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Paracha / Étincelles back  Retour

Vayigach (Il s'avança)

Genèse 44,18 à 47,27.

Celui qui sait clairement qui il est n'a jamais peur de sa rencontre avec l'autre. On peut préserver sans concession son identité singulière tout en étant impliqué dans la vie d’une société aux valeurs différentes des nôtres.
Juda supplie Joseph, qu’il n’a pas reconnu, de ne pas emprisonner Benjamin. Ne pouvant se contenir, Joseph dévoile son identité à ses frères et fond en larmes. Il prend des nouvelles de son père qu’il souhaite désormais faire venir en Egypte, comme le lui suggère le Pharaon. Jacob arrive en grande pompe et toute la famille s’installe dans la province de Gochen.





Le judaïsme, c’est l’universalisme comme but et le particularisme comme moyen.
Rabbin Elie Benamozegh


Pour les questions de style, nage avec le courant ;
Sur les questions de principe, sois solide comme un roc.
Thomas Jefferson





Le mouvement de la roue

Au moment où Joseph envoie ses frères chercher Jacob pour qu’il vienne s’installer en Egypte, le texte précise : « (...) Joseph leur donna des voitures (...) Et il donna à chacun des vêtements de rechange (...) » (Genèse, 45, 21 et 22).

Relisons ce texte à la lumière des commentaires d’un grand maître hassidique, Rabbi Yéhouda Arié Leib Alter de Gour (maître polonais, 1847-1905), auteur du Sfat Emet.
Ce dernier explique que Jacob appréhendait énormément l’installation de sa famille dans un pays à la culture si différente de la sienne et aux valeurs si lointaines du message abrahamique. L’hésitation du patriarche est telle que Dieu lui apparaît pour le rassurer : « (...) N’hésite pas à descendre en Egypte car Je t’y ferai devenir une grande nation. Moi-même, Je descendrai avec toi en Egypte (...) » (Id., 46, 3 et 4).
Mais, outre la bénédiction divine, c’est l’arrivée des voitures envoyées par Joseph qui semble rassurer Jacob : « Il vit les voitures que Joseph avait envoyées pour l’emmener et l’esprit de Jacob fut revivifié » (Id. 45,27).
 
Pour le Sfat Emet, c’est qu’il faut préserver sa singularité tout en s’impliquant dans la vie de la Cité et de la société à laquelle on appartient.
 
En quoi ces voitures apaisent-elles le patriarche ? Proposant une lecture symbolique, le Rabbi de Gour explique que le mot « voitures » (agalot) vient du mot « roue », ou « cercle » et que l’image de la roue constituait un message de Joseph à son père : « Tu as peur que nous perdions notre identité au sein de la civilisation égyptienne. Observe donc la roue : dans le mouvement rotatoire d’une roue, les points situés à la périphérie passent par des hauts et des bas, mais son point central se maintient toujours au même niveau. Autrement dit, il nous sera possible de préserver notre singularité tout en vivant au milieu des égyptiens ». La symbolique de la roue, dont le centre est immuable mais dont la périphérie évolue, est de nature à rassurer Jacob : nous resterons nous-mêmes malgré le contact avec la civilisation égyptienne.
D’ailleurs, Joseph est un exemple parfait d’équilibre entre préservation de son identité singulière et implication dans la Cité : le récit biblique témoigne qu’il a su conserver ses principes moraux et religieux tout en mettant son génie au service de l’Egypte qu’il a sauvé d’une situation économique complexe.

Poursuivant son analyse, l’auteur du Sfat Emet explique également la symbolique des vêtements de rechange que donne Joseph à ses frères : il semble leur dire : « pour s’intégrer à la société égyptienne, il sera nécessaire de ‘changer de vêtements’, c’est-à-dire d’adopter en partie le mode de vie du pays d’accueil. Mais il ne devra s’agir que d’un vêtement, c’est-à-dire d’une convention sociale extérieure qui ne doit pas atteindre votre intériorité et votre patrimoine intime ».

Ce commentaire pose donc la question –qui a toujours accompagné les Juifs dans leurs exils- de la « double culture ». Ce que le Sfat Emet laisse entendre, c’est qu’il faut préserver sa singularité tout en s’impliquant dans la vie de la Cité et de la société à laquelle on appartient.
 

Le choix de Gochen


Désireux de les voir préserver leur culture tout en partageant le devenir de l’Egypte, Joseph dit à ses frères : « Lorsque le pharaon vous demandera et dira ‘quelles sont vos occupations’, vous répondrez ‘tes serviteurs se sont adonnés au bétail depuis leur jeunesse et jusqu’à présent, nous et nos pères’. Ceci afin que vous demeuriez dans la province de Gochen, car les Egyptiens ont en horreur les bergers de menu bétail » (Id. 46, 33).  La famille de Jacob demeurera donc à Gochen, un peu à l’écart des égyptiens.

Or le nom même de Gochen exprime bien cette tension, chez les Hébreux qui viennent de trouver refuge en Egypte, entre le désir d’être de bons citoyens et la ferme volonté de préserver leur particularisme. Car la racine G.CH (de Gochen) renvoie toujours à une relation qui garde une certaine distance. Le mot GeCHer, « pont » (construit sur la même racine) exprime bien l’idée du lien entre deux entités qui ne se confondent pas et qui restent à distance. Le concubinage, relation de proximité qui préserve la totale autonomie de chacun, renvoie à la même racine : piléGuéCh. Lorsque, au début de la paracha, Juda s’avance vers Joseph, qui n’a pas encore dévoilé à ses frères son identité, le verset dit VayiGaCH (« et Juda s’avança », Genèse 44,18), traduit par le Midrash par : « Il s’avança avec beaucoup de respect mais prêt à l’attaquer au besoin » : Etre courtois mais ferme, proche et distant à la fois...

