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Le retour des Super-Héros

Au cinéma, celui qui se bat pour le Bien n’est pas un homme normal mais un super héros: la véritable lutte pour le Bien est l’apanage exclusif des êtres surnaturels. Si bien que le commun des mortels, c'est-à-dire, nous, ne sommes pas concernés par cette lutte: le super héros finit par tuer le Héros qui est en chacun de nous...
La lecture attentive des premiers versets qui traitent de la création du monde, dans ses moindres détails, laisse émerger, contre toute attente, un sentiment de création « imparfaite » !

La désobéisance de la Nature

En effet, outre les divers ratages à l’échelle humaine comme Adam et Eve avec leur fruit défendu ou Caïn avec le premier crime de religion de  l’histoire de l’humanité ou encore la génération du déluge qui ne cesse de faire regretter à D.ieu Sa création (…), la Nature, elle aussi, semble ne pas avoir dérogé ; à commencer par la création des arbres fruitiers qui, selon le projet divin, étaient censés se présenter comme un « arbre-fruit qui fait des fruits » c'est-à-dire que le tronc de l’arbre devait avoir le goût du fruit qu’il porte, et voici que la Nature désobéit en donnant un « arbre qui fait des fruits » c'est-à-dire les arbres fruitiers que nous connaissons, sans que le tronc ait le goût du fruit !
Seconde « incartade » le quatrième jour lorsque  « D.ieu créa les deux grands luminaires,  le grand luminaire pour régner sur le jour et le petit luminaire pour régner sur la nuit » et Rabbi Chlomo Itzhaki (appelé plus communément Rachi 1040-1105) fait remarquer la contradiction évidente entre le début du verset et sa fin : on nous parle de deux grands luminaires  et ensuite d’un grand et un petit. C’est pourquoi Rachi a recourt au Midrach (recueil d’enseignements d’ordre allégorique) pour nous enseigner qu’initialement ces deux luminaires soleil et lune ont été  créé égaux et identiques mais la lune a été réduite à sa plus simple expression pour s’être plainte : « deux rois peuvent-ils utiliser une seule couronne ? ».
Autant dire que nous pouvons rester perplexes quant à ces deux manifestations d’éléments purement minéraux ou végétaux. Car la désobéissance humaine à l’échelle individuelle ou collective vis-à-vis du Créateur bien qu’impensable a priori puise sa source dans le principe même du libre arbitre donné à l’homme et qui constitue de façon intrinsèque sa spécificité par rapport à toutes les autres créatures célestes ou terrestres. En revanche deux questions surgissent en ce qui concerne les arbres fruitiers et la rivalité lune soleil : d’une part quelle latitude ces éléments ont ? Mais surtout pourquoi la Torah a besoin de nous renseigner sur l’historique d’un fiasco. Après tout le monde que nous habitons est couvert d’arbres fruitiers dont  le tronc n’est pas comestible et les marins naviguent la nuit à la lumière de la lune et non du soleil et pourquoi le fait que cela aurait pu être autrement change quelque chose ?  

Une histoire de potentiel

Le Maharal de Prague dans son commentaire sur Rachi  (Gour Arieh chapitre 1 verset 11 alinéa 33) explique que l’attitude de la Nature n’est en aucun cas une désobéissance mais elle est par définition déficiente et ne peut donc cristalliser, de façon parfaite, la volonté divine.
 Afin de répondre à notre second problème, penchons nous sur le troisième commentaire de Rachi de la Torah.
Ici aussi Rachi relève une anomalie apparente: le premier verset, qui parle de  la création du monde par D.ieu, s’exprime en ces termes : «Pour le commencement ELOKIM  créa le ciel et la terre. »
Or dans le quatrième verset du deuxième chapitre de la Génèse, lorsque le texte fait une sorte de flash back sur la création, le verset indique :
« …en un jour A-DONAÏ ELOKIM a fait la terre et les cieux ».
Il y a ici un changement manifeste entre les deux versets, le premier mettant en exergue la dimension rigoureuse de D.ieu  c'est-à-dire ELOKIM tandis que le deuxième verset rajoute la dimension de miséricorde de A-DONAÏ à la dimension de rigueur. 
Rachi propose donc une explication pour rendre compte de ce changement : « au début D.ieu pensait créer le monde sous le signe de la rigueur (d’où l’utilisation du nom ELOKIM)  et Il a vu que celui ci ne pourra pas se maintenir, Il a donc fait précéder la dimension de miséricorde (exprimée par l’ajout de A-DONAÏ) et l’a associée la dimension de rigueur (ELOKIM) ».
Nous voilà de nouveau devant un « bug », c'est-à-dire un projet divin qui  n’aboutit guère. Tout se passe  comme si D.ieu tente puis se ravise en découvrant ce qu’est un monde dominé exclusivement par la rigueur.
 A nouveau, il faut s’interroger sur la nécessité de la Torah de nous renseigner sur ce changement. Après tout, le monde que l’on côtoie est placé sous le signe de l’association de la dimension de bonté avec celle de rigueur. Alors en quoi les « velléités » divines nous concernent ?
 Dans un texte du Pahad Itzhak (Rav Itzhak Houtner, Roch Hachana article 4 paragraphe 11) nous trouvons une clé de compréhension. Il explique en effet, que le projet initial, malgré sa modification, a laissé tout de même  dans le monde une trace évoquant la capacité pour des êtres d’exception, à se hisser à la dimension ultime de rigueur dans sa relation à son Créateur.   
La simple information du projet initial de D.ieu, même si ce projet n’aboutit pas, est suffisante pour opérer chez le lecteur attentif une direction, un horizon, c’est  à dire une incitation à l’excellence. 
Voici une illustration : lorsque Jacob   endormi, par inadvertance, dans l’endroit le plus saint du monde, rêve d’une échelle dans laquelle des anges montent et descendent et A-DONAÏ (nom de miséricorde) se tient en haut de l’échelle et lui promet tout ce qu’il y a de plus extraordinaire : l’héritage de la terre d’Israël dans sa totalité, la richesse matérielle, une progéniture innombrable ainsi qu’une protection permanente… Jacob, à son réveil, prend conscience, qu’il s’est couché dans un lieu saint et regrette immédiatement de s’y être rendu. Il déclare en effet « et moi,  je ne savais pas ! ». Rachi nous explique que ce regret signifie « car si je l’avais su, jamais je n’aurais dormi dans un tel lieu ».Cette précision de Rachi vient nous éclairer sur la capacité extraordinaire de Jacob à renoncer aux promesses les plus grandioses de D.ieu pourvu qu’il n’enfreigne pas un quelconque interdit. Pas même par inadvertance! Ce désir de perfection est si fort chez Jacob qu’il demande dès son réveil à D.ieu de ne se conduire avec lui que sur le mode de la rigueur : « si ELOKIM est avec moi …» et non plus A-DONAÏ qui se tenait au dessus de l’échelle ! (Genèse Ch.28 Versets 12 à 22)
Donc la simple information du projet initial de D.ieu, même si ce projet n’aboutit pas, est suffisante pour opérer chez le lecteur attentif une direction, un horizon, c’est  à dire une incitation à l’excellence. 
On peut observer depuis quelques temps, dans le domaine du septième art, un retour en force des super héros : de Spiderman à Hulk de Iron Man à Batman… Le principe est classique : un homme doté de pouvoirs extraordinaires va défendre le monde d’une menace imminente. A priori le Bien contre le Mal. Quoi de plus moral ?
Cependant,  étant donné que celui qui se bat pour le Bien n’est pas un homme normal mais un super héros, ne peut-on pas déceler de façon subliminale, un message pernicieux : la véritable lutte pour le Bien est l’apanage exclusif des êtres surnaturels. Tant est ci bien que le commun des mortels, c'est-à-dire, nous, ne sommes pas concernés par cette lutte. Autrement dit le super héros finit paradoxalement par tuer le Héros qui est en chacun de nous. 
Nous pouvons aussi appliquer cette grille de lecture du projet initial exprimé mais non réalisé à nos troncs d’arbre  « insipides ».
D’un point de vue symbolique, le tronc représente les moyens et les fruits le but. Nous passons notre vie à semer pour récolter : de nombreuses années d’études pour l’obtention d’un diplôme, de nombreuses forces déployées pour construire une maison… Et les deux phases investissement (les moyens mis en œuvre)  et retour sur investissement (produit fini) sont clairement distincts.
Or D.ieu nous informe qu’Il aurait souhaité créer un monde dans lequel on peut palper le goût du fruit c'est-à-dire le résultat dans les moyens mis en œuvre, tel cet arbre dont le tronc a le goût du fruit. Pour clarifier ce concept prenons un exemple tiré de la sphère des commandements : on peut vivre son engagement religieux comme une obligation à respecter, tout simplement, par peur de la punition associée au non respect. C’est le niveau minimal de respect qui ne renferme aucunement un ressenti de jouissance mais au contraire  une sensation profondément coercitive. En revanche, on peut par l’intermédiaire de l’étude et la pénétration des textes associés à ce commandement, lui donner du contenu, un relief personnel qui permet de procurer une sensation inédite d’épanouissement. Par ce biais, l’Homme conjugue dans un même acte une dimension de devoir et de plaisir. C’est comme s’il « drainait » la saveur de la récompense future associée à ce commandement dès à présent. Il se hisse donc dans un jardin rempli d’arbres dont les troncs ont le goût des fruits !  
Et la simple indication de ce projet initial et idéal nous incite en permanence à dépasser la routine de l’application insipide pour tout simplement se dépasser. 
 
 


A PROPOS DE L'AUTEUR
Rav Avraham DRAI


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