PRêTER OU FAIRE FRUCTIFIER SON ARGENT ?
Pourquoi la Torah l'oblige-t-elle de soutenir autrui, même au risque de perdre entièrement ses richesses durement gagnées
" N'empruntez  ni ne prêtez jamais ", énonce un vieil adage. La Torah pourrait    souscrire à sa première partie, mais elle s'opposera vigoureusement    à sa deuxième. Car elle énonce à la fois une obligation    active de prêter à ceux qui en ont besoin, et une sévère    réprobation de celui qui refuse par avarice de consentir un prêt.
Même quand il est    possible qu'un prêt devienne irrécouvrable, la Torah exige qu'il    soit néanmoins accordé. Par exemple, beaucoup d'agriculteurs ont    un besoin impérieux pendant l'année sabbatique de contracter des    emprunts pour survivre, puisqu'ils ne peuvent pas disposer des produits de leurs    champs. Or, à la fin de cette même année, selon la loi de    la Torah, on ne pourra plus réclamer le remboursement d'un prêt.    Mais la Torah donne un avertissement au prêteur : " Prends garde    à toi, de peur qu'il n'y ait avec ton cœur une pensée néfaste    qui dise : "La septième année approche !", et tu agiras    cruellement envers ton frère pauvre, il pleurera vers D.ieu, et cela    te sera compté comme un péché " (Deutéronome    15, 9).
On peut s'interroger sur    cette attitude intransigeante envers les prêts. Après tout, la    Torah a déjà strictement interdit toute forme d'usure, ce qui    est déjà étonnant en soi, puisque le prêteur pourrait    aisément investir son argent et lui faire produire un rendement fructueux    au lieu de le prêter. Pourquoi la Torah l'oblige-t-elle de soutenir autrui,    même au risque de perdre entièrement ses richesses durement gagnées    ?
De plus, l'obligation qui    lui est ainsi imposée semble constituer un contresens économique.    Comment une entreprise pourra-t-elle survivre si on lui impose de faire crédit    jusque dans les situations les plus risquées ? Certes, à une époque    tardive de l'histoire juive, Hillel, le célèbre Sage, a constaté    que les gens s'abstenaient de prêter de l'argent avant l'année    sabbatique à cause de la crainte, très compréhensible au    demeurant, de ne pas rentrer dans leurs fonds. Aussi a-t-il institué    le prousboul, un mécanisme juridique destiné à permettre    le recouvrement des dettes après l'année sabbatique. Étant    donné que cette mitsvah constitue un contresens économique, quelle    est la logique de la Torah lorsqu'elle exige que nous accordions des prêts    aussi hasardeux ?
 
UN MOYEN EFFICACE DE    COMBATTRE LA PAUVRETE
 
Celui qui est provisoirement à court de fonds et dont le crédit est au plus bas doit obtenir la possibilité de se rétablir.
Cette question doit être    examinée dans une perspective philosophique. Le judaïsme croit que    les richesses ne seront pas partagées d'une manière uniforme et    que " la pauvreté ne cessera pas dans le monde " (Deutéronome    15, 11). D.ieu a fait de certains des hommes riches et d'autres des êtres    indigents afin de nous rappeler que les actes de bonté ('hessèd)    sont le fondement du monde. Les riches doivent déployer tous leurs efforts    afin d'adoucir les effets du dénuement sur les pauvres.
Or, l'un des moyens les    plus efficaces de combattre la pauvreté est de rétablir le crédit    de l'individu dans le besoin afin qu'il puisse retrouver une activité    économique. Cela ne créera certes pas une égalité    totale, mais cela aboutira à ce " qu'il n'y ait pas de pauvre    parmi vous " (ibid. 15, 4), dès lors que l'on se sera porté    à son aide, par des actes de charité ou par des prêts sans    intérêts, et que le riche aura rempli la fonction pour laquelle    on lui a octroyé ses richesses. Cette société idéale    deviendra alors si opulente qu'elle pourra s'acquitter du même devoir    à un niveau macro-économique : " Tu prêteras à    de nombreuses nations, et toi tu n'emprunteras pas " (Deutéronome    15, 6).
Cette promesse est intimement    liée aux prêts accordés aux nécessiteux pendant l'année    sabbatique, puisque c'est une des manifestations les plus fondamentales de la    bonté humaine. 
Il n'existe aucune obligation de prêter à quelqu'un qui s'est dérobé    à ses obligations lors de précédents emprunts, ou qui a    gaspillé l'argent qu'il avait alors obtenu (Ahavath 'hessèd    1, 9). En revanche, celui qui est provisoirement à court de fonds et    dont le crédit est au plus bas doit obtenir la possibilité de    se rétablir. Cela profitera d'ailleurs à toute la société,    " car à cause de cette chose-là D.ieu te bénira    dans toute ton activité et dans toute entreprise de ta main "    (Deuyéronome 15, 10).
Cette croyance fondamentale    en la providence divine intervenant dans toute activité économique    sert de base à notre attitude lorsque nous prêtons de l'argent    et accomplissons des actes charitables. 
Si D.ieu ne nous l'avait pas ordonné, il n'y aurait aucune raison d'ordre    économique à accorder des prêts sans intérêts,    sans parler du fait que, sans la munificence de D.ieu, nous n'aurions pas d'argent    du tout.
 
