Hérode le Grand - à ne pas confondre avec Hérode Antipas, son fils et successeur - est un des personnages les plus importants de l'histoire juive. S'il a été indiscutablement pervers, il est néanmoins resté un personnage très important qui nous permet de mieux comprendre cette période où les Romains ont dominé le peuple juif.
Nommé à ce poste par les Romains, Hérode a régné comme roi de Judée de l'an 37 avant l'ère commune jusqu'à sa mort, en 4 avant l'ère commune. Ce très long règne, qui a duré 33 ans, a été à beaucoup d'égards un âge d'or en termes de prospérité économique et de stabilité sociale.
Cette prospérité et cette stabilité sont à attribuer, dans une large mesure, au rôle effacé que les Romains ont joué dans la vie quotidienne des Juifs.
L'attitude des Romains était faite en général de tolérance, ce qui veut dire que les Juifs étaient dispensés de devoir adhérer à la religion officielle de l'Etat romain. Rappelons-nous que, dans tous les pays pendant l'Antiquité, la religion et l'Etat étaient inséparables, et plus encore à Rome où l'on pratiquait le culte de l'Empereur, plus exactement son apothéose posthume.
Ce lien entre l'Etat et la religion donnait évidemment une légitimité supplémentaire aux souverains. L'union du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel leur permettait d'exercer un contrôle complet sur l'existence physique et spirituelle de leurs sujets. (Nous verrons plus loin l'Eglise se comporter de la même manière dans l'Europe médiévale.)
Les Romains en avaient été instruits par l'expérience des Grecs : Il ne faut pas forcer les Juifs à adorer des idoles.
Les Romains, s'ils considéraient que la religion d'Etat était essentielle pour garantir l'identité romaine et la loyauté à l'Etat, étaient en même temps des gens pragmatiques. Ils en avaient été instruits par l'expérience des Grecs : Il ne fallait pas forcer les Juifs à adorer des idoles. Et ils se rendaient compte eux-mêmes que les Juifs n'étaient pas comme les autres peuples païens : Ils n'étaient pas disposés à adopter un quelconque conformisme. C'est ainsi que les Romains ont accordé aux Juifs un statut officiel qui les exemptait de toute forme d'adhésion à la religion d'Etat romaine.
Cette politique, à la fois très judicieuse et très tolérante, n'allait pas sans contrepartie, sous la forme d'un impôt exceptionnel, le fiscus judaicus. Vous voulez être exemptés de la religion d'Etat ? Fort bien ! Mais vous devrez payer pour jouir de ce privilège !
Les Juifs auraient pu vivre dans l'harmonie s'ils s'étaient contentés de payer cet impôt et de s'occuper de leurs propres affaires. Mais les choses, comme nous allons le voir, ne se sont pas passées aussi harmonieusement.
LA PROSPERITE ECONOMIQUE
Pendant un certain temps, les Juifs ont bénéficié d'une situation avantageuse, du moins économiquement (sinon spirituellement), grâce en grande partie aux bonnes relations entretenues par Hérode avec Rome.
Hérode bénéficiait d'un soutien complet de Rome dans l'administration d'un territoire très important qui incluait plusieurs grands axes commerciaux. Tout transitait par la Judée, devenue un point de passage obligé pour le commerce de l'encens venant du Yémen via la péninsule arabique en direction de la Méditerranée.
En outre, la Judée bénéficiait d'une des agricultures les plus fertiles du Moyen-Orient. Elle était réputée pour son huile d'olive, utilisée non seulement pour l'alimentation mais aussi pour l'éclairage, pour ses dattes, principal édulcorant à cette époque avant le sucre, et pour son vin.
Hérode utilisa les énormes profits que lui procurait le commerce pour entreprendre une série de projets gigantesques de constructions, dont certaines seront les plus belles du monde.
Indiquons à ce sujet que, si la liste des merveilles du monde n'avait pas été dressée avant lui, Hérode en aurait probablement enregistré la moitié à son crédit. Presque tous les architectes de l'Antiquité et les archéologues l'ont considéré comme l'un des plus grands constructeurs de toute l'histoire humaine.
Il a construit inlassablement des villes, des palais et des forteresses, dont certains restes subsistent toujours :
Les forteresses de Massada, Antonia et Herodium, La ville portuaire de Césarée, Le gigantesque édifice situé au-dessus de la Caverne des Patriarches à Hébron, Les fortifications massives autour de Jérusalem ainsi que trois tours à l'entrée à la ville (dont les restes sont aujourd'hui appelés inexactement la " Tour de David "), et d'autres choses encore.
