Quand Moïse monte sur le Mont Sinaï y recevoir la Torah, nos maîtres nous enseignent qu’il va y apprendre de la bouche même de D.ieu toute la Loi Orale. Celle-ci représente la possibilité d’accéder au sens réel de la Torah écrite, qui sans ses explications serait restée complètement inintelligible. La dimension orale, va jouer une place prépondérante dans la transmission juive, car à travers la parole, l’élève n’est pas dans l’interprétation personnelle du mot puisque le maître est là justement pour affiner et expliquer le sens réel du mot et de l’enseignement.
Cette idée de l’importance fondamentale qui va avoir l’oralité de la transmission qui reste néanmoins subordonnée au texte, et à travers cela, la place donnée au maitre, se retrouve dans cet enseignement du Talmud nous disant : « Qu’ils sont imbéciles ces Babyloniens qui se lèvent devant un Sefer Torah qui n’est qu’un rouleau de parchemin avec une écriture figée, mais qui ne se lèvent pas devant un maître de Torah qui est comme un Sefer Torah vivant et dynamique ». Toute la complexité de l’étude de la Torah va reposer sur cette ambivalence : importance primordiale de l’écrit, nécessité de la parole du maître.
L’écrit permet toutes les interprétations possibles, et le génie humain a la capacité de faire dire au texte ce qu’il désire y trouver.
Mais au fond, pourquoi l’intégralité du texte de la Torah ne serait-elle pas couchée par écrit ? Le Talmud répond à cette question de manière saisissante à travers la phrase suivante : « la Torah écrite est comme une prostituée avec qui on peut faire ce que l’on désire ». Il y a ici une idée fondatrice : l’écrit permet toutes les interprétations possibles, et le génie humain a la capacité de faire dire au texte ce qu’il désire y trouver. A partir de là, toutes les pensées déviantes de la tradition trouveront leur racines à l’intérieur du texte, les saducéens en étant l’exemple le plus connu puisqu’ils récusaient totalement le principe de la Loi Orale.
La lecture de la Loi a mené entre autres aux aberrations suivantes : interdiction de sortir de chez soi le jour du Chabbat car le verset dit qu’un homme ne peut pas sortir de chez lui le septième jour, ou encore interdiction d’avoir une quelconque lumière le jour du Chabbat en vertu du verset « vous n’aurez pas de feu dans toutes vos résidences ce jour-là ».
Les exemples pourraient se multiplier à l’infini mais ce qui est sûr, c’est que sans l’enseignement du maître qui représente la courroie de transmission avec l’enseignement révélé à Moïse au Sinaï, la Loi Ecrite n’a pas beaucoup de sens.
La parole va donc jouer un rôle fondamental dans la transmission juive, et ce n’est sans doute pas pour rien que le Talmud est composé de toutes ces discussions orales qu’ont eues les maîtres juifs, une transcription des échanges qui avaient lieu dans la maison d’étude. Une des phrases introductives de cet enseignement écrit est en effet l’expression « ta chema », ce qui veut dire « viens et écoute ». Il faut une certaine dose d’imagination pour traduire l’écriture en une discussion vivante mais c’est là la condition de l’enseignement.
Nos Sages insistent aussi sur la tonalité dans laquelle est transmis l’enseignement : « divré ‘hakhamim bena’hat nichma’im : les paroles des maîtres sont entendues lorsqu’elles le sont de manière calme et tranquille ». Il n’y a pas ici juste une leçon de communication mais un message bien plus profond. Le texte ne nous dit pas que l’on doit parler calmement, mais que les paroles sont entendues quand elles sont exprimées avec calme, ce qui revient à dire que la première préoccupation de celui qui utilise la parole doit être de savoir comment le récipiendaire de celle-ci va réussir à l’entendre. D’où la préoccupation de réfléchir en premier lieu à la capacité d’écoute que possède la personne qui est en face de moi et donc de choisir la terminologie adaptée. Il y a dans la transmission de l’écrit à travers l’oral un réel désir que l’autre comprendra parfaitement le message.
Et puis l’oral, c’est aussi la confrontation de deux êtres, donc de deux paroles, et à travers cela, la construction d’un échange. A travers la parole que l’élève envoie au maître, c’est le dialogue réel entre l’humain et la Torah qui se construit. Le maître est le dépositaire de la Torah, quand l’élève interpelle le maître, c’est la Torah qu’il interpelle. Mais le maître crée une réponse que le livre seul, l’Ecrit, ne peut pas donner. Il faut néanmoins souligner que même si la forme est importante, pour la Torah, c’est le fond qui lui donne tout son poids.
Cette idée est d’ailleurs parfaitement exprimée par le Rabbin Elie Munk dans son commentaire sur la Torah (Exode IV, 16) : « l’érudit qui étudie et qui définit la doctrine ne doit pas se confondre avec l’orateur dont la tâche se limite à rendre la doctrine accessible et populaire. Notre époque considère souvent l’éloquence comme preuve de la personnalité, elle serait mieux inspirée de distinguer comme nos ancêtres le firent le don de l’érudition, le don de l’éloquence. Il y aurait alors à la tête de nos communautés de Ha’hamim quand bien même ils seraient « caved pé oucevad lachon », c’est à dire « avec une bouche pesante et la langue embarrassée.
Il ne nous reste dès lors qu’à explorer les textes à l‘ombre d’un maître dont la parole saura nous révéler le sens réel de cette Loi qui fut révélée par la parole de D.ieu sur le Mont Sinaï.