La famille de Jacob doit donc trouver la bonne distance pour ne pas que sa spécificité soit gommée ni qu’il faille se replier sur soi dans une logique ghettoïque. Cette double exigence peut être illustrée par une règle alimentaire: Pour être cacher, un poisson doit avoir à la fois des écailles et des nageoires (Lévitique, 11,9). Sur un plan symbolique, les écailles renvoient au « quant-à-soi » alors que les nageoires évoquent l’ouverture à l’autre, la mobilité. Pour la conscience juive, ces deux notions peuvent et doivent aller de pair : Chacun doit pouvoir cultiver sa singularité et la préserver (les écailles constituent une sorte de « carapace ») tout en restant ouvert et disponible pour l’autre (les nageoires garantissent la mobilité). Ce qui est vrai au plan individuel l’est au plan collectif : les Hébreux, arrivés en Egypte, vont cultiver leur singularité (écailles) tout en participant activement à la vie du pays (nageoires).


La néo-orthodoxie de Rabbi Samson Rapahël Hirsch

S’il y a une figure qui a toute sa vie œuvré dans le sens d’un équilibre entre particularisme et universalisme, c’est sans conteste Rabbi Samson Raphaël Hirsch (Allemagne, 1808-1888), père de ce que l’on a appelé la « néo-orthodoxie ». Le judaïsme allemand du XIXème siècle était marqué par un triple mouvement : l’abandon par de nombreux juifs des principes ancestraux, la naissance du judaïsme réformé et une ultra-orthodoxie intolérante et fermée. Hirsch oeuvra en faveur d’une autre voie, aussi éloignée de la compromission que du repli : « Tora im derekh erets » (expression inspirée des Maximes des Pères et pouvant être traduite par « La tradition en même temps que l’engagement dans le monde») : maintenir le judaïsme dans son authenticité tout en vivant pleinement son temps et en s’ouvrant à la culture ambiante. Autrement dit, militer pour un judaïsme moderne. Son œuvre est d’ailleurs influencée aussi bien par les sources traditionnelles que par Kant, Hegel, Fichte, Goethe ou Schiller.


Circoncision et ouverture sur le monde

Citons un commentaire de Hirsch, très révélateur de sa pensée, à propos de l’épisode biblique relatif à la circoncision d’Abraham : La circoncision distingue les Juifs des autres. Elle « met à part ». Elle est un signe identitaire fort. Pourtant, quel est le premier geste qu’accomplit Abraham après sa circoncision ? Un geste d’ouverture vers des hommes forts différents de lui (il accueille sous sa tente trois idolâtres de passage). Car celui qui sait clairement qui il est n’a jamais peur de la rencontre avec l’autre.
Remarquant donc que l’épisode de l’hospitalité d’Abraham fait directement suite à sa circoncision, Rabbi Samson Raphaël Hirsch écrit dans son commentaire du chapitre 18 de la Genèse : « Que n’a-t-on pas dénigré le judaïsme et ses représentants, les Juifs : comment ces circoncis ne se prendraient-ils pas pour des élus de leur Dieu ; comment ce signe séparateur ne les dépouillerait-il pas de tout sentiment et de toute pensée cosmopolite à l’égard des hommes et de l’humanité, et comment ne réduiraient-ils pas le Dieu du ciel et de la terre, Dieu de toutes les âmes humaines, à un dieu national, au dieu de leur coin de terre ! (…) Or l’unique souci d’Abraham en tant que circoncis est d’offrir l’hospitalité à des voyageurs de passage, ce qui est plus important que de se tenir en présence de Dieu. Et quels voyageurs ! Des idolâtres incirconcis devant lesquels Abraham se précipite, délaissant la présence divine afin d’exercer à leur égard le devoir d’amour du prochain ».
Ainsi, le particularisme d’Israël qu’inaugure la circoncision, n’est pas synonyme de fermeture mais, bien au contraire, induit une responsabilité accrue à l’égard de tous les hommes.



Jacob hésite à venir s’installer en Egypte car il a peur d’y « perdre son âme ». Mais Joseph lui fait comprendre qu’on peut préserver sans concession son identité singulière tout en étant impliqué dans la vie d’une société aux valeurs différentes des nôtres.


 
 


A PROPOS DE L'AUTEUR
Le Rav Amitaï ALLALI
Commissaire Général des Eclaireuses Eclaireurs Israélites de France (EEIF), avant de devenir conseiller pédagogique pour l’enseignement juif à l’école George Leven. Il a enseigné à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes et a dirigé la Section Normale des Etudes Juives de l'A.I.U. (Alliance Israélite Universelle). Il a occupé des postes rabbiniques dans les communautés de Bordeaux et de Vincennes et est aujourd’hui conférencier à l’association LEV. Il est l’auteur de « La Tsédaka : Lois et commentaires sur les dons aux pauvres de Maïmonide » paru aux éditions Lichma en 2006, « Les trompettes d'argent » (Octobre 2008), "Leçons de diét-éthique" (2ème trimestre 2009), et "Les prophètes, les enfants et les fous" (1er trimestre 2010).
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