A Herodium, dans un extraordinaire exploit d'ingénierie, Hérode fit construire une montagne artificielle et, à son sommet, un énorme palais. Ce palais a malheureusement été détruit en 70 de l'ère commune pendant la " grande révolte ".
Hérode a construit une autre forteresse, Massada, au sommet d'un piton rocheux dans le désert.
Il construisit une autre forteresse, Massada, au sommet d'un piton rocheux dans le désert. Massada, qui disposait de tous les éléments de confort, possédait un système étonnant d'adduction d'eau qui irriguait des jardins aménagés pour la culture de produits agricoles de première nécessité. (Massada est aujourd'hui accessible aux visiteurs et constitue un important site touristique.)
La ville portuaire de Césarée mérite une mention particulière, non seulement parce qu'elle a été un centre de négoce et la capitale administrative de la Judée romaine, mais aussi parce qu'elle est devenue un symbole, aux yeux des Juifs, de tout ce qui était païen, romain, et incompatible avec le judaïsme. Hérode y créa un port artificiel, le deuxième en taille de l'Empire, et il y construisit un bel amphithéâtre, un hippodrome pour les courses de chars, avec, comme dans le film Ben Hur, des thermes et un temple immense consacré à l'Empereur-dieu romain, Auguste César. (On peut visiter aujourd'hui les excavations de Caesarea Maritima, particulièrement impressionnantes.)
LE TEMPLE D'HERODE
Le plus ambitieux des projets d'Hérode a été la reconstruction du Temple. Elle devait lui permettre de se rendre populaire auprès de ses sujets qui, il le savait bien, le tenaient dans le plus profond mépris.
Il lui a fallu 10 000 hommes et dix ans rien que pour construire les murs de soutènement autour du Mont du Temple (au sommet duquel se trouve aujourd'hui le sanctuaire musulman appelé le Dôme du Rocher). Le Mur Occidental (connu jadis comme le " Mur des Lamentations ") ne constitue qu'une partie de ce mur de soutènement de 500 mètres de longueur, conçu pour contenir une énorme esplanade artificielle qui aurait pu accueillir douze terrains de football.
Pourquoi Hérode a-t-il tellement agrandi le Mont du Temple ?
Pourquoi a-t-il tellement agrandi le Mont du Temple ?
Les historiens évaluent le nombre de Juifs vivant dans l'Empire Romain à environ six à sept millions (plus un autre million en Perse), dont beaucoup venaient à Jérusalem pour les trois fêtes de pèlerinage : Pessa'h, Chavou'oth et Soukoth. Aussi fallait-il disposer de beaucoup de place pour accueillir tant de gens. D'où la taille de l'esplanade.
Quand il entreprit de construire le Temple lui-même sur cette esplanade, Hérode se surpassa véritablement, et même le Talmud reconnaît que le résultat a été spectaculaire.
Le Saint des Saints était couvert d'or ; les murs et les colonnes des autres bâtiments étaient en marbre blanc ; les sols étaient en marbre de Carrare, dont la couleur bleue donnait l'impression d'une mer en mouvement ; les rideaux étaient constitués par des tapisseries de fil bleu, blanc, écarlate et pourpre, lesquelles décrivaient, selon Flavius Josèphe, " la vue entière des cieux ".
Flavius Josèphe décrit son extraordinaire apparence :
De quelque endroit qu'on le contemplât, le Sanctuaire avait tout ce qu'il fallait pour éblouir l'esprit et les yeux. Renvoyés dans toutes les directions par les énormes plaques d'or, les premiers rayons du soleil reflétaient d'énormes rayonnements de feu qui forçaient ceux qui les contemplaient à détourner leurs regards comme s'ils avaient observé directement le soleil. Aux étrangers qui s'approchaient, il ressemblait à distance à une montagne couverte de neige, car tout ce qui n'était pas couvert par de l'or était d'un blanc éblouissant… (Guerre juive, p. 304)
Hérode trouva cependant bon de placer à l'entrée principale un énorme aigle romain, ce que les Juifs pieux ont tenu pour un sacrilège. Un groupe d'étudiants en Tora brisa promptement cet emblème d'idolâtrie et d'oppression, mais Hérode les fit pourchasser, traîner sous des chaînes jusqu'à sa résidence de Jéricho, où ils furent brûlés vivants.
Après avoir construit le Temple, Hérode veilla soigneusement à éviter à l'avenir tous obstacles de ce genre. Il nomma son propre grand prêtre, après avoir mis à mort quarante-six membres du Sanhédrin.
LES PERSECUTIONS FOMENTEES PAR HERODE
Les persécutions fomentées par Hérode ont été infâmes et se sont même portées sur sa propre famille.
Hérode, qui savait que ses références juives étaient suspectes, avait épousé Miryam (Marianne) - petite-fille de Hyrcan et donc une princesse hasmonéenne - cherchant ainsi à asseoir sa légitimité au sein du peuple juif. Mais il était aussi très amoureux d'elle, ainsi que le raconte Flavius Josèphe :
Miryam avait donné cinq enfants à Hérode, deux filles et trois fils. Le plus jeune des fils fut élevé à Rome et il y mourut. Il traita les deux aînés comme étant de sang royal à cause de la noblesse de leur mère et parce qu'ils étaient nés avant sa montée sur le trône. Mais plus fort que tout était l'amour qu'il portait à Miryam, amour qui l'enflammait chaque jour à un grand degré…
Le problème était que Miryam haïssait son mari autant que lui l'aimait, en grande partie à cause de ce qu'il avait fait à son frère, Aristobule III.
Hérode, qui avait nommé Aristobule grand prêtre à l'âge de 17 ans, se mit à le surveiller attentivement quand il s'aperçut de sa popularité grandissante. Cette popularité n'avait rien de surprenant, étant donné qu'Aristobule, d'origine hasmonéenne, avait un droit légitime à la fonction de grand prêtre, comme étant un vrai Juif et un authentique Cohen.
Mais Hérode, qui se sentait menacé, le fit noyer.
Hérode, devenu jaloux de ses propres fils, les fit mettre à mort.
Pour la même raison, Hérode devint par la suite jaloux de ses propres fils, et il les fit mettre également à mort.
Et dans une crise de jalousie, il fit même tuer sa propre femme. Flavius Josèphe raconte encore :
Sa passion finit par le rendre fou et, bondissant hors de son lit, il se mit à courir dans le palais de façon désordonnée. Sa soeur Salomé saisit l'occasion pour calomnier Miryam et confirmer ses suspicions à propos de Joseph, [son amant supposé]. C'est alors que, pris d'un accès de rage, il ordonna que les deux soient immédiatement mis à mort. Mais aussitôt que sa passion se fut apaisée, il se repentit de ce qu'il avait fait, et dès que sa colère fut éteinte ses affections se trouvèrent avivées… De fait, la flamme de ses désirs pour elle était si intense qu'il ne pouvait pas croire qu'elle était morte, certain comme il était qu'il pourrait lui parler à nouveau comme si elle était encore en vie…
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il manquait de stabilité. Même Auguste disait à son sujet : " Mieux vaut être le chien d'Hérode qu'un de ses enfants ! "
Sa paranoïa, ses immixtions dans la hiérarchie du Temple, et son zèle pour l'hellénisation du peuple juif, tout cela a contribué à un mécontentement croissant qui a fini par exploser lors d'une révolte contre Rome environ 70 ans après sa mort.
UN CONFLIT D'ORDRE SPIRITUEL
En marge des événements apparents se déroulait une bataille spirituelle plus profonde entre le paganisme et le judaïsme. En outre, des sentiments nationalistes juifs commençaient à faire surface.
L'hellénisation de la Judée n'avait pas contribué à arranger les choses. Le pays était habité par de nombreux Grecs ainsi que par d'autres non-Juifs qui avaient adopté leur mode de vie. De plus, encouragés par les Romains, d'autres adeptes de la culture grecque s'y étaient installés.
En plus de cela, les classes supérieures de Juifs, quoique minoritaires, souscrivaient à cette culture " plus évoluée ", sans parler, bien entendu, du roi lui-même qui était un admirateur avoué de la civilisation hellène.
Hérode se considérait comme un dirigeant éclairé chargé de conduire son peuple obscurantiste vers le modernisme. Il fit donc ce qui lui paraissait nécessaire pour mener son projet à bonne fin, y compris par la persécution et l'assassinat de tous les rabbins en qui il voyait des menaces non seulement à son autorité mais aussi à l'hellénisation totale des Juifs.
En raison de ces ingérences d'Hérode et de la propagation à grande échelle des influences hellénistiques parmi les couches supérieures de la société juive, la hiérarchie du Temple est devenue très corrompue. Les Sadducéens, un groupe religieux composé de gens riches, qui collaboraient avec les Romains afin de conserver leur pouvoir, contrôlaient maintenant le Temple, au désespoir du courant majoritaire, les Pharisiens, et de la minorité religieuse extrême, les Zélotes.
Le chaudron commençait de bouillir et il allait bientôt exploser.
Notre prochain chapitre : Hillel et Chammaï.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN