Ari Fuld ne fut pas surpris lorsqu’il reçut son ordre d’incorporation l’été dernier lors de la guerre au Liban. "Pour moi, servir dans les Forces de Défense Israéliennes est une autre facette de la vie d’un juif, dit-il. Lorsque j’ai reçu ma lettre d’incorporation, j’étais très content." Il lui restait 12 heures pour dire au revoir à sa femme et à ses quatre enfants dont l’un venait juste de naître. Près de huit heures plus tard, il se retrouva à la frontière libanaise. Après une journée d’entraînement intensif, son unité prévoyait de pénétrer le Liban avec pour mission de démanteler un réseau terroriste anonyme.
"La nuit qui précéda notre incursion au Liban, je recopiai les sections de la Torah qui parlaient d’aller à la guerre. J’avais besoin d’insuffler en moi une certaine dose de confiance. Je ne pouvais même pas dire à ma femme où j’allais car les appels étaient interceptés par le Hezbollah. Je lui dis que j’allais en France."
Durant son premier jour au Liban, il marcha sur une distance de sept kilomètres à travers des montagnes escarpées tout en portant sur son dos son équipement ainsi qu’un missile téléguidé pesant près de cinquante kilos. C’est dans ce décor qu’il fit l’expérience de son premier échange de coups de feu. "Terrifiant est le seul mot qui me vient à l’esprit pour décrire la situation, dit-il.
Partout où nous allions, nous avions l’impression d’être observés. Nous étions nettement désavantagés car nous ne connaissions pas le terrain."
Chaque jour avant de partir au combat, Ari et sa section récitaient le Vidouï, une prière de confession que l’on prononce généralement à Yom Kippour ou avant la mort de quelqu’un. Laïcs, religieux, cela n’avait aucune importance. Ils étaient tous des Juifs debout, exposés sans fard devant D.ieu. Ils avaient le sentiment réel que leur vie ne tenait qu’à un fil.
Des combattants du Hezbollah étaient à l’affût. Le jour suivant, les soldats israéliens pénétrèrent plus avant dans la région.
"Nous avons pénétré le Liban sur une distance de 28 kilomètres, dit Ari. Puis, nous avons finalement atteint la rivière Litani. Le paysage était absolument magnifique."
N’ayant plus beaucoup d’eau et de nourriture, l’unité d’élite de parachutistes d’Ari se dissimula dans un verger de pommiers tant pour se mettre à couvert que pour se nourrir. C’est alors qu'ils captèrent des avertissements leur disant qu’il y avait un foyer d’activité terroriste autour d’eux. Ils reçurent l’ordre de quitter totalement la zone.
"Le commandant prit la tête avec cinq hommes, raconte Ari. Il s’écria : 'A’haraï, suivez-moi.' " Cette caractéristique légendaire de l’armée israélienne n’est pas un mythe. Les officiers les plus gradés jalonnent le terrain pour leurs subalternes, mettant ainsi en péril leur propre sécurité."Je pense que l’armée israélienne est la seule armée au monde qui opère de cette façon," affirme Ari.
A 60 mètres environ de là où Ari attendait, son commandant reçut une balle dans le cou tiré par un sniper et des missiles se mirent à tomber tout autour de lui et de ses hommes.
"On ne peut pas laisser cette situation se transformer en un kidnapping," s’écria le plus gradé d’entre eux. Ils envoyèrent alors un groupe d’évacuation tenter de prêter main forte au premier groupe, mais il fut également atteint par un missile. L’officier le plus gradé restant se tourna vers Ari.
"Prends quatre hommes avec toi, lui ordonna-t-il. Nous devons ramener le plus possible de corps. Nous ne les abandonnerons pas ici."
Ari désigna quatre de ses camarades. Ils laissèrent tomber leur équipement sur le sol et se saisirent de civières. Il savait ce qu’il était en train de faire. Il avait fait un choix. En pénétrant l’enfer de blessure et de mort qui s’étendait devant lui, il se mettait lui-même à la torture, mais il ne voulait pas abandonner ses camarades.
"Nous laissâmes la plupart de notre équipement de protection derrière nous ainsi que nos sacs. Tout ce que j’avais sur moi étaient mes Tefilline, un livre de Psaumes et quelques autres écrits saints. Oh, et des balles. Beaucoup de balles."
Ils ne firent que dix pas à l’extérieur du verger lorsqu’ils perçurent un sifflement.
"On entend un sifflement, puis, trois secondes plus tard, le missile tombe, dit Ari. Le plus effrayant dans tout cela, c’est qu’on n’a aucune idée de là où il va atterrir." Regardant derrière eux, ils virent où les missiles étaient tombés. Trois missiles s’étaient abattus à l’endroit exact où les cinq soldats étaient assis quelques minutes seulement auparavant. L’équipement qu’ils avaient laissé tomber à la hâte était réduit en cendres.
Des missiles tombaient devant et derrière le groupe. On aurait dit que D.ieu libérait l’espace pour Ari.
Ils commencèrent à ramener vers l’arrière les officiers blessés. Ari appela un médecin qui tenta sans succès de stopper l’hémorragie de son commandant. C’est alors qu’Ari sentit quelque chose qui coulait dans son dos. Son corps perdait du sang et de l’eau.
"Je savais que j’avais été atteint par un éclat de shrapnel. Je savais aussi que si cet éclat avait pénétré mon système sanguin, je mourrais en quelques minutes. J’avais les jambes sciées."
Le médecin retira le gilet d’Ari. Le morceau de shrapnel avait traversé son gilet, mais n’était pas allé plus loin. Tout ce dont il avait besoin était un bon bandage.
"Il n’y avait aucune raison pour que ce morceau de shrapnel s’arrête là, s’exclame Ari. C’était un éclat de mortier iranien." Ces choses ne s’arrêtent pas en général, mais Ari savait qu’il y avait quelqu’un de plus haut que lui qui menait la barque.
Ari et les membres restants de l’unité poursuivirent leur chemin au Liban durant quelques jours encore. Bien qu’il eût dépassé la zone véritablement dangereuse, il devait encore s’efforcer de trouver de la nourriture et de l’eau dans un territoire hostile qui était piégé de tous côtés.
Finalement, sa brigade aux abois reçut l’ordre de regagner sa base.
Lorsque son unité passa la ligne de la frontière en direction d’Israël, tous les soldats se jetèrent spontanément à genoux pour embrasser le sol sacré de la Terre Sainte avec beaucoup émotion. Etre de retour dans leur pays leur procurait un sentiment de bien-être indescriptible.
Cependant, Ari eut le sentiment de ne plus être le même homme que celui qui était entré au Liban.
"C’était comme une naissance, raconte-t-il. Quelque chose de plus puissant que tout ce que j’avais pu faire jusque-là. Comme le jour de mon mariage et la naissance de mon fils et même plus, tout cela réunis en une seule chose."
Il donna un festin de remerciement envers D.ieu, mais il se dit que ce n’était pas assez. Ari avait bénéficié de miracles. Il avait reçu des cadeaux inestimables et il était temps à présent de faire preuve de reconnaissance.
"J’ai réfléchi en moi-même tout d’abord, puis avec ma femme et je lui ai dit : 'Il faut changer quelque chose. Je ne veux pas traverser ma vie sans savoir ce que je fais. Si ma vie s’était arrêtée là, il m’aurait manqué quelque chose.'"
Il examina en détail la manière dont il occupait ses journées et se rendit compte que seule une toute petite partie de son emploi du temps était consacré au spirituel. Son temps d’étude de la Torah avait été réduit à une "vitesse de croisière" et il voulait en accélérer la cadence. Et c’est ce qu’il fit : il se retira durant un an de ses activités professionnelles afin de se renforcer dans son service de D.ieu.
"Ce fut difficile financièrement, mais il le fallait et je suis heureux de l’avoir fait. Au bout du compte, cela (être au Liban) a été plutôt une bénédiction pour moi."
Parfois, la forte impression laissée par une pensée d’ordre spirituelle peut être de courte durée. C’est pourquoi l’expression "bonne résolution pour la nouvelle année" est un peu galvaudée. Chaque année, nous nous efforçons de nettoyer l’ardoise et de repartir de zéro. Cela fait partie de la condition humaine. Toutefois, Ari n’oubliera jamais son engagement de rendre ce qu’il a reçu. Il a prononcé la prière de confession de Yom Kippour, le Vidouï, et sa vie a été sauvée. Il en a ressenti une reconnaissance sans limites et c’est en cela que l’expérience d’Ari diffère de celle de la plupart des gens. Ce qu’il a vécu au Liban continue, encore aujourd’hui, de modeler sa vie.
Lorsqu’il arriva au bout de son année d’étude, il déclina des propositions financières alléchantes et rejoint le personnel de la Yéchiva Netiv Aryé, au sein de laquelle il pouvait continuer à se consacrer au développement de sa vie spirituelle.
Et qu’en est-il de nous ? Durant cette période de fêtes, nous pouvons, nous aussi, établir la liste des présents que D.ieu nous a faits et prendre la bonne résolution, pour cette nouvelle année, de faire preuve de reconnaissance en payant nos dettes. Peut-être devrions-nous, cette année, consacrer un tout petit peu plus de temps au spirituel ? Ouvrir un livre de prières même après que les fêtes sont passées ? S’engager à réaliser vraiment cette fameuse résolution à laquelle nous pensons chaque année ?
Dans la vitrine de l’armoire de son salon, Ari expose fièrement le morceau d’éclat de shrapnel iranien qui lui a presque coûté la vie, son numéro de série toujours intact et bien visible. Certaines personnes trouvent bizarre qu’un objet pareil se trouve en si bonne place entre son verre de Kidouch et sa menora en argent, mais lui ne s’en étonne pas. "Ce morceau de métal tordu que vous regardez... Il a l’air d’un détritus, mais pour moi, il est mon miracle."
Traduction et adaptation de Ra'hel Katz