Une autre catégorie de bénéficiaires est constituée par les étudiants désargentés,qui seront plus tard capables de subvenir à leurs besoins.
Dans son livre In the Marketplace,    Meir Tamari, fondateur du JCT (Centre pour l'éthique dans les affaires    et pour la responsabilité sociale), indique que le prêt sans intérêts    était utilisé au siècle dernier comme l'un des moyens de    résoudre les difficultés rencontrées par les immigrants    venus d'Europe de l'Est. La plupart d'entre eux ne disposaient d'aucune réserve    pour se créer leurs propres affaires, et les banques hésitaient    à leur accorder des crédits, puisqu'il était difficile    d'évaluer le risque engagé et que beaucoup d'entre eux n'avaient    pas de répondants. En revanche, ces immigrants juifs ont pu avoir recours    à beaucoup de sociétés pratiquant le prêt sans intérêts,    ce qui leur a permis d'ouvrir des commerces et de les faire fonctionner en attendant    de pouvoir faire appel à d'autres instruments de crédit.
En plus, Meir Tamari relève    que ces sociétés de prêts sans intérêts permettent    également de réadapter les salariés qui font l'objet de    mesures de licenciement économique prises par des entreprises en voie    de restructuration. Beaucoup de ces salariés seraient réduits    à la misère s'ils ne pouvaient pas trouver un autre emploi ou    se réadapter aux nouvelles conditions du marché du travail. C'est    ainsi que ces sociétés peuvent se révéler très    utiles pour permettre aux travailleurs de se mettre à leur compte ou    de trouver d'autres emplois. Une autre catégorie de bénéficiaires    est constituée par les étudiants désargentés, qui    seront plus tard capables de subvenir à leurs besoins, mais qui ont besoin    d'un soutien financier pour pouvoir en arriver là.
Le 'Hafets 'hayim, Rabbi    Yisrael Méir Hakohen, suggère que chacun se constitue chez soi    une petite caisse de prêts sans intérêts, dans laquelle il    puisera pour venir en aide à des pauvres. Il accomplira de cette manière    bien plus d'actes charitables que celui qui prête aux riches, et chaque    prêt constituera une mitsvah distincte (Ahavath 'hessèd,    2ème partie, chap. 13).
Il ajoute : " Je    sais que l'on préfère prêter à des gens plus à    l'aise, là où il y a moins de risques de voir son argent perdu    … mais c'est là précisément la raison pour laquelle    la Torah a dû nous ordonner de préférer le pauvre …    et nous promettre que " à cause de cette chose-là D.ieu te    bénira dans toute ton activité ".
Forts de cette croyance,    renforçons notre résolution d'employer notre argent à la    seule fin pour laquelle il nous a été donné : venir en    aide à autrui.
(Le rabbin Yoël Domb    a été diplômé par le JCT (Center for Business Ethics    and Social Responsibility - " Centre pour l'éthique dans les affaires    et pour la responsabilité sociale ") et il appartient à la    faculté du JCT Pari Midrach. Boursier du Centre pour l'année universitaire    2000-2001, il effectue actuellement des recherches sur les sujets d'éthique    dans les affaires contenues dans la loi juive et il prépare un cours    destiné à faciliter l'enseignement de ces sujets dans les yechivoth.)
 
Traduit et adapté par Jacques Kohn