Cet article n'est que la description globale de l'approche spécifique de la Tradition Hébraïque. Nous nous limiterons à en dégager la philosophie pour ce qui concerne la tétralogie : Maladie, Malade, Médecin, Bien portants.
LA MALADIE : tradition Hébraïque et Sciences
Les textes de la tradition hébraïque ne sont pas des traités scientifiques. Les allusions à la maladie et à la médecine n'y sont qu'opportunes. On précise d'ailleurs dans Deutéronome XXVIII, 61 que toutes les maladies ne sont pas citées dans la Bible "...toutes les maladies et fléaux qui ne sont pas inscrits dans ce livre de lois...". Enfin lorsqu'elles sont citées, c'est le plus souvent pour apprendre ou approfondir une loi.
Tradition Hébraïque et Foi
"Tout vient du Créateur, sauf la crainte du Créateur". Cette sentence explique que la Torah voit la main du Créateur, même dans la chute d'une feuille en automne, de l'instant de sa chute, de son nombre de tourbillons et de l'endroit où elle se pose. La loi naturelle de l'attraction universelle n'est pas pour autant niée. Bien au contraire, si y = 1/2 gt2 et que la feuille d'automne se plie à cette règle, c'est selon l'enseignement de la Tradition Hébraïque, parce que le Créateur a conçu ces règles et que c'est par Sa volonté permanente qu'elles existent.
Ce raisonnement s'applique à la maladie ; sa survenue dépend des lois naturelles mais il faut également y "voir" la "main du Créateur".
L'approche originale
La Tradition hébraïque a une vision particulière du monde en ce sens où elle n'est pas à la poursuite du 'comment' mais plutôt du 'pourquoi'
Tous les textes fondamentaux de la Tradition Hébraïque datent d'une époque ou la physiologie des maladies était totalement inconnue. C'est justement la particularité de la Tradition Hébraïque de ne pas s'y intéresser, ou seulement de manière opportune, au détour d'une discussion pour comprendre une loi. Elle a une vision particulière du monde en ce sens où elle n'est pas à la poursuite du "comment" mais plutôt du "pourquoi". Et ce sera vrai dans tous les domaines.
Saisir cet aspect est pour qui veut comprendre le sens de la Tradition Hébraïque, fondamental.
Contrairement à la physiologie et à toutes les sciences qui aspirent à découvrir le "comment", elle, dont le but n'est pas scientifique, aspire au "pourquoi". Il est vrai que jusqu'au XXème siècle, l'humanité n'avait que peu progressé dans sa compréhension du comment. Chaque époque attribuait pour expliquer ce comment, ce que son imagination, sa culture, ses angoisses et le niveau de sa science lui dictaient.
Retenons, concernant la Tradition Hébraïque, son approche essentielle et spécifique : comprendre le pourquoi des choses sans bien sûr négliger le comment. Et pour ce qui nous intéresse, pourquoi la maladie ?
Comment la Tradition Hébraïque appréhende-t-elle la Maladie ?
Pour la Tradition Hébraïque, la maladie c'est peut-être aussi un moment de réflexion qui devrait servir à faire le point.
Pour la Tradition Hébraïque, le Créateur ne peut être source du "mal". Ainsi, la maladie, ne devra pas être considérée comme un mal qui atteint mais comme un moyen utilisé par le Créateur pour "parler", "retenir l'attention" ou se "préoccuper" de sa créature.
C'est souvent évoqué comme un moyen, lors de la désobéissance du peuple ou des individus à la Loi. En fait la Loi permettrait entre autres choses, de protéger le peuple et les individus de toutes sortes de maladies, et s'en écarter est considéré comme se mettre en danger.
