Il est paradoxal de constater que l’un des problèmes importants auxquels nous devons faire face lorsque nous étudions la Bible est que ses histoires nous sont extrêmement familières. Quel que soit l’endroit où nous avons été élevés, quel que soit notre niveau d’éducation, nous avons forcément déjà entendu l’histoire d’Adam et Eve des dizaines, si ce n’est des centaines de fois. Nous avons entendu cette histoire à l’école et nous l’avons apprise à la maison. Nous buvons du jus de pomme "Adam et Eve" et nous voyons des images d’Adam et Eve sur des bouteilles de shampooing. Nous connaissons cette histoire, nous en sommes sûrs. En fait, nous la connaissons un peu trop bien…
Lorsque nous connaissons "trop bien" une histoire, nous devenons une proie facile pour le syndrome de ce que j’appellerais "l’Effet Berceuse". L’effet berceuse endort notre aptitude à poser - et même à percevoir- les questions véritablement importantes que la Bible nous invite à évoquer. L’"Effet Berceuse" nous anesthésie par le biais des résultats stupéfiants que génère la familiarité. Voila comment ça marche :
Quand vous êtes-vous, pour la dernière fois, donné la peine de réfléchir aux paroles des berceuses que vous chantez à vos enfants ? Arrêtez-vous un instant pour réfléchir – vraiment réfléchir – au sens de ces paroles. Pour commencer, essayons ce grand classique qui fait toujours partie des favoris : "Rock-a-bye baby on the treetop", "Bercer le bébé au sommet de l’arbre". Imaginez ce qu’il se passerait si votre enfant prêtait réellement attention aux paroles que vous êtes en train de chanter : "... lorsque la branche se cassera, le berceau tombera, et en bas ira le bébé, le bébé et tout..."
Bon, il est certainement possible d’endormir un enfant en chantant ça, mais si votre joli bébé écoutait véritablement ce que vous lui chantez, il aurait un réveil plutôt brutal. De nombreuses questions, j’imagine, nous viendraient rapidement à l’esprit, si nous nous donnions la peine de prêter attention à ces paroles :
"A quelle distance exacte du sol se trouvait le berceau lorsqu’il est tombé ?"
"Est-ce que quelqu’un a appelé une ambulance ?"
"Mais qui a bien pu placer le berceau sur la branche ?" "Les parents tentaient-ils de se débarrasser de leur enfant ?" "Est-ce que je vous dérange ?"
Mais personne ne pose ces questions. Bien peu d’entre nous sont gênés par le degré de violence qui s’exprime à travers nous lorsque nous chantons cette berceuse à notre enfant. Quelle est la raison de cette attitude ? Tout simplement le fait que nous ne prenions pas même la peine d’en écouter les paroles. Nous les avons entendues trop de fois, enfants, avant même de savoir ce qu’elles voulaient dire, et maintenant, à l’âge adulte, elles ne nous choquent même plus.
Les histoires de la Bible ressemblent sur ce point aux berceuses. La plupart d’entre elles recèlent une question essentielle ou même plusieurs qui ne demandent qu’à être traitée. Pourquoi D.ieu a-t-Il dit à Abraham d’emmener son fils pour le tuer, pour finir par se rétracter au dernier moment et dire que ce n’était pas vraiment ce qu’Il souhaitait ? Qu’avait au juste D.ieu contre la construction d’une Tour sur la Terre de Babel ? Pourquoi D.ieu se donna-t-Il la peine de marchander avec Pharaon la délivrance des Juifs, pour finir par endurcir son cœur dès que le monarque égyptien y consentait enfin ?
Mais ces histoires nous sont trop connues. Nous les avons tant entendues qu’elles font maintenant partie de notre tissu culturel. Ces histoires nous pénètrent comme par osmose, un peu à la manière dont nous prenons un accent qui révélera l’endroit où nous avons été élevés. Nous n’arrivons plus à saisir le noeud essentiel de l’histoire.
Avec cette série d’articles, j’aimerais nous mettre au défi de modifier cette situation. Je voudrais vous demander de me suivre en voyage pour une aventure à travers le texte Biblique dans lequel nous lirons ces histoires que nous pensons connaître avec un regard neuf tout en posant les questions que n’importe quel lecteur intelligent poserait à leur sujet.
Si cette idée vous rend nerveux, détendez-vous. Il ne faut pas avoir peur de ces questions car elles ne sont pas véritablement des problèmes, elles sont plutôt des opportunités. Elles constituent des fenêtres que le texte met à notre disposition pour nous permettre de percevoir sa signification profonde. Bien entendu, vous pouvez laisser la fenêtre fermée et feindre d’ignorer son existence, mais si vous ne l’ouvrez pas, l’accès au trésor qui se trouve de l’autre côté - une compréhension plus riche, en trois dimensions de la Bible, sans parler d’un monde entier de littérature rabbinique, le Midrach et le Talmud - vous sera à jamais condamné.
Alors, voilà le marché :
Avant de lire ces articles, je vous invite à relire l’histoire d’Adam et Eve avec le Serpent dans le Jardin d’Eden. Lisez-la en hébreu, si vous connaissez cette langue et, dans le cas contraire, lisez sa traduction car pour l’instant, elle conviendra. Oui, je sais : Vous connaissez déjà cette histoire. Depuis la sixième, vous avez en tête cette image du serpent enroulé autour de l’arbre, offrant une pomme à Eve. Mais c’est justement le problème : vous devez oublier tout ça. Il vous faut effacer ces images et lire l’histoire avec un œil neuf. Vous devez briser le syndrome de la berceuse.
Lisez cette histoire lentement et attentivement. Juste le texte, pas les commentaires et, ce faisant, posez-vous les questions suivantes : Si je lisais cela pour la première fois, qu’est-ce que j’y trouverais d’étrange ? Quelles sont les "grandes questions" que la Torah voudrait que je me pose sur cette histoire ?
Prenez le temps d’y réfléchir et retrouvons-nous ici la semaine prochaine pour comparer nos notes.
A bientôt.
1 L’auteur appuie sa démonstration sur une berceuse très classique de la culture anglo-saxonne dont les paroles sont effectivement très curieuses. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de la laisser telle quelle sans tenter de la remplacer par une chanson du même registre en français. (N.d.T.)
Traduction et Adaptation de Ra’hel Katz