Je n'ai pas beaucoup de
patience pour écouter les discours.
Si vous regardez un auditoire
autour de vous, ce que je fais souvent, vous remarquerez combien les gens sont
agités et mal à l'aise, à supposer qu'ils soient restés
réveillés. Les cheveux que l'on s'entortille, le boulochage que
l'on se fait sur ses vêtements, les bâillements que l'on essaye
de dissimuler, voilà le spectacle le plus fréquemment observé.
Mais l'instrument le plus
fascinant et le plus fréquemment employé dans de telles circonstances
est un des ongles de la main. Cette merveille anatomique relativement rudimentaire
peut fournir pendant des heures des occasions infiniment variées de se
distraire. Et dire que nous en avons dix !
C'est ainsi que je me trouvais
un soir, dans la rangée 41, siège 7, en train d'achever une manucure
particulièrement approfondie de l'épiderme de ma main gauche,
quand mes oreilles se sont soudain redressées. L'orateur, un de mes amis
- d'où ma présence en ce lieu - venait de poser une question qui
avait interrompu le cheminement de mon ongle.
- Quels sont les trois mots
les plus importants dans le mariage ?
- Facile, me suis-je dit
: C'est : "Je t'aime !"
- Et ce n'est pas : "Je
t'aime !", a-t-il ajouté.
Les gens cessèrent de s'entortiller les cheveux, et même quelques adeptes du boulochage prêtèrent leur attention.
L'assistance retint son
souffle. Les gens cessèrent de s'entortiller les cheveux, et même
quelques adeptes du boulochage prêtèrent leur attention. Je pouvais
entendre travailler les méninges de mes voisins. " Qu'est-ce qui
pourrait être plus important que : "Je t'aime !" De quelle formule
cet homme pouvait-il bien être en train de nous parler ? "
Mon esprit galopait au rythme
de celui des autres. J'aurais sûrement pu proposer quelques possibilités
tirées de mes propres réflexions. Comme par exemple :
" Tu as compris ? ",
" Tu es vraiment fatiguée ? ", " J'étais en train
de me raser. "
Fort heureusement, le conférencier
nous a libérés assez rapidement de nos misérables investigations
anticipatoires :
- Les trois mots les plus
importants dans un mariage sont : " J'avais tort ! "
Beaucoup de têtes
se sont inclinées en signe d'approbation, la mienne aussi. On venait
de toucher une corde sensible.
Reconnaître
ses torts
Il est de fait qu'aucune
attitude ne peut entretenir et développer une relation entre deux êtres
humains autant que la capacité à reconnaître ses torts.
Peu importe la nature de
l'association : conjoint, collègue, enfant, patron, ami, voire même
un de ses parents. Reconnaître que l'on a eu tort peut ajouter une dimension
incommensurable à la relation. Cela est rafraîchissant, honnête,
désarmant et souvent inattendu.
Et pourtant, reconnaître
un tort, explicitement ou en pensée, voilà ce qui est probablement
l'un des désagréments les plus difficiles que nous ayons à
affronter. Pourquoi ? Pourquoi la plupart d'entre nous s'accrochent-ils si fort
à leur certitude d'avoir toujours raison ? Est-ce que nos ego sont si
frêles et si fragiles qu'ils ne puissent pas souffrir, même occasionnellement,
l'idée qu'ils ont eu tort ?
Apparemment… oui.
Nos ego sont effectivement
frêles, fragiles, chétifs et faibles.
Nous avons si peur à
l'idée de devoir exposer nos faiblesses que nos mécanismes de
défense refusent avec la dernière énergie que nous puissions
dire : " Oh ! Autant pour moi ! "
Nous préférons opposer un démenti plutôt qu'assumer la révélation redoutée que nous sommes imparfaits.
Toute notre structure défensive
est effectivement si sophistiquée que, quand nous sommes confrontés
à la perspective lugubre d'avoir à faire face à nos propres
oublis et à nos propres défaillances, nous préférons
souvent opposer un démenti plutôt qu'assumer la révélation
redoutée que nous sommes imparfaits.
Les mécanismes d'excuse, parfois pittoresquement créatifs, et
souvent proches du mensonge authentique, sont rapidement utilisés :
" Ce n'est pas ce que
je voulais dire ! ", " Je n'ai pas oublié. Mais c'est toi qui
m'avais dit que tu préférais que je ne t'achète pas de
cadeau d'anniversaire ! ", " J'allais justement te rappeler ! "
Vous voyez ce que je veux
dire. C'est comme si tout le sens de notre équilibre émotionnel
était virtuellement dépendant du fait de n'avoir jamais tort sur
rien. Bien plus, nous finissons souvent par nous convaincre que nos mensonges
étaient vrais ou que nos excuses étaient justifiées. Voilà
jusqu'à quel point il est intolérable, pour beaucoup d'entre nous,
d'accepter ou d'admettre nos imperfections ou nos défauts.
Inutile de regarder ailleurs
qu'à la Maison Blanche pendant les huit années écoulées
pour trouver chez un homme l'exemple type d'une incapacité totale à
savoir proférer ces trois précieux mots, malgré les preuves
accablantes réunies à son encontre et les avantages qu'un aveu
de culpabilité aurait procurés. A la place, un trou béant
de culpabilité devenant de plus en plus profond.
Une résistance
bien enracinée
Notre résistance
bien enracinée à admettre que nous avons eu tort devient même
encore plus énigmatique, si l'on considère que nous avons tous
connu cette occasion rare où quelqu'un est venu avouer sereinement :
" J'ai eu tort. " C'est comme un athlète d'une équipe
perdante qui murmure stoïquement devant des dizaines de microphones et
des millions d'auditeurs et de téléspectateurs : " C'est
raté ! J'assume l'entière responsabilité pour notre défaite
d'aujourd'hui. "
Quelle est notre réaction
unanime devant une telle personne ?
" Quel héros
! Quelle force intérieure, quelle crânerie, quel courage ! "
Si notre admiration pour
cet individu est infinie, elle ne réussira pas, pour des raisons mystérieuses,
à nous encourager à en faire autant. C'est comme avec l'aiguille
du médecin : Nous fuyons les avantages évidents qui nous attendent
de la piqûre et nous ne voyons que la douleur momentanée qu'elle
va nous causer.
Le judaïsme s'efforce à chaque instant de nous mettre sur le droit chemin.
Mais le judaïsme s'efforce
à chaque instant de nous mettre sur le droit chemin. Il nous incite à
considérer que la reconnaissance de notre culpabilité est non
seulement méritoire mais qu'elle comporte aussi des vertus thérapeutiques.
Nous prenons l'habitude de reconnaître nos propres fautes en les mentionnant
chaque jour dans nos prières.
Et le jour le plus sacré
de l'année, Yom Kippour, est l'occasion de manifester notre aptitude
à admettre honnêtement nos torts. C'est l'étendue de cette
sincérité qui détermine le pardon que nous recevrons.
Voici ce que je suggère
:
Essayons-le ! Une fois par
jour. Peut-être une fois par semaine. Inspirons fortement, fermons les
yeux, et murmurons : " J'ai eu tort ! "
Ouvrons ensuite les yeux
et savourons les sourires étonnés autour de nous. (Ou essayons
au moins dans un miroir sans personne dans les parages.) Et voyons comme grandiront
nos ailes !