Parfois de manière plus pragmatique, la maladie est évoquée à la suite d'imprudence ou de comportements à risques. Les facteurs pathogènes existent et ont été conçus par le Créateur, mais il faut s'en protéger. Personne ne peut se permettre de se mettre en danger en affirmant : "Si le Créateur ne veut pas que la maladie m'atteigne, elle ne m'atteindra pas !". Cette prétention à demander au Créateur de changer les Lois de la nature qu'Il a créée est plus que déplacée comme insiste le Talmud Baba Batra 14b " Tout est entre les mains du ciel sauf le froid et le chaud". Cela veut dire clairement que ceux qui sont trop légèrement vêtus l'hiver ou trop chaudement l'été seront tenus pour seuls responsables de ce qui leurs arrive et certainement pas le ciel ou la désobéissance éventuelle à la Loi.
Pour la Tradition Hébraïque, la maladie c'est peut-être aussi un moment de réflexion qui devrait servir à faire le point, à se remettre en question, à s'analyser et analyser sa vie.
Enfin, s'il est vrai que le ciel (le Créateur) envoie la maladie, celle-ci ne doit pas être acceptée sous prétexte de soumission. Il faut tout faire pour combattre les maladies, c'est plus qu'une autorisation, c'est un devoir pour la Tradition Hébraïque.
LE MALADE : la responsabilité individuelle.
Nous l'avons vu, une imprudence ou un comportement à risques peut conduire à la maladie. Dans ce cas l'individu est seul responsable car il est interdit de compter ou même d'espérer des miracles (changement des lois de la nature) pour sa personne.
La remise en cause de soi.
Pour la Tradition Hébraïque tout malade doit se remettre en cause et chercher ce qui dans sa conduite ou dans son comportement peut en être responsable. Il doit se souvenir de ses fautes et tout entreprendre pour se repentir. Son état doit toujours provoquer en lui la réflexion.
La notion difficile d'expiation.
Bien que le Créateur ne soit jamais pour la Tradition Hébraïque source de "mal", la maladie est tout de même perçue comme une grande souffrance à tout malade. Cette souffrance lui sera décomptée en expiation lors du jugement dernier car pour la Tradition Hébraïque, chacun rendra des comptes sur toutes les actions entreprises dans sa vie. Les souffrances endurées auront cependant valeur d'expiation et pourront le rendre quitte dans une certaine mesure.
La notion encore plus difficile d "'épreuves" (ou de souffrances) par amour
Certains êtres exceptionnels dans certaines situations exceptionnelles, peuvent avoir à passer des épreuves dans le seul but de leur élévation spirituelle. II n'est pas possible de développer cette notion dans le cadre de cet article.
Du devoir de s'occuper de soi
La Tradition Hébraïque impose de suivre les règles communes et considère "naturel" de consulter les médecins. Le malade qui ne le ferait pas en rendra compte et son attitude, jugée "imbécile", sera estimée condamnable. De même, la Tradition Hébraïque interdit par excès de piété de donner la primauté à Chabbat (jour sacré) sur les soins à prodiguer à un malade gravement atteint. Le malade doit entendre raison, sinon on le forcera à se soigner. Pour Kippour, (jour sacré et jeûne du Grand Pardon, ) le malade ne doit pas faire du zèle. Si ses médecins jugent que le jeûne le met en danger, il est interdit au malade de respecter ce jour: il serait considéré comme responsable de ce qui lui arriverait. Dernier exemple dans le même esprit, si le traitement nécessite que le malade gravement atteint ingurgite des produits non cachers (interdits à la consommation dans la Tradition Hébraïque), celui-ci ne peut les refuser, car sa vie est un jeu.
De la connaissance du vrai thérapeute
Le médecin apprend puis utilise l'art de soigner et parfois de guérir. Mais, si le malade se doit de le consulter, il doit savoir que la guérison véritable ne viendra que du ciel et non du médecin ou de la thérapeutique.
En effet, pour la Tradition Hébraïque, la guérison véritable ne vient qu'après avoir demandé la miséricorde divine au Créateur comme il est dit Deutéronome XXXII, 39 "...c'est Moi qui fait mourir et qui fait vivre, qui frappe et qui guérit..." et encore Exode XV, 26,"...car je suis l'Éternel qui te guéris".
De l'importance de la vie et de la santé.
Ne surtout rien faire qui puisse détériorer ou raccourcir d'un seul instant sa vie ou encore dégrader son corps.
La préservation de la vie est de la santé et une des bases de la Tradition Hébraïque. Il est écrit (Deutéronome IV 15) : "Vous préserverez vos vies!". Ainsi, chacun et le malade en particulier, doit prendre soin de sa santé.
La vie a une valeur infinie et tout doit être entrepris pour la préserver et l'améliorer. (Il existe trois exceptions à cette règle ou l'on pourra mettre sa vie en jeu, c'est l'idolâtrie, le meurtre et l'inceste).
Plus encore, c'est un principe de la Tradition Hébraïque : ne surtout rien faire qui puisse détériorer ou raccourcir d'un seul instant sa vie ou encore dégrader son corps et au contraire s'efforcer d'accomplir tout ce qui pourra le parfaire.
A titre d'exemples nous pourrions citer parmi les facteurs détériorant la santé et qu'il faut éviter ; le tabac, l'alcool, les drogues, l'alimentation trop riche, l'obésité, la colère. l'envie , l'orgueil, le matérialisme ou le stress. C'est ce que nous appelons en médecine "les facteurs de risque".
Pour ce qui est des conseils pour améliorer la santé, nous pouvons mentionner le sport, des horaires raisonnables, un régime alimentaire sain, la tranquillité, la fréquentation des gens de valeur, un bon sommeil, l'absence de peurs et enfin la joie de vivre.
Enseignements du Talmud
'Je ne veux ni des souffrances, ni des récompenses !'
Dans Bérah'ot 55a, Rabbi Yéouda au nom de Rav enseigne l'obligation pour tout malade lorsqu'il guérit de remercier le Créateur en présence d'au moins dix personnes en faisant prières et festin. C'est ce que confirme cette histoire du Talmud Bérah'hot 46a. Lorsque Rabbi Zera tomba malade, Rabbi Abahou lui rendit visite et fit un voeu : "Si Rabbi Zera retrouve la santé, j'offrirai un festin aux Sages". c'est ce qu'il fit lorsque cela se réalisa. Le malade quant à lui, doit entreprendre la même démarche et remercier le Créateur de l'avoir protégé et gardé vivant (Birkat Agomel).
Le Talmud Chabbat 32a rapporte que Rabbi Isaac, fils de Rabbi Yéouda inculquait à chacun de prier tous les jours pour être épargné des maladies et que dans le cas où il était atteint, il se devait d'avoir des "arguments" en sa faveur (avoir fait de bonnes actions).
Le Talmud Baba Batra 118a transmet cet enseignement au nom de rabbi Pin'has fils de 'Hanna : tout malade peut demander à un homme juste de prier pour lui, cela pourra hâter sa guérison.
En fait nous apprenons dans le Talmud Nedarim 40b au nom de Rabbi H'iya bar Aba qu'un malade ne se rétablit vraiment que si ses "fautes" lui sont pardonnées.
Enfin le Midrash Rabba sur Chir Achirim (enseignement allégorique sur le Cantique des Cantiques) raconte cette histoire qui montre le vécu somme toute très humain de tout malade fût-ce un très grand sage. Rabbi 'Hanina était tombé malade, et Rabbi Yo'hanan alla lui rendre visite. il lui demanda : "Comment te sens-tu ?". Le malade répondit "Combien grandes sont mes souffrances !". Alors Rabbi Yo'hanan l'encouragea : "Certainement que la récompense sera aussi très grande!". Rabbi 'Hanina conclut alors : " je ne veux ni des souffrances, ni des récompenses !".
(Article paru dans la revue médicale El Rofé, 1993)