Un des moments clés de l’histoire du peuple juif prend place dans le désert du Sinaï.
Suivant de près la sortie d’Egypte et l’ouverture de la mer devant le peuple hébreu, le don de la Thora apparaît comme un couronnement de cette histoire. Cette Thora est proposée aux autres nations du monde, qui la refusent, car elles réalisent qu’elle construit à travers ses différentes lois des dimensions d’exigence qu’elles ne sont pas prêtes à assumer.
Quand la Thora est proposée aux Enfants d’Israël, leur réponse est la suivante : « Naassé VeNichma » : « Nous ferons et nous comprendrons ! ».
Soumission et compréhension
Cette réaction est pour le moins surprenante ! Pourquoi en effet placer la compréhension de la loi après son accomplissement ?
Il y a ici une dimension qui pourrait sembler dévalorisante vis-à-vis du peuple juif : l’absence de désir de savoir et de comprendre. Maimonide insiste justement sur la nécessité absolue de chercher à comprendre le sens des Mitsvot autant que faire se peut. Alors que se passe-t-il ici ? Pourquoi une telle phrase dans la bouche du peuple juif ?
L'amour, c'est la capacité à donner sans même comprendre la demande de l'être aimé.
Il existe plusieurs lectures possibles de ce texte. Le principe même de la relation entre le peuple d’Israël et son créateur est l’amour ; amour porté par D.ieu vers son peuple, amour du peuple juif vers D.ieu. Lorsqu’on aime réellement l’autre on ne désire pas savoir le pourquoi de ses demandes. Nous avons envie de les réaliser car elle proviennent de l’être aimé ; et en les acceptant nous lui révélons tout les sentiments que nous éprouvons à son égard, la place et l’importance qu’il a dans notre vie. En demandant à l’autre de justifier sa demande nous démontrons que c’est leur aspect intelligible qui nous pousse à les accepter et non point le sentiment que nous éprouvons vis-à-vis de celui qui en est à l’origine. C’est donc ici le premier point de la relation d’amour avec le créateur de l’univers qui va s’exprimer.
Plus encore, le peuple d’Israël ne peut imaginer un instant que celui qui les a délivrés de l’Egypte, puisse leur imposer des lois et des règles qui soient mauvaises pour eux, même si ces lois et ces règles construisent des obligations nouvelles qui vont leur demander un effort.
Le peuple juif pressent que D.ieu n’a pas « besoin » des Mitsvot pour lui mais bien plus, qu’elles représentent un moyen de s’élever, de grandir et de se raffiner. Le peuple juif « sait » aussi que ces Mitsvot, même si elles sont parfois difficiles à comprendre, representent l’équilibre de l’univers et que sans elle le monde n’a point de sens. Elles sont aussi vecteur porteur d’une transformation de l’être qui les accomplit pour peu qu’il soit prêt à s’en laisser imprégner et à se laisser transformer.
La puissance des actes
En prononçant cette phrase le peuple d’Israël exprime aussi une idée très simple. C’est l’acte qui va être primordial car il valide notre pensée. En effet combien d’individus proclament de belles idées, expriment haut et fort leur foi en D.ieu ; mais ne sont pas capables de prouver à quiconque et encore moins à eux mêmes, qu’ils croient réellement à ce qu’ils disent en étant dans un passage à l’acte. Si cet acte demande un effort, il va authentifier encore plus cette pensée, et c’est la raison pour laquelle les possibilités de progression à l’intérieur des Mitsvot sont infinies.
Agir, c’est se placer dans l’épaisseur de sa connaissance.
On peut aussi voir dans cette phrase l’idée suivante ; agir, c’est se placer dans l’épaisseur de sa connaissance. L’acte va être le moyen de percevoir réellement ce qui n’est parfois que du domaine intellectuel. On peut expliquer à une personne ce que représente le Chabbat, en quoi il est important, mais elle ne pourra saisir cette réalité que quand elle en aura fait l’expérience.
Le vécu de la Mitsva représente en effet l’élément qui nous permet d’en prendre réellement la mesure, pour peu que nous soyons prêt à nous en laisser imprégner.
Et bien sûr, on ne peut oublier cette autre idée qu’en disant cette phrase, le peuple juif révèle sa capacité à se soumettre à la volonté divine ; cette dimension est sans doute la plus difficile pour le peuple juif, car elle va à l’encontre de sa nature. N’est-il pas défini comme le peuple « à la nuque raide » ? Dans cet effort de se plier à la volonté de D.ieu le peuple d’Israël acquiert son statut véritable, celui d’être « serviteur de D.ieu ».
Dans un univers où chaque personne cherche avant tout à s’affranchir des règles, ne respectant que celles dont il comprend l’utilité ou dont il perçoit la nécessité, ne se soumettant que par peur de la sanction, introduire l’idée d’être « serviteur » nous parait plutôt surréaliste !
Et pourtant, au lieu d’amener le peuple d’Israël à une servilité lui faisant perdre tout sens critique et toute autre forme de réflexion, cette « servitude » lui donne sa noblesse véritable, l’aide à développer encore plus sa compréhension du monde et le sens de l’existence ; elle va lui permettre d’explorer les profondeur de la connaissance en faisant de lui le serviteur le plus libre qu’il puisse exister.