature
du silence que cette lettre traduit ? De quelle sorte de silence le "Aleph"
se veut-il le représentant ?
Le silence du "Aleph" est
celui qui provient du nom de D.ieu, " ELOKIM ", ce nom qui commence également
avec cette même lettre et qui est à l'origine de tous les "Aleph" de l'Hébreu
dans la Torah.
Expliquons nous :
Selon la tradition juive
(Midrach Raba 1-18,31) c'est bien par la langue hébraïque que D.ieu créa l'univers
ce qui signifie que cette langue est celle de D.ieu !
Chaque langue posède son
génie propre, chaque langue est l'expression de la spécificité d'un peuple précis.
Chaque langue cristallise la nature unique d'une nation et ainsi en est il avec
l'hébreu.
L'hébreu, outre d'être la
langue de D.ieu, est la langue dans laquelle s'expriment les enfants d'Abraham
et la spécificité de ces enfants n'est elle pas d'avoir intégré la spiritualité
et le mystère de D.ieu dans la vie quotidienne ?
Le Juif de la Torah a, par
ses actes, ses "mitsvoth" et par ses gestes les plus communs et ordinaires,
introduit D.ieu dans sa vie de tous les jours. D.ieu n'est pas tangible, pas
visible et Il est sans limites.--Impossible d'exprimer convenablement Sa présence
dans ce monde-- Il est néanmoins la préoccupation constante et le sous-entendu
de chaque moment vécu par le peuple Juif !
Prenons par exemple un simple
geste comme l'acte de manger, activité du plus matérielle et physique ! L'homme
authentique de la création peut il un seul instant faire abstraction et oublier
la nature mystique de cet acte ; la nourriture matérielle et terrestre qui permet
à l'âme de résider dans le corps !? C'est la lettre "Aleph" au début du terme
hébreu pour manger "a 'hal", qui exprime cette conscience ! C'est le "Aleph"
de "Elokim", du nom de D.ieu qui est le sous-entendu permanent. La spiritualité
non visible et non prononçable des vérités bien cachées mais bien présentes
dans ce monde s'expriment subtilement à travers ce "Aleph", qui semble pouvoir
rehausser la qualité de tous nos actes les plus matériels.
Ainsi en est-il avec la
parole - en hébreu "amar" (= il a dit), parler, dire et raconter, quoi de plus
banal ? Pourtant le Juif est conscient de l'énigme de la parole et il sait évaluer
le sous-entendu spirituel tacite de toute communication. . . l'animal ne parle
point, l'homme possède la parole !
"Aleph" comme "Elokim".
. .
Le mot "Emeth", la vérité ,
commence également par ce "Aleph". . .
La vérité est bien une des
notions les plus déroutantes pour les hommes de tous les temps ; la vérité,
c'est quoi exactement - et existe-t-elle réellement ?
Est-elle subjective ou objective,
variable ou constante ? Y a-t-il une seule vérité ou chacun la sienne ?
En effet, il est juste que
si le sous-entendu constant la vérité est autre que D.ieu , alors cette idée
sera devenue une notion stérile, un terme qu'on manipulera comme bon nous semblera
!
" Emeth " ; d'abord le "Aleph"
de " Elokim". Le " Aleph" des choses qui ne peuvent pas être exprimées tangiblement
mais sans lesquelles il ne nous reste que la deuxième partie du mot hébreu,
" meth ", mot qui signifie effectivement "mort". . .
En hébreu chaque lettre
possède une valeur numérique. Il va de soi qu'en tant que première lettre de
son alphabet le "Aleph" représente le nombre un. En fait, il ne représente
pas simplement ce nombre, il est plutôt l'expression directe et la cristallisation
du nombre un.
" Aleph " comme " E'had
", (= un). " E'had " c'est l'Un, l'Unique et l'Unicité !
Ce monde est monde de pluralité.
Tant est la diversité sur terre et dans l'univers qu'elle peut être déroutant
! Mais le Juif sait que toute l'existence avec sa multitude d'aspects et visages
et avec toute sa diversité est à ramener à une seule cause ; l'Un et l'Unique
et c'est cela le "Aleph" d' " E'had " et d' " Elokim ".
Comme nous le voyons, le
"Aleph" est loin d'être une lettre morte ! En effet, il est justement la "néchama",
l'âme de l'alphabet hébreu et c'est lui qui anime cette langue en insufflant
l'immanence divine à toutes ses lettres et à tous ses mots !
Ainsi nous comprendrons
mieux un des termes des plus difficiles de tout vocabulaire. Il s'agit du mot
"je". C'est habituellement le mot le plus utilisé dans chaque conversation.
Ceci a amené à ce qu'on se pose la question troublante à savoir jusqu'où va
l'égocentrisme de l'être humain.
L'homme qui parle toute
la journée de lui même, pense constamment à lui-même pour qui le "je" est le
départ de toute réflexion, de toute expirience et de toute conscience , est
il en définitive, un être introverti et animal qui reste après tout imité par
lui-même ?
Le "je", n'a-t-il pas cette
chose inquiètante, cette chose effrayante ? Le " je ", ne semble-t-il pas exclure
tout le reste ?
Toutefois, le "je" hébreu,
l' " ego " de la création, commence également par un " Aleph ". C'est le " Ani
", qui est la conscience d'une vérité tacite et même lorsque le Juif parle de
lui-même il vit avec ce sous-entendu extra-ordinaire ; quelque part, lointain,
en dessous de toutes les apparences et loin du visible c'est toujours D.ieu
qui est le point de départ de l'homme. C'est Lui qui nous anime et c'est avec
Son étincelle divine que nous parlons, discutons, communiquons et existons.
Le " je " authentique de
la création est un " je " où l'expérience existentielle reste universelle et
cosmique, un " je " métaphysique qui commence dans le Ciel et c'est uniquement
l'origine divine de ce "je" qui habille les actes, gestes et pensées des gens
simples que nous sommes d'un sens réel et